Interview de Maxence Charlés, animateur 3D

Bonjour à toi et merci d’avoir accepté cette interview. Tout d'abord, est-ce que tu pourrais nous parler un peu de toi et de ton parcours dans le monde du jeu vidéo ?

Bonjour, merci à toi ! Je m’appelle Maxence Charlés. J’ai démarré de manière assez atypique même si je joue aux jeux vidéo depuis mon plus jeune âge. À la fin de mon bac, j’avais l’envie de devenir gendarme, mais pas de bol je suis daltonien ! Je me suis alors tourné vers une de mes passions : le dessin. J’avais un ami qui faisait justement des études d’infographie et je m’y suis un peu plus intéressé.

Interview de Maxence Charlés, animateur 3D

Je n’avais pas forcément l’envie de faire un parcours dans le jeu vidéo, mais, alors que je devais chercher un stage, j’ai répondu à une annonce très vague cherchant un stagiaire animateur. Il s’est avéré que c’était pour le projet du jeu Shiness du studio Enigami. À la fin de mon stage, je me suis dit : « Mais pourquoi je vais retourner à l’école alors que j’étais sur un projet qui avait le potentiel d’aller loin et de m’aider à gagner de l’expérience dans l’animation ? ». J’ai finalement décidé d’arrêter mes études pour me concentrer à fond sur Shiness et mon apprentissage de l’animation 3D. Pendant un an et demi, j’ai bossé sans gagner le moindre centime et ensuite les évènements se sont enchaînés (Kickstarter, partenariat, …). Malheureusement, les mauvaises expériences au sein du studio se sont enchaînées et j’ai donc décidé de partir avec l’envie de reprendre un de mes projets de vie perso : le Canada.

Il fallait donc que je trouve un nouveau travail et j’ai donc bombardé la région lilloise ainsi que la région parisienne. Fort de mon expérience sur Shiness, j’ai eu la chance de décrocher quelques entretiens et notamment chez Ubisoft à Paris. C’était pour moi l’opportunité à ne pas louper ! Je débute sur le projet Mario et les Lapins Crétins… Imaginez mon étonnement quand on me dit que je vais travailler sur un jeu Mario dans un studio Ubisoft.

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Après quelques mois, j’ai annoncé que j’avais obtenu mon visa pour le Canada et donc mon départ futur malgré mon envie de rester chez Ubisoft. On m’a alors proposé un entretien pour Ubisoft Montréal qui recherchait un animateur 3D pour la licence Assassin’s Creed. Je décroche le poste et là c’est la fête du slip. J’ai un poste incroyable pour une licence que j’adore dans le pays où je veux vivre. J’ai donc travaillé sur Assassin’s Creed Origins en cinématique, pour la branche Helix qui fait de la création de teaser et pour Far Cry New Dawn pour de l’animation gameplay

Actuellement, je suis du coup toujours à Montréal et je travaille actuellement sur un titre qui a été annoncé il y a peu : Assassin’s Creed Valhalla, pour lequel je m’occupe de la partie animation gameplay sur le système de combat.

Qu’est-ce qui t’as poussé à devenir animateur 3D ?

C’est vraiment le fait qu’un prof me dise que j’étais plutôt bon là-dedans qui m’a poussé à m’y mettre sérieusement. Même si ça peut sembler « ingrat » quand on voit le temps passé pour quelques secondes d’animations, j’adore cela et voir le résultat de mon travail. Donner vie à des personnages, c’est vraiment quelque chose de magique.

Animateur 3D, c’est un titre qui sonne assez vague au final, tu peux nous en dire plus sur ce métier ? (En quoi cela consiste ? Quels sont les domaines d’expertises ? ...)

L’animation 3D, c’est en effet large. D’un côté, tu as tout ce qui est cinématique et de l’autre le gameplay. La première consiste à créer des phases narratives du jeu vidéo de manière cinématographique. La deuxième, c’est l’animation des personnages dans le jeu (le combat, les déplacements, …). Chaque animation de personnages, par exemple un déplacement, est un ensemble de plusieurs animations qui s’enchaînent et finissent par créer une boucle.

Soit on anime nous-mêmes les personnages, soit on utilise les images de la motion capture. Concernant ces dernières, c’est généralement du travail en finesse où nous devons retoucher les différentes images pour qu’elles paraissent plus réaliste.

Par exemple, dans la vidéo dans laquelle on voit Hypatos contre Bayek (tout début du jeu), on peut voir que Bayek bloque avec son bouclier le coup de massue d'Hypatos. Dans la motion capture, avec les acteurs donc, le coup atteignait directement Bayek au ventre. Cela n'avait pas vraiment de sens qu'il se prenne une massue remplie de pics dans le ventre et s'en sortent indemne. Nous avons donc travaillé sur les images de motion capture en rajoutant l'animation du bouclier, car il n'est pas possible de refaire venir les acteurs et de retourner l'ensemble en motion capture.

On entend souvent des gens qui critiquent les animations dans un jeu notamment sur la manière d’un personnage de se déplacer. Quels sont les difficultés qu’on rencontre dans l’animation et est-ce que la pression est importante, finalement ?

L’animation, c’est un domaine particulier dans le jeu vidéo parce qu’on a des contraintes que d’autres non pas. Nous avons à la fois l’objectif que ce soit réaliste, mais aussi optimisé et surtout réactif (agréable à la manette par exemple).

Par exemple, Red Dead Redemption 2 a connu des critiques sur sa réactivité parce qu’ils ont pris le parti de pousser plus loin le réalisme au niveau des animations. La réactivité est vraiment importante dans l’animation de gameplay et il faut donc jauger correctement avec le réalisme.

Malheureusement, on peut aussi connaître des soucis de délais, car nous avons des deadlines à respecter, mais aussi techniques.

On entend souvent parler de crunch dans l’industrie du jeu vidéo. Pour rappel, ce mot caractérise une période intense de travail et une pression importante sur les employés de l’industrie. Qu’est ce que tu penses de ce type de pratique ? 

Personnellement, je n’ai jamais vécu une période de crunch dans mon domaine ou ici à Ubisoft Montréal. Nous avons eu des périodes d’heures supplémentaires, mais cela reste assez rare dans l’ensemble. (Et elles sont bien entendus compensées).

Honnêtement, sans être corporate, au sein d’Ubisoft Montréal (et même Paris), on a vraiment des conditions de travail exceptionnelles. J’ai plus l’impression que la philosophie ici est le marathon plutôt que le sprint. Qu’un travailleur heureux d’être à son boulot le rendra inévitablement dans on travail. Je pense que le crunch ne peut pas permettre cette philosophie. Ici, nous avons des salles de sport, des tournois sportifs entre les différentes équipes (Hockey, football, …). On a même eu droit à des massages par des professionnels avant d’entamer nos heures supplémentaires !

Le crunch est, à mon sens, une pratique contre-productive. Nous faisons de l’art et aucun artiste n’a envie d’exercer son art sous la pression ou la fatigue. On ne peut pas sortir le meilleur de soi-même dans ces conditions.

Tu vis actuellement au Canada, mais tu as connu aussi ce travail en France. Est-ce qu’il existe des différences dans le travail d’animateur 3D entre les pays/continents ?

La différence principale est le code du travail. Cela m’a permis d’avoir un contrat à durée indéterminée plus facilement au Canada qu’en France. Après, au niveau de la pratique, il n’y a pas vraiment de différence. Après, les mentalités sont aussi différentes, bien entendu. 

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On approche de plus en plus de la prochaine génération de console. Est-ce que cela à un impact sur ton travail et sur les outils que tu utilises ?

Alors, malheureusement, je n’ai pas trop le droit d'en parler et même moi qui bosse à l’intérieur, je ne suis pas au courant de tout ce qu’il se passe (et même si je le savais, je n’aurais pas le droit d’en parler !)

Mais clairement, cela a un impact et on est comme tous les joueurs, très excités à l’idée d’aborder une nouvelle génération de console, mais aussi excités de voir l'accueil que la communauté fera à cette nouvelle génération.

J’aimerai devenir Animateur 3D, quels sont tes conseils ?

De la patience avant tout, car il faudra parfois passer trois jours pour animer deux secondes !

Il y a un dicton que j’aime bien qui est : « Les détails font la perfection et la perfection n’est pas un détail » (NDR : J’ai appris à Maxence que cela venait de Léonard De Vinci). Pour moi, ça résume bien l’animation. Une bonne animation se verra au niveau des détails qui feront la différence.

Il faut être conscient que c’est un métier dans lequel on évolue constamment. Il faut sculpter son œil en décortiquant des animations d’une secondes et en repérant ce qui fonctionne ou non. Cela demande du temps, beaucoup de travail et d’expérience.

Quels sont tes projets futurs ?

Alors, tous les projets chez Ubisoft sont bien entendus confidentiels, mais j’ai deux projets de mon côté. J’ai rejoint un projet bénévole de web série qui s’appelle : « L’incroyable Odysée ». Un projet amateur dans un univers fantastique un peu loufoque. C’est du cinéma et ils cherchaient un animateur 3D pour les effets spéciaux. Vous pouvez retrouver leur chaîne en cliquant sur ce lien !

Mon autre projet, c’est un petit film d’animation dont je m’occupe et qui va encore me prendre quelques années. L’idée est de raconter l’histoire de mon arrière-grand-père. Je travaille dessus de temps en temps quand j’ai du temps libre. C’est un projet qui me tient à cœur et que j’espère mener à bien !

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