Test de Stygian: Reign of the Old Ones - ça fait mal au Cthulhu

Après les AA de Cyanide et de Frogwares, c'est au tour d'un modeste studio turc de rentrer dans la danse en l'espace de quelques mois pour nous faire vivre la folie de l'intérieur du Mythe de Cthulhu. La ligne directrice est radicalement différente, mais le constat est cruel quand les bonnes idées sont piétinées par une réalisation laissant à désirer.

Stygian: Arkham Asylum

Fruit d'un projet Kickstarter datant de 2016, Stygian: Reign of the Old Ones n'est pas là pour enfiler des perles ni pour vous prendre par la main. La cinématique d'introduction met directement dans l'ambiance : la petite ville d'Arkham a disparu du Massachussets originel et se retrouve à présent piégée dans une autre dimension, et vous avec, sans qu'on sache ni pourquoi ni comment.
Devinez à qui il revient de trouver l'anguille sous roche ? Bingo, c'est bibi ! La majorité des autres habitants d'Arkham ayant perdu l'espoir ou la raison - ou les deux -, il faut compter sur vous-même et sur quelques compagnons fidèles et d'infortune pour revenir à la m(r)aison.
Néanmoins, avant cela, le jeu propose d'abord de personnaliser entièrement son protagoniste, en distribuant des points entre 6 caractéristiques (fixes, n'évoluant jamais après) et nombre de compétences. Chaque caractéristique a une incidence directe ou indirecte sur des capacités comme la recherche (médicale, occulte, scientifique), les défenses (physique, surnaturelle) ou même les points d'action ou de vie / santé mentale bien sûr.


La fiche est relativement complète et si vous voulez minimaxer votre personnage comme tout bon joueur de jeux de rôles, il vous faudra lire attentivement les aides s'affichant en survolant chaque ligne de la fiche. On choisit aussi sa tranche d'âge (un personnage jeune ayant plus de points à dépenser dans les caractéristiques physiques, mais moins dans les facultés intellectuelles et vice-versa pour les personnages âgés), son sexe et sa "voie" : est-il théologien, athée, matérialiste, acquis à la cause du Mythe... ? Ce choix influe directement sur les regains de santé mentale en cours de jeu, c'est donc un élément à ne surtout pas négliger (ainsi que pour le roleplay).
Si tout cela vous saoule, vous avez aussi la possibilité de trouver un personnage pré-tiré parmi... Un sacré paquet d'archétypes ! Là encore, on ne peut pas dire que c'est incomplet et le jeu offre le luxe du choix, au point qu'on ne saurait presque pas choisir. Jusque-là, le jeu glisse le curseur très loin vers le jeu sur table en comparaison des autres AA évoqués plus tôt et ce n'est pas fini.

Le loueur du grenier

Notre protagoniste se réveille dans le grenier d'une taverne peu reluisante par une nuit sombre alors qu'une silhouette d'un homme lugubre aux traits indéfinissables se tient devant lui, en costume complet et haut-de-forme, tenant une lanterne et enjoignant à le suivre dans la nuit. Premier réflexe salvateur, prendre la lanterne à proximité avant de lui emboîter le pas. Dans la rue déserte, des visions commencent à apparaître à chaque pas, de couples s'enlaçant et commençant des danses dans une atmosphère chaleureuse autant que faire se peut ; les visions prennent très vite une autre tournure et la terreur rattrape vite l'infortuné qui s'écroule soudainement. C'est au matin que l'on se réveille de nouveau dans le grenier alors que l'homme lugubre ("Dismal man" en VO) nous enjoint encore, dans un coin de notre tête, à venir le trouver. Comme de coutume dans les jeux où le Mythe est présent, l'ambiance est assez peu optimiste et l'heure n'est plus aux gâteaux : la majorité des (quelques) habitants d'Arkham sont aussi austères que la palette de couleurs judicieusement choisie du jeu et la menue monnaie n'a plus cours, remplacée par les cigarettes représentant un poison salvateur qui tue autant à petit feu que le monde où ils vivent à présent.

La ville est tenue de main de fer par une mafia impitoyable et les quelques magasins présents n'inspirent pas confiance - à part éventuellement l'antiquaire qui a peut-être quelque chose à cacher, mais qui reste néanmoins l'un des moins désagréables tenanciers.
Mieux vaut ne pas rester seul pour affronter l'horreur ; à cet effet, on peut (et doit) recruter jusqu'à deux compagnons et un joker bonus pour nous suivre sur cette route semée de monstruosités, de membres du Culte et de rencontres aléatoires en pleines terres sauvages.

Fuyez, pauvres fous !

Le jeu ne se limite pas à la seule Arkham et on peut voyager entre différents points de la carte, mais pas en voyage rapide comme on y est maintenant habitué : l'enfer est pavé de bonnes interventions aléatoirement générées et le petit groupe peut aussi bien tomber sur des agresseurs sanguinaires que sur une sous-quête, un potentiel allié ou du matériel qui peut être précieux. Cela peut être aussi un événement provoquant des détours ou faisant perdre de précieux points de vie ou de santé mentale. Pour ceux qui ont joué au jeu de plateau Horreur à Arkham, je comparerais cela aux événements qui surviennent dans une autre dimension. Pour récupérer les précieux points perdus ou faire des recherches sur les artefacts récoltés (leurs pouvoirs et malédictions étant inconnus par défaut), des recherches sur des produits pharmaceutiques ou technologiques, lire des livres, apprendre des sortilèges ou même simplement converser avec ses compagnons, il est possible de se reposer au coin du feu sur la route moyennant un nécessaire de couchage - mais même là, on risque l'embuscade, gare...

Dans les indispensables, mis à part les sacs de couchages, il faut aussi impérativement faire le plein de rations (qui s'accumulent dans l'inventaire en "rations", quel que soit le type de conserves que vous achetez) et de kérosène pour votre lampe (ajouté automatiquement à votre réserve)... Sans rations, vous risquez la famine et sans lumière dans la pénombre voire l'obscurité totale, vous risquez non seulement les pertes de santé mentale en pagaille, mais en plus les compétences de combat diminuent drastiquement. Or, ça vous ne voulez pas que ça arrive ! Les recherches effectuées par vous ou vos compagnons débloquent des "recettes" d'objets à fabriquer, que ce soient des seringues de laudanum pour récupérer vie et santé mentale, doses de morphine ou même des systèmes d'alarmes et des robes de cultiste. Votre inventaire se remplit vite de composants divers et variés pour le craft, entre seringues et bouteilles vides, opium, cloches, écrous, fil et aiguille...
Les compagnons ont aussi une importance à ce sujet, car non seulement ils peuvent faire des recherches, mais ils peuvent aussi fabriquer des objets, selon les compétences que vous leur allouez : ils gagnent en effet des niveaux en même temps que vous et il est bon de varier les points forts de chacun pour les concentrer vers des compétences différentes. Jusqu'à présent, les compagnons ne pouvaient pas fabriquer d'objets suite à un bug corrigé (j'y reviens plus tard), mais c'est à présent réglé.


Au niveau des combats, cela se déroule selon un système de points d'actions, l'initiative étant décidée avec une part de hasard, bonus et malus pouvant être accordés. Les munitions se font rares au début donc comptez vos balles si vous utilisez des armes à feu ! Les sortilèges coûtent cher en santé mentale comme il se doit et des raccourcis accessibles via un clic droit permettent d'utiliser des objets en cours de combat. Attention à bien les ajouter avant les combats dans votre inventaire, car consulter son inventaire coûte 5 points d'action, équiper ou déséquiper un objet en coûte 1... Sachant que mon occultiste, par exemple, a 7 points d'actions, vous imaginez ma douleur lors de certains combats acharnés. Stygian: Reign of the Old Ones se joue entièrement à la souris et au clavier (pour les raccourcis qui marchent), dans des graphismes 2D sympathiques sans être des chefs-d'oeuvre. Les animations sont aussi relativement propres, là-dessus rien à dire. L'histoire principale et les quêtes secondaires sont aussi originales, l'écriture a fait l'objet d'un soin particulier et ça se ressent fortement ; on regrette par contre l'évocation de lieux emblématiques comme Kingsport ou Innsmouth sans avoir l'occasion d'y mettre les pieds. Hélas le jeu a beau être bien emballant, il est très mal emballé...

 

Sa majesté des bugs

L'équipe du studio Cultic Games a fait un très bon boulot sur les points mentionnés, mais il manque cruellement d'une phase d'assurance qualité qui aurait détecté la pléthore de bugs dont il souffre malheureusement. C'est un véritable gâchis tant le jeu a de choses à offrir : il ne manque pas de qualités, mais l'avalanche de bugs à sa sortie et l'équilibrage mal fichu noircissent irrémédiablement le tableau. J'ai déjà évoqué le fait que les compagnons ne savaient pas fabriquer d'objets (jusqu'au patch du 30 septembre, apparemment) ; je ne compte même plus le nombre de fois où une action quelconque a fait planter l'interface du jeu, qui ne répondait plus à rien si ce n'est la touche Escape ou le Alt-F4, et il m'est aussi arrivé une fois ou deux de devoir tuer le processus du jeu dans le gestionnaire de tâches. 

Certains raccourcis ne marchent pas et les paramètres ne sont pas sauvegardés entre les parties, voire sont réinitialisés à chaque fois qu'on revient au menu principal. Le choix de la résolution est complètement pété et je déconseille à quiconque de changer la langue du jeu : parfois, les variables du jeu apparaissent en lieu et place des textes, parfois le jeu n'est pas traduit et, cerise sur le gâteau, certaines phrases n'apparaissent carrément pas en français. Je pense tout particulièrement à un choix de dialogue censé terminer une quête secondaire que j'ai cherchée pendant 1/2h avant de changer la langue du jeu pour la voir enfin apparaître...
Dans les combats, cliquer sur un raccourci de sort du menu radial qui serait par-dessus le corps d'un ennemi fait se déplacer le personnage pour fouiller l'ennemi (et le sort ne se lance pas). Tenter deux actions différentes quand on a des points d'action en rab peut parfois faire bugger l'interface. Il est quasi impossible de cliquer sur un hexagone pour se déplacer si le corps d'un ennemi y est, au lieu de cela on le fouille (idem quand on veut lancer un sortilège). Impossible de trier l'inventaire qui lui-même est buggé jusqu'à l'os et sans indications on achète parfois plusieurs fois le même item en pensant que le précédent achat n'avait pas marché alors que ça l'a simplement transformé en autre chose dans l'inventaire (je pense aux rations ou au kérosène...). Et j'en passe... 

Mention spéciale au combat obligatoire (dans l'histoire) dans lequel je suis bloqué sans pouvoir m'en sortir vivant en une quarantaine d'essais. Délice supplémentaire, les deux ou trois fois où j'ai réussi à force de succès critiques et de malchance de l'ennemi à quasi l'emporter, un énième bug d'interface ne m'a pas permis de finir le combat. J'en suis très probablement presque à la fin. Je n'ai donc pas pu terminer le jeu, victime du manque d'un tank dans mon équipe alors que les adversaires pouvaient me tuer un personnage voire deux par tour de jeu. J'en ressors d'autant plus frustré que j'avais bien accroché à l'histoire et attendais son dénouement avec impatience !


En résumé, Stygian: Reign of the Old Ones sera un bon petit jeu indé à n'en pas douter ; mais il faudra attendre quelques semaines le temps que les multiples patchs corrigent la ribambelle de bugs pourrissant aussi sûrement l'expérience qu'un Flétrissement à l'ancienne. Prenez votre mal en patience, car quand il sera enfin d'aplomb, le jeu en vaudra clairement la chandelle... Mais en l'état, certainement pas. Mettez-le de côté dans votre liste de souhaits et dès qu'il sera enfin beau comme un Mi-go, foncez dessus.


Test réalisé par Bardiel Wyld à partir d'une clé fournie par le développeur.

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