Test de Pokémon Let's Go - entre tradition et énormités

Pokémon arrive pour la première fois sur Switch. Contrairement à toutes les premières apparitions de la série sur une nouvelle console Nintendo, ce n'est pas par le biais d'un nouveau jeu, mais d'un remake un peu spécial. Est-ce une fois de plus une réussite ou plutôt un produit bâclé pour Noël ? On essaie d'y voir plus clair.

L'annonce de Pokémon : Let's Go début mai avait vivement divisé les amateurs de petites bêtes à collectionner. Le Nintendo Direct de l'E3 2017 avait annoncé une nouvelle génération pour 2018 et voir un deuxième remake des premiers jeux avait fait l'effet d'une douche froide. Pourtant, il fallait attendre d'avoir le jeu entre les mains pour en avoir le coeur net.

Kanto n'a plus rien de spectaculaire à donner

Pokémon Let's Go Pikachu et Pokémon Let's Go Évoli sont des remakes des toutes premières versions et particulièrement de Pokémon Jaune. Ici, vous ne choisissez pas votre starter en jeu : il dépend de la boîte que vous avez achetée. Le scénario est exactement le même qu'il y a vingt ans : vous devez récolter les 8 badges puis devenir Maître Pokémon en déjouant les plans de la Team Rocket. Aucune nouveauté de ce côté-là à part de menues interventions de quelques personnages plus ou moins connus de la saga : le scénario, déjà très léger à l'époque, paraît totalement en décalage avec ce qu'on a pu voir depuis Noir & Blanc.

La différence avec les précédents remakes (VertFeuille/RougeFeu, Or Heartgold/Argent SoulSilver, Saphir Alpha/Rubis Oméga) est que Let's Go prend une direction proche de Pokémon Go, le jeu mobile de Niantic. La principale nouveauté est que vous voyez dorénavant les Pokémon sauvages sur la carte. Et ça, c'est une véritable bonne idée. Si les rencontres aléatoires ont à l'origine été incorporées pour correspondre aux limitations techniques des anciennes consoles Nintendo, cette nouvelle direction donne un vrai souffle frais à la saga, rendant les zones beaucoup plus vivantes et agréables à parcourir. Malheureusement, cette excellente idée se heurte à des choix de game design autrement plus discutables.

Game Freak a pris le parti de reproduire Kanto à l'identique, le plus fidèlement possible. Le problème, c'est que la région semble totalement plate et terne en dépit de couleurs chatoyantes. Il faut dire que depuis le travail fait sur les paysages et les dénivelés de Soleil et Lune, ces zones rectangulaires et plates font pâle figure. Par conséquent, le contraste entre ces zones vieillissantes et les Pokémon visibles sur la carte est saisissant.

D'une part, les Pokémon semblent enfermés dans des chambres d'étudiant du Crous, car ils ne peuvent presque pas se déplacer. La disposition des hautes herbes et des personnages, autrefois pensée pour avoir à choisir entre risquer les apparitions de Pokémon sauvages ou les combats contre les dresseurs, semble assez bancale et il est possible d'esquiver un peu tout ce que l'on veut. D'autre part, l'une des autres nouveautés agréables du jeu, à savoir les Pokémon qui peuvent nous suivre ou nous servir de monture, est gâchée par cette conception figée de Kanto. Pouvoir chevaucher un Dodrio ou voler sur un Dracaufeu, c'est une bonne idée, mais être bloqué entre des surfaces très étroites ou par des murs invisibles qui servent de limites aux différentes zones ruine totalement l'immersion.

Et les mauvais choix de game design ne s'arrêtent pas là. Dans le souci de faire un épisode très accessible, Game Freak a tranché dans la richesse de Pokémon avec un couperet de boucher. Tout d'abord, le nombre de Pokémon s'arrête aux 151 premiers, plus deux nouveaux (qui s'obtiennent via Pokémon Go) et la petite vingtaine de formes d'Alola introduites dans Soleil et Lune. Si la carte de la nostalgie est jouée à fond, on tourne rapidement en rond et l'impression de voir les mêmes dresseurs avec les mêmes Pokémon est plus présente que jamais.

Des essais peu concluants

Le coeur du jeu lui-même a été touché. Maintenant, les combats contre les Pokémon sauvages n'existent plus et laissent place à un système de capture proche de Pokémon Go. Si le système peut plaire à certains, la réalisation est pour une fois imprécise puisque le gyroscope imposé est trop souvent capricieux, vous faisant envoyer des Pokéball dans l'espace alors que vous visez correctement. Et vous n'y couperez pas : dans Let's Go, c'est la capture en chaîne de Pokémon qui rapporte le plus d'expérience. Vous passerez donc le plus clair de votre temps à agiter votre Joy-Con (ou votre accessoire Pokéball, qui n'apporte rien de bien intéressant, si ce n'est le Pokémon Mew) ou à viser avec votre Switch en mode portable tout en espérant que vos mouvements seront correctement pris en compte pour entraîner vos Pokémon.

Les combats contre les dresseurs changent assez peu de ce que l'on connaît sur la forme. Par contre, sur le fond, Game Freak a décidé de simplifier le système, mais d'une façon qui n'a pas grande cohérence. Les Talents (des capacités passives propres à chaque Pokémon qui ajoutaient de la profondeur stratégique) ont disparu, tout comme les objets à tenir. Par contre, les Natures (qui augmentent une statistique et en baissent une autre de 10%) sont bel et bien présentes. Certaines distributions d'attaques sont assez étranges aussi, comme les Pièges de Roc (qui retirent un pourcentage de points de vie à chaque fois que l'adversaire change de Pokémon) qui sont disponibles assez largement alors qu'il n'y a plus aucun moyen de les retirer (rendant ainsi les Pokémon qui les craignent très difficiles à aligner). Le système d'EV (qui permettait de spécialiser un Pokémon en l'entrainant sur deux statistiques précises) a disparu, laissant place à un système de bonbons tiré de Pokémon Go. Ainsi, il vous faudra capturer en chaîne plusieurs centaines d'exemplaires d'un Pokémon donné pour en optimiser un. Je n'ai personnellement pas eu la foi de continuer après le 53ème Pikachu qui a fui, le tout pour 27 bonbons Pikachu, mais le joueur Taahd de la section Pokémon a lui décidé d'aller plus loin avec une chaîne de plus de 300 Soporifik qui lui a permis de gaver le sien au point d'avoir un Pokémon niveau 19 plus puissant qu'il ne le serait normalement au niveau 100...

Le jeu en lui-même ne propose pas vraiment de challenge, surtout si vous faites une pause pour récolter les bonbons liés à votre Pokémon de départ. Votre Pikachu (ou Évoli) est plus puissant que ses congénères et est capable d'apprendre des attaques inédites très puissantes qui vous permettent de rouler sur le contenu. Vous pouvez également jouer en coopération, mais vous affronterez les pauvres dresseurs à deux contre un, tuant toute espèce de notion de difficulté.

Un enrobage bon, mais sans plus

Visuellement, ça reste coloré et vivant, mais extrêmement décevant pour un jeu Switch qui nous a offert des merveilles telles que Zelda: Breath of the Wild. Les graphismes en eux-mêmes ressemblent beaucoup à ce qu'on pouvait avoir sur 3DS en haute définition (les jeux Pokémon 3DS comportaient des textures compressées que certaines personnes ont réussi à afficher en HD et le résultat était proche de ce qu'on a aujourd'hui sur Let's Go) et les animations en combat sont tantôt très soignées, tantôt totalement bâclées, comme les attaques de coups de pied qui affichent de moins beaux mouvements que Pokémon Stadium sur Nintendo 64. Et le pire dans tout ça, c'est le manque d'optimisation du tout, puisqu'on observe des baisses de framerate dans certains endroits bien précis, ce qui est tout sauf agréable. Par contre, les quelques cinématiques qui agrémentent l'aventure sont généralement bien réalisées et certaines réveillent des souvenirs datant de très longtemps.

Cela dit, il faut toutefois accorder que les réarrangements musicaux sont dans l'ensemble de bonne qualité même si on n'a que trop entendu les airs en question et que la traduction française a une fois de plus fait un excellent travail avec quelques petites perles disséminées dans différents endroits du jeu.

Une durée de vie artificielle

Pokémon Let's Go est le second remake de Kanto après VertFeuille et RougeFeu, mais il est plus chiche en contenu. Là où les opus Gameboy Advance proposaient une extension du scénario avec des îles à parcourir une fois la Ligue passée, Let's Go propose un simulacre de contenu avec les Experts Pokémon. Il s'agit de 151 dresseurs spécialisés dans un Pokémon que vous ne pouvez battre qu'avec ce même Pokémon. Il faudra donc au préalable avoir gavé le vôtre avec plus d'une centaine de bonbons, impliquant donc d'avoir capturé au moins autant de ce même Pokémon à la chaîne - et bien sûr, après, il faudra le monter au moins niveau 70. Puis, recommencer pour les 150 autres (même si il est possible d'optimiser le tout en ne faisant évoluer un Pokémon qu'après avoir battu l'Expert en question). Seuls les fervents adeptes de capture de Pokémon chromatique relanceront régulièrement le jeu puisque le système de Pokémon visibles sur la carte offre des horizons nouveaux.

 

Le mot de la fin... en attendant 2019

Pokémon Let's Go Pikachu et Let's Go Évoli sont très certainement les plus mauvais jeux Pokémon sortis à ce jour. Il s'agit de remakes extrêmement paresseux qui jouent à fond sur la corde de la nostalgie. Le problème, c'est que cette corde commence sévèrement à s'effiler tant on nous propose de retourner dans des lieux vus et revus, le tout avec trop peu d'innovations de qualité. Pourtant, il y aurait eu l'occasion de taper très fort avec un Kanto entièrement revisité vingt ans après les premiers opus, dans lequel le joueur aurait pu suivre l'évolution du territoire ainsi que des personnages emblématiques de la saga.

Forcément, j'ai bien conscience que ce jeu ne m'est pas destiné, à moi et aux autres vieux briscards qui passent plusieurs centaines d'heures sur chaque jeu Pokémon, et que l'objectif est de ramener les joueurs de Go et de proposer une expérience très accessible pour les nouveaux joueurs, mais Game Freak aurait pu le faire avec plus de soin, autant dans les mécaniques du jeu que dans les graphismes ou dans de la réappropriation de la région de Kanto. Là, on a une expérience totalement oubliable pour peu que la capture de Pokémon chromatiques ne soit pas votre tasse de thé et le jeu retournera dans sa boîte une fois la Ligue passée. Pour le coup, si vous voulez votre petit shot de nostalgie, ressortir votre version VertFeuille ou RougeFeu sera plus simple et économique.

Normalement, une vraie nouvelle version avec, je cite, "les meilleurs graphismes de toute la série" sortira en 2019. Reste à espérer qu'ils ne tirent que les bonnes idées de Let's Go et qu'ils ne forcent pas avec cette inspiration Pokémon Go. Les publics mobile et console ne sont pas les mêmes et essayer à tout prix de les réunir peut s'avérer préjudiciable pour la cohérence de la saga.

 Test réalisé par Malison à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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