Test de Call of Cthulhu - Pas trop la folie

La première fois que j’ai entendu parler de ce jeu, j’étais plutôt enthousiaste : l’équipe de Cyanide Studios fait un travail plutôt correct, même si ses productions n’ont jamais connu un succès critique, et ses membres sont connus pour être des passionnés de jeux de rôle et de figurines (comme peuvent en témoigner Blood Bowl ou le prochain Werewolf : The Apocalypse). Les premières images donnaient ce feeling qui prend aux tripes, de celui qu’on a en lisant le cauchemar d’Innsmouth, avec cette ambiance bien pesante d’un petit village côtier d’une île isolée noyée dans la brume, d’où pourraient sortir des créatures que la nature réprouve. La bonne nouvelle, c’est que cette atmosphère est bien présente dans le jeu. Pour le reste... Suivez le guide.

Je hais les lundis

C’est un réveil comme les autres pour Edward Pierce : dans son petit bureau de détective privé, le dos en compote après avoir dormi sur le canapé, il se sert un bon whisky (oh, juste un doigt) alors que sonne bruyamment le téléphone. C’est son agence, qui a « encore » perdu son dossier et qui a donc besoin que Pierce rappelle son statut actuel (petite astuce scénaristique pour que le joueur répartisse ses premiers points de personnage). Après avoir raccroché un peu vite, voilà que frappe le destin à sa porte : un client, enfin ! Et pas n’importe lequel : il s’agit d’un riche industriel (pognon !), qui vient tableau sous le bras demander à Pierce d’enquêter sur la mort mystérieuse de sa fille Sarah Hawkins, peintre de l’étrange qui vivait dans le manoir de son mari avec celui-ci et leur fils à Darkwater – charmante petite bourgade de pêche à l’activité plus que déclinante. Pas le choix, il faut payer les factures et la prochaine cuite, donc direction une île paumée et ses autochtones moyennement accueillants à la tronche patibulaire.

La faune locale n’est pas vraiment fraîche et bigarrée et Pierce se fait très vite de nouveaux copains, avant de se diriger vers la demeure des défunts époux Hawkins pour mener ses investigations, accompagné du flicaillon du coin. C’est là qu’il commence à se dire que cette enquête a plus de chances de lui rapporter un gros mal de crâne qu’un gros pactole et c’est bien peu de le dire...


Pimp my Pierce

Comme indiqué plus tôt, une des premières actions du jeu consiste à répartir quelques points de personnage sur sa feuille pour créer « son » Pierce. Il n’était évidemment pas imaginable de recréer la feuille du jeu de rôle et ses dizaines de compétences ; on en aura donc sept à notre disposition, à commencer par l’Éloquence, servant à persuader ou à manipuler les PNJs lors des phases de dialogue. La Force sert dans quelques situations précises ou à convaincre ses interlocuteurs de façon plus musclée (mais étonnamment, on n’aura jamais l’occasion de frapper quiconque, donc ne comptez pas dessus pour cela). L’Investigation est une compétence générale permettant de déduire des informations (l’enquête) ou de crocheter des serrures coriaces. La Psychologie permet bien entendu de comprendre ce qu’un PNJ pense ou a pensé, et on retrouve avec plaisir ce bon vieux T.O.C. (Trouver Objet Caché) sans lequel un bon personnage de l’AdC se retrouve bien inutile – surtout un détective privé.

Ces cinq compétences, toutes librement améliorables avec des points de personnage au fur et à mesure de l’histoire, sont complétées par deux compétences spéciales, dont le niveau ne pourra monter que par la découvertes de livres ou d'objets spéciaux dans l’histoire, hormis les points répartis au début du jeu. Ces deux compétences sont Médecine Légale, utile pour compléter un profil de détective légiste, et surtout Occultisme, qui non contente de représenter la capacité de Pierce à comprendre l’Indicible, sera primordiale pour débloquer certains éléments de l’histoire. Cependant, une question mérite d'être posée : voulez-vous vraiment être capable de déchiffrer l’occulte, quitte à se noyer dans l’abîme ?


Des points de personnages sont distribués tout au long du jeu, soit en fin de chapitres, soit après une action particulière. Il est à noter qu’il est impossible de tout monter à 100%, donc choisissez bien, car le pourcentage est pris à la lettre. À la façon du jeu de rôle, quand une action nécessitant une compétence est effectuée et à moins d’avoir un niveau minimum requis pour certaines, le jeu « fait un jet » de dés pour voir si Pierce est en réussite. Dans le cas où c’est raté, l’action est fatalement échouée, sans retour en arrière possible : si un cadenas n’est pas crocheté, c’est fichu, impossible de recommencer. Un levier cassé n'est pas réparable et un objet caché reste introuvable. Et pas moyen de tricher : la sauvegarde automatique fera son office (aucune sauvegarde manuelle n'est possible, en tout cas sur console) et vous ne pourrez que vous en mordre les doigts.

J’ai fait quelques tests en chargeant et en rechargeant une sauvegarde que j’avais en cloud : j’avais 30% en T.O.C. et en entrant dans une pièce contenant un objet caché, je n’avais effectivement pas à chaque fois le même résultat, signe que l’aléatoire est bien là. Quitte à faire bien rager, car même à 95% dans une compétence, il restera toujours 5% de chances de rater son jet... Comme sur table !


O,D,I,L...

L’accent est mis sur les capacités de détective de Pierce : outre les indices et autres objets cachés disséminés ici et là, il peut mettre à profit ses pouvoirs surpuissants de détective dans des « scènes de reconstitution ». En quoi cela consiste ? C’est simple : une fois entré dans le mode reconstitution (en maintenant deux boutons de tranche pendant quelques secondes, idem pour en ressortir), à partir de quelques éléments de la scène comme une chaise renversée, un livre qui traîne ou une trace par terre, Pierce est capable de « voir » la scène comme s’il y était (juste un instant fugace, pas de dialogue). À partir de là, il peut faire des tests de compétences pour en apprendre plus sur la scène – dans l’hypothèse où on réussit à faire ses jets, bien entendu (si on les rate, Pierce ne fait que de vagues remarques ou des suppositions). Ces scènes de reconstitution sont un intermède intéressant pour en apprendre plus sur les différents protagonistes de l’histoire et constituent un intermède plutôt bienvenu entre deux scènes à possibilités multiples.

C’est ici l’un des quelques bons points du jeu : certaines scènes ont en effet plusieurs résolutions possibles (même si elles aboutissent toujours à la même chose après...), en faisant appel à plusieurs compétences. Si on est mauvais en Force, on peut toujours compter sur T.O.C. pour trouver un objet propice pour forcer un mécanisme par exemple et si on est mauvais dans les deux... Il faudra se servir de ses propres méninges ! Cela permet de reprendre un peu l’héritage du jeu de Chaosium, ce qui n’est pas une mauvaise chose à défaut de pouvoir compter sur la SAN...


Ah, mais oui tiens : quid de la santé mentale ?

J’y viens, j’y viens ! L’un des points centraux du jeu de rôle est le système de santé mentale (abrégé en « SAN ») couplé au Mythe de Cthulhu : plus le joueur a en Mythe, moins haut est le maximum de SAN et moins le personnage a de SAN (précieux points qu’il perd à mesure qu’il est confronté à des horreurs ou à l’indicible) plus il devient fou. Dans le jeu vidéo, pas de jauge de Mythe, déjà : on se contente de l’Occultisme qui fait office de remplaçant. Quant à la SAN... Il vaut mieux l’oublier (ah, je vois déjà des déçus dans le public). Il n’y a aucune conséquence à sombrer dans la folie et malgré toutes mes tentatives pour éviter au maximum les manifestations du Mythe, il m’a été strictement impossible de rester un minimum sain d’esprit. Je suis toujours passé du stade « Stable » au stade « Psychotique » sans jamais pouvoir changer le destin de Pierce et cela pour une bonne raison : les événements principaux sont tous inéluctables. À priori, j'ai raté une fin, donc il serait peut-être possible de limiter l'impact de certaines rencontres, mais j'ai du mal à voir comment (cela dit, je suis prêt à être surpris).

L’influence de certaines actions de Pierce est limitée (voire illusoire) et n’a de conséquences qu’en toute fin de jeu. Pour le reste, on passe toujours par les mêmes événements sans dévier d’un iota, qu’on décide d’être désagréable ou amical avec quelqu’un ou quelle que soit la façon de résoudre une énigme ou une situation.

On aurait pu compter sur le syndrome post-traumatique de vétéran de la 1ère guerre mondiale de Pierce, sur son alcoolisme et sur sa claustrophobie (sacré cocktail) pour donner du piment à ses explorations, mais encore raté. Son expérience de soldat est tout juste évoquée, son goût pour l’alcool influe son destin sans qu’on comprenne trop comment ni pourquoi et la claustrophobie consiste juste en un effet visuel vomitif et en des palpitations sourdes dès lors que Pierce est dans un conduit ou un placard. Et... C’est tout. De plus, on n’a aucune peur de se retrouver dans le noir total, car on a toujours de quoi recharger (à l’infini) sa lampe à huile et au pire on a son bon vieux briquet tempête.

J’ai passé 5 minutes dans un conduit dans le noir complet : pas de game over, pas de chute de SAN et une fois sorti l’effet mal de mer avait disparu en quelques secondes. Quand je vous dis que c’est inutile...


Attention, derrière toi, c’est affreux !

L’intrigue principale n’a donc aucune véritable variation possible et la sauvegarde automatique prive de tout retour en arrière. Cela ne serait pas dramatique si le jeu proposait de rejouer l’aventure à partir d’un certain chapitre pour changer ses choix, mais... Non. Si vous voulez tester un autre choix lors d’un dialogue, vous n’aurez aucun autre choix que de TOUT recommencer, autant dire que vous ne voudrez pas refaire le jeu dix fois, vu que les parties se ressembleront toutes. Si vous misiez sur un test de compétence pour valider un choix particulier, j’espère pour vous que vous aurez un max dans celle-ci, sinon vous risquez de rager.

La maigre consolation, c’est que refaire le jeu en entier ne vous prendra pas longtemps, grâce à la possibilité de passer rapidement les dialogues et les cinématiques (encore heureux !)... J’ai pu refaire le jeu en moins de quatre heures. Oui, vous avez bien lu. La première partie devrait durer une huitaine d’heures à tout casser, en fouillant le moindre recoin pour être sûr de ne pas avoir oublié là un livre ou un indice pour l’enquête...

Cela fait court et c’est d’autant plus fâcheux qu’on en voudrait plus, tellement plus. L’ambiance est bien là, l’histoire est prenante et on a envie de percer les mystères cachés derrière le décès de Sarah Hawkins, avec une scène finale grandiose qui aurait dû être le point d’orgue d’un jeu où la tension monte lentement, mais insidieusement. Hélas, les quelques (fortes) scènes où Pierce se fait baffer par le Mythe arrivent et repartent bien trop vite (même si c’est heureux pour lui, après tout plus on y est exposé, plus vite on devient fou...) pour faire oublier certaines autres scènes dont on viendrait presque à se demander « mais pourquoi je vois ça ? ». Pire, certains PNJs semblent importants, alors qu’au final c’est plutôt « tout ça pour ça ? ».
Il y a trop de questions que l’on se pose sur le jeu alors que paradoxalement on devine bien vite les tenants et aboutissants derrière les décès et l’épidémie qui surviennent sur l’île, pour peu qu’on trouve le maximum d’indices et qu’on soit un minimum rôdé aux histoires du Mythe. Au rayon des petites déceptions, on trouve aussi que certaines compétences sont (bien) plus utilisées que d’autres, qui sont quasi inutiles. Investigation et T.O.C. sont ainsi (logiquement) primordiales, tandis que je cherche encore l’utilité de la Force et de Médecine Légale pour l’enquête. Et j’ai fini le jeu cinq fois (en une semaine).


Mais alors en fait, c’est nul ?

Alors non, je ne dirai pas ça. Le jeu n’est pas « mauvais ». Il est loin d’être un chef-d’œuvre, mais il est plein de bonnes idées qui auraient vraiment mérité d’être poussées plus loin, comme par exemple en donnant de vrais chemins différents selon ses choix (et non pas juste quelques fins possibles) ou en implémentant un vrai système de SAN. Les chapitres ne sont pas très longs et les derniers s’enchaînent diablement vite.

Côté technique, dans l’ensemble les graphismes sont très acceptables, les décors sont généreux en détails et les PNJs principaux ont des « tronches »... Pas comme tout le reste de la population locale qui consiste pour la plupart en des clones moustachus et grêlés. La bande-son efficace renforce l’immersion, si on écarte quelques bruitages plutôt douteux, et l'animation reste un des parents pauvres.
En définitive, si je devais qualifier le jeu en un seul mot, ce serait « frustrant ». On sent que le jeu est plein de bonne volonté, on sent l’amour du jeu de rôles, mais ce n’est pas suffisant pour faire un grand jeu : c’est quand on l’a terminé qu’on entrevoit tout ce qu’il aurait pu – et dû – être. Et c’est ça qui est frustrant.

Test réalisé par Bardiel Wyld à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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