Test de Shenmue 3 - Une oeuvre intemporelle

Alors que le premier opus est sorti en 1999, le créateur Yu Suzuki est passé par le financement participatif pour enfin poursuivre l'histoire de Shenmue. Le résultat avec ce troisième épisode est bel et bien un jeu d'un autre temps.

Pour la petite histoire

Avant de commencer, il faut bien voir que Shenmue III est la concrétisation d'un rêve. Celui de voir une épopée vidéoludique se poursuivre après une interruption de dix-huit années. Nombreux sont les joueurs à avoir suivi les pérégrinations du créateur japonais Yu Suzuki depuis son départ de Sega en 2003, alors qu'il y avait créé des jeux d'anthologie tels que Space Harrier, Virtua Fighter, Out Run ou After Burner. Son influence est significative aux prémices de la 3D, d'autant plus que Shenmue a définitivement ouvert l'horizon des jeux d'aventure, porté par des superbes graphismes et une bande-son magnifique.

Shenmue III

Le développement du premier Shenmue avait débuté sur la console Sega Saturn -- d'ailleurs présente dans le tiroir d'une commode sur le troisième opus --, avant de basculer et de se concrétiser sur Dreamcast en 1999. Malgré un certain succès, le budget significatif des deux premiers épisodes contribue à la fin du constructeur de consoles Sega. La saga de Shenmue, nous mettant dans les pas de Ryo Hazuki, a donc été interrompue. Le seul but de cet adolescent japonais à la vie jusqu'alors tranquille est de venger son père, tué sous ses yeux. L'enquête pour retrouver son meurtrier débute dans la ville japonaise de Yokosuka, vivante et fourmillant de détails inutiles. Le temps s'écoule lentement avec une importance certaine, du jour à la nuit quand il est nécessaire d'aller se coucher. Le jeu s'inscrit dans un quotidien, dans lequel il faut travailler en parallèle pour avoir de l'argent de poche à dépenser à la salle d'arcade.

Un journal de bord conserve chaque étape de nos péripéties, laissant définitivement des blancs pour les rendez-vous manqués. Le fil rouge se déroule par brides, s'étirant à chaque indice glané au gré d'une conversation. Certains échanges se font toutefois avec les poings, fort de l'influence de Virtua Fighter sur fond d'arts martiaux. Pour d'autres séquences, il faut user de réflexes en appuyant sur la bonne touche durant les cinématiques, l'arrivée des QTE dans les jeux vidéo. Avec Shenmue II, Ryo Hazuki débarque à Hong Kong avant de découvrir une Chine plus profonde. Après une rencontre prédestinée et l'ascension d'une colline, une part de mystique fait son apparition dans Shenmue, avant de se muer en un silence de dix-huit années.

Après la mise en pause de la saga Shenmue et son départ de Sega, le concepteur Yu Suzuki s'est tout simplement perdu parmi quelques productions -- dont un Shenmue Online -- bien éloignées de son prestige d'antan. Loin des yeux, mais pas loin du coeur de nombreux joueurs désireux de conclure une histoire toujours inachevée, Yu Suzuki refait surface en 2015 avec une campagne Kickstarter pour financer une suite à Shenmue. Le rêve peut enfin prendre forme, le réveil est aujourd'hui.

Le temps de Shenmue III

Il faut débuter Shenmue III par le film récapitulatif proposé dans le menu, permettant de se rafraîchir la mémoire au niveau de l'histoire. Le petit film peut également expliquer au nouveau joueur pourquoi il débute sans réelle introduction dans un trou perdu au fond de la Chine. Par ce biais, on réalise également le gouffre technique séparant Shenmue III de ses prédécesseurs. Il faut bien dire que cet épisode est somptueux en comparaison d'une production Dreamcast. Les décors posent un cadre enchanteur de type carte postale, jusqu'au moment où l'on bouge et l'on réalise que des éléments de décors apparaissent au fur et à mesure. On descend donc de la fameuse colline -- et de son nuage -- pour se plonger dans la suite de l'histoire, faisant fi des considérations techniques pour envisager d'en profiter réellement. Je râle, mais l'ambiance est bien au rendez-vous. Il faut juste ne pas aller trop dans le détail, au risque de constater que toutes les fenêtres du patelin ont la même texture.

Shenmue III

Des voyous sont passés avant nous, le fil rouge de cet épisode. On récolte des indices pour les retrouver, rendant des services ou jouant le jeu des habitants d'un petit village rural dans une Chine des années 80 pour les rendre loquaces. On s'approprie ce lieu unique que l'on arpente un temps certain dans tous les sens, avec personnellement un vrai plaisir de rendre visite à un vieux sénile à la tête d’oignon et aux réponses évasives. Par contre, il est loin d'être le seul à coté de la plaque dans ses répliques, manquant souvent de naturel d'autant qu'il faut souvent relancer plusieurs fois le dialogue pour être sûr d'en être arrivé au bout. Les fondus en noir sont omniprésents dans une mise en scène qui gagnerait beaucoup à accélérer.

Néanmoins, à force de courir avec une rigidité certaine, je me rend compte que ma barre d'endurance a définitivement disparu. Le seul moyen de la faire remonter est de manger ou de marcher jusqu'à l'heure du coucher. Cette contrainte illustre la volonté des développeurs d'imposer au joueur de prendre son temps, au grand dam des habitués d'Assassin's Creed et autres productions actuelles. D'ailleurs, le moindre obstacle d'une hauteur d'au moins un centimètre est infranchissable, renforçant la comparaison avec le sauteur fou. Le rapport au temps prend une autre dimension quand on nous adresse en jeu la première grosse facture, qui a bien fracturé ma motivation, avant qu'une seconde encore plus salée sur la fin du jeu finisse par l'achever.

Attention spoiler

Histoire d'avoir le contexte, il faut préciser que j'ai pris une belle dérouillée par le chef des voyous. Il est nécessaire d'apprendre une nouvelle technique pour le terrasser, détenue par un des vieux alcooliques du coin expert en arts martiaux. Il conditionne son entrainement -- basé sur l'attrapage de poulets -- au fait de lui apporter un alcool de cinquante ans d'âge. Je vous laisse imaginer son prix significatif, nécessitant de couper du bois ou de récolter des herbes pendant une semaine pour s'en acquitter. Il est également possible de s'adonner aux jeux de hasard, avec un coup de pouce des diseurs de bonne aventure pour augmenter sa chance. La revente des prix au préteur sur gage finalise le rapport pas vraiment sain à l'argent de Shenmue III. Le but de la manoeuvre est bien d'imposer au joueur de persister dans un lieu qu'il aurait dû quitter bien plus vite.

Shenmue III

Pourtant, je regrette déjà ce petit village lorsque je dois le quitter pour la seconde partie de l'aventure. On change d'échelle pour arriver en une terre plus urbaine et plus peuplée dans laquelle je dois désormais dormir à l'hôtel. La nuit est facturée chaque matin quand je croise la charmante dame aux bigoudis, pression m'invitant à m'activer. Je dois chasser des canards à coup de QTE pour gagner le droit de dormir seul, alors que j'aurais pu faire des économies significatives en partageant la même chambre que Shenhua, qui nous accompagne dans la recherche de son père kidnappé par les voyous. Point de choix dans Shenmue III, si ce n'est de suivre le scénario prévu.

Pourtant j'adore ce jeu

Mon attrait pour ce jeu est difficilement explicable, se jouant peut-être dans des détails. Pour me comprendre, je vous invite à manquer le QTE quand une jeune fille tombe de l'échelle ou lors du combat quand un vilain veut extorquer de l'argent d'une vieille marchande. L'ambiance développée est attachante, bien enveloppée par la musique. J'ai même eu des frissons à un moment, à moins que ce ne soit lié à la fenêtre restée ouverte chez moi. Contrairement à l'argent, le farm pour l'entrainement physique est mieux passé, avec une forme d'aboutissement plus évidente quand les progrès se déploient lors des combats.

Conclusion

En oubliant que l'on est actuellement en 2019, le jeu d'aventure Shenmue III est une incontestable réussite en tant que suite d'une histoire fort ancienne qui n'avance pas. C'est un modèle de conservatisme en terme de mécaniques et de gameplay, avec toutes les rigidités inhérentes. On pourrait d'ailleurs croire que son créateur Yu Suzuki a été congelé le temps de disposer des fonds pour s'y atteler, faisant l'impasse sur toutes les évolutions récentes. Le destin de Ryo Hazuki reste donc intimement lié aux joueurs ayant débuté cette saga avec lui, laissant de côté les autres. Shenmue III est un vieux train à vapeur poursuivant inéluctablement une voie toute tracée, pour un voyage immanquable. Mon destin vidéoludique est de parvenir au bout de cette saga avec l'attente d'une suite, porté par cette même confiance qui me permettra de lire la fin Game of Throne signée par George R. R. Martin.

Test réalisé par Agahnon à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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