Interview du studio Tower Five pour le jeu Lornsword
En parallèle de notre découverte de l'accès anticipé, nous avons pu poser quelques questions à l'équipe de Tower Five.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Nous sommes Tower Five, un studio de création de jeux vidéos plutôt orienté consoles et s’intéressant surtout à des jeux où le gameplay et les systèmes de jeux sont mis en avant.
Si les visuels d’un jeu sont extrêmement importants pour sa découverte, nous pensons que l’immersion profonde, l’état de flux et l'intérêt à long terme, viennent avant tout du gameplay.
Comment est né Tower Five ?
Nous sommes tous des vétérans de l’industrie, nous avons travaillé sur de gros projets dans de grands studios et souhaitions revenir à des créations à la fois plus précises, plus innovantes et plus personnelles. Nous pensons que les petites structures indépendantes sont plus à même de travailler ainsi et c’est ce que nous voulions faire à ce stade de nos vies. Nous savions dans quelle direction nous voulions aller avec Lornsword ; ça semblait faisable et, surtout, amusant à développer. Nous avons créé Tower Five pour cela. C’est un peu une tour en pierre façon “bricolons notre truc en paix, comme on en a envie”... L’envie et le calme sont fondamentaux pour créer des choses intéressantes, précises et rafraîchissantes.
Pourquoi avoir choisi La Rochelle comme siège du studio ?
La Rochelle vient d'être classée (par le Point) comme la ville la plus attractive de France. Notre studio est au calme : pas de pollution, le vélo au lieu du métro, du soleil, l’océan et une activité économique assez pointue dans les nouvelles technologies... pourquoi s’installer ailleurs ? :)
Créer des jeux, c’est un sport d’endurance, pas un sprint : ça se compte en années. Il faut être régulier, trouver un équilibre, avoir une bonne qualité de vie. C’est un sujet que notre industrie commence tout juste à prendre en compte, mais qui est fondamental pour la qualité même des jeux que l’on peut proposer.
Combien d’employés compte actuellement le studio ?
Nous sommes quatre sur La Rochelle, à travailler ensemble tous les jours, puis nous avons trois autre personnes qui collaborent à distance pour des domaines que l’on peut plus facilement découpler, comme le concept art et la composition musicale.
Ce nombre est-il destiné à évoluer ou constitue-t-il la taille que vous aimeriez garder pour l’équipe ? Pourquoi ?
Notre façon de travailler est très agile, c’est-à-dire extrêmement réactive à ce que nous obtenons au fur et à mesure du développement. Pour nous, le plus important est d’avoir une stratégie souple et surtout pas un plan rigide. Pour pouvoir avancer comme cela efficacement, nous préférons être tous dans le même lieu, pouvoir communiquer beaucoup et directement, s’adapter très vite et radicalement à ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. D'après notre expérience, ce n’est pas compatible avec une grosse équipe : quand on compte les développeurs en dizaines, ce n’est plus possible, le chaos s’installe et on est obligé de retourner à une production plus planifiée, donc plus rigide. La solution pour nous est de ne pas atteindre cette taille, de rester focalisé sur une petite équipe très soudée, peut être 15-20 personnes maximum, et de faire appel à plus de talents en externe. S'il faut 30 artistes pour faire les modèles d’un jeu, ce n’est pas un problème en externe, mais en interne ça va en devenir un, organisationnellement et humainement, en dehors des considérations financières. C’est notre stratégie à moyen terme, quelle que soit la taille des jeux que nous tenterons de créer : garder Tower Five à une taille humaine, où tout le monde se connait très bien et utiliser des talents externes, ponctuellement, quand il y a du travail de volume qui peut être externalisé sans perdre en qualité.
D’où vous est venue l’idée de développer Lornsword ?
De notre amour des ARTS classiques, comme Warcraft 3, au premier rang, et de notre amour du format console pour son côté bien fini. Nous avions envie d’un bon jeu de stratégie, entraîné par une histoire... et que l’on puisse jouer confortablement dans son canapé de préférence avec un ami sur le deuxième pad. C’était ça l’envie, l’idée et donc l’objectif final, mais nous n’avions pas toutes les solutions dès le départ et étions bien conscient que le mix “RTS” et “console” était délicat, plein de gens talentueux s’y étant cassés les dents. Ainsi, dans l’idée de base de Lornsword, il y avait cette idée de recherche, pas de copie puisqu’il n’y a pas de modèle définitif dans ce genre. Une des directions qui n’a jamais changé est “il faut qu’au bout de cinq minutes, tous les joueurs aient oublié qu’il tiennent un pad et pas une souris”... une autre était “on garde tous les concepts de la stratégie que l’on aime, mais on adapte leur implémentation”. Un bon exemple de cela est le brouillard de guerre et la minimap : ce sont des concepts fondamentaux d’un RTS, mais une petite carte avec de petit icônes et des points de couleurs en bas d’un écran de TV à 2 mètres de vous... ben non... Aussi, on a gardé le concept (voir l’ensemble du terrain que toutes vos unités peuvent voir), mais en le passant en plein écran, ce que l’on appelle le “Far Sight” dans le jeu... et ça fonctionne très bien, rajoutant une composante tactique supplémentaire : arrêter de faire ce que je fais pour obtenir de l’information. C’est un exemple, mais nous avons procédé de même pour pratiquement tous les éléments de Lornsword, jusqu'à ce que le gameplay semble fluide, évident en fait.
C’est le premier projet du studio. Avez-vous eu des difficultés auxquelles vous ne vous attendiez pas lors du développement ?
Très honnêtement, non... car nous nous attendions à beaucoup de difficultés ayant déjà développé pas mal de jeux. :)
En réalité, tout c’est plutôt bien passé ; nous avons dû nous y reprendre à 2-3 fois pour trouver la bonne solution à certaines difficultés, mais n’avons pas buté contre un problème complètement inattendu. Peut-être l’intelligence artificielle fut-elle la plus grosse surprise : son design initial fonctionnait trop bien... par "trop bien", on veut dire que cette IA, qui gère les adversaires du joueur, en faisait trop à sa tête et n’était pas suffisamment contrôlable en terme de level design. Même si on la paramétrait par exemple pour jouer une carte de manière défensive, elle finissait par se rendre compte que ce n’était pas le plus efficace et passait à l’offensive... et elle développait des modes d’attaque qui était puissants, mais pas amusants à contrer. Il a fallu revoir son design et son implémentation pour lui donner un système de compétence et de personnalité : pouvoir dire à l’IA que sur cette carte, elle est avant tout “exploratrice”, “défensive”, “agressive”, “passive”, “harcelante”... et qu’elle se tienne à cette personnalité d’un bout à l’autre de la bataille. En comparaison, l’intelligence des unités fut bien plus un travail d’optimisation, pour gérer des centaines d'unités indépendantes, mais leur design initial a fonctionné ; nous les avons progressivement améliorées, mais sans les changer en profondeur.
Pourquoi avoir choisi de le sortir en accès anticipé sur Steam ?
Pour avoir un premier feedback de la part des joueurs, qui jugeraient de leur expérience en comparaison avec d’autres jeux et donc avoir un retour brutalement honnête. Nous avons depuis effectué une Bêta sur Xbox, pour obtenir le même genre de feedback, mais Steam était bien plus rapide et simple d'accès pour nous. Nous pensons aussi que Steam, et le PC en générale, s’est ouvert sur les jeux au format console : de grand jeux console comme Dark Souls ont trouvé des joueurs fervents sur PC, de plus en plus de gens ont des pads Xbox ou PlayStation 4 connectés à leur PC. Il nous semble que la ségrégation stricte qui existait encore il y a une dizaine d’année n’a plus lieu d'être. Nous proposerons Lornsword le 15 octobre à la fois sur consoles, Xbox One et PlayStation 4, mais aussi sur Steam, à la même date et au même niveau de qualité.
Pourquoi n’existe-t-il pas, à l’heure actuelle, de localisation en français pour le jeu ?
Pour une simple raison de temps, plus que de budget... nous sommes une petite équipe, multiculturelle et qui travaille en anglais... le plus simple et le plus rapide pour nous était de nous focaliser sur cette version en créant tous les textes, et encore plus en adaptant toutes les interfaces, seulement pour cette langue. Avoir une version française de qualité serait un véritable travail de localisation, de traduction, d’adaptation des interfaces et nous n’avons pas eu le temps pour cela, ni pour aucune autre langue, d’ailleurs. Proposer des traductions de qualité est toujours un gros travail, bien plus que d’envoyer un document à la traduction : il faut du contexte, de la précision, de la vérification par des joueurs natifs... il vaut mieux ne pas le faire que de mal le faire. Néanmoins, le français est bien évidemment au sommet de notre liste, suivi par l’espagnol, l’allemand et quelques autres langues.
Parlez-nous un peu de l’histoire de Lornsword ; quels en sont les tenants et aboutissants ?
Mmm, que dire sans gâcher l'intérêt de suivre les évolutions de cette histoire... pas évident. Parlons plutôt des intentions, car elles sont particulières. Sur le fond, Lornsword est traversé de thèmes philosophiques et de leurs conséquences politiques. Si la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, alors, elle est aussi la conséquence de la philosophie des belligérants, de leur morale, de leur vision du monde. L’univers de Lornsword connaît quatre grandes cultures, quatre grands camps opposés deux à deux. L’empire Lorn, où commence notre histoire, est lié aux élémentaires. C’est une culture structurée, de règle, ordonnée et qui s’oppose par nature au Chaos, un ensemble informel de tribus moins civilisées et par nature peu ordonnées. À côté de cette opposition s’en trouve une autre, entre les forces de la nature, les Sauvages et celles des Ombres. L’opposition entre l’Empire et le Chaos se situe sur les thèmes de l’ordre et de la liberté, entre les extrêmes de l’immobilisme stérilisant et de la créativité destructrice. L’opposition entre les Sauvages et les Ombres se situe sur l’individualisme et le progrès : entre les extrêmes du collectif sacrificiel de l’individu et l’individualisme égoïste incapable d’harmonie. Ces grandes oppositions culturelles sont la toile de fond de notre histoire, mais Lornsword est avant tout le point de vue subjectif, en première personne, de son personnage principal : Corun Lan Ka. C’est en l’incarnant que l’on rentre dans cet univers et c’est son destin que les Chroniques de Lornsword racontent. C’est lui, et donc vous, qui êtes à l’articulation de grands thèmes philosophiques et de la petite échelle individuelle immédiate : survivre à la prochaine bataille, protéger les siens. Au centre de tout cela se trouve une épée bien particulière, au destin bien particulier et qui donne son nom au jeu, mais c’est déjà commencer à en dire trop. :)
Comment est venue l’idée de mélanger RTS et action au sein du jeu ?
L’action a été la grande solution au grand problème de structure d’un jeu de stratégie sur consoles et c’est aussi ce qui rend le lien avec la narration, avec l’incarnation, encore plus direct. Le format classique des RTS est abstrait, comme pour le jeu d’échecs : on est un général ou un dieu omnipotent, qui n’est pas sur le champ de bataille et passe des ordres abstraits à travers une interface symbolique. “Je suis un curseur de souris et je clique sur une icône pour ordonner à un paysan de construire une tour”. Pour Lornsword, nous voulions que Corun soit en première ligne sur le champ de bataille, pour que vous soyez là, en direct, comme dans un jeu d’action. C'était prendre les héros d’un Warcraft 3 et se focaliser sur un seul, puis faire passer tous les ordres par lui... plus de curseur, plus d’interface : c’est Corun qui se rend directement où il veut construire une tour et l'exécute lui-même. De fait, vous exécutez vous même, sur le mode d’un jeu d’action. Au lieu de donner l’ordre d’attaquer un soldat, vous vous déplacez jusqu’à lui puis vous lui donnez le coup d’épée vous-même, et les suivants. Ce passage à une action directe change beaucoup de chose. En plus de l’immersion, cela veut aussi dire que vous ne pouvez plus faire directement qu’une chose à la fois et donc qu’il faut choisir l’usage de votre position et de votre temps. Cela ajoute une composante tactique permanente, venant de l’action, en dessous de la dimension stratégique concernant l’ensemble de la dynamique de bataille. Nous pensons que c’est cette hybridation qui permet à Lornsword de fonctionner, d'être fluide dans sa prise en main et immersif dans son action, d’avoir ce va et vient entre considérations tactiques à la seconde et considérations stratégiques en minutes. Quand nous avons commencé à avancer dans cette direction, c’est devenu évident très vite, très naturellement, et donc nous avons adapté d’autres système à cela, comme les IAs individuelles des unités.
Pourquoi ne pas avoir inclus certaines mécaniques traditionnelles des RTS, comme la création manuelle des unités ?
Dans certains cas, les mécaniques ont été adaptées au contrôle direct apporté par les actions du personnage principal. Cependant, dans ce cas précis, la création des unités, c’est pour une raison différente : la volonté de créer des “lignes de front” multiples. Dans un RTS classique, il n’y a la plupart du temps qu’un seul front, une seule bataille en un point donné de la carte. Le plus souvent, il n’y a pas de front du tout : on déplace une seule armée et on déclenche un front, temporaire, quand on rencontre une autre force. Ce que nous voulions, et ici l’inspiration est plutôt à chercher du coté des Dotas, c’est que le champ de bataille soit vivant, qu’il y ait, la plupart du temps, plusieurs lignes de front. Cela permet une progression plus lisible des rapports de puissance, une adaptation des stratégies progressives au lieu d’une optimisation isolée puis de la résolution du rapport de puissance en une seule fois, souvent avec une ou deux grosses batailles qui est immédiatement décisive. C’est aussi un moyen de décharger le joueur de certaines tâches de micro-management, car il a déjà la tâche de contrôler son personnage en permanence et de le faire agir.
Pourquoi avoir choisi un gameplay basé principalement sur la manette ?
Pour, au final, sortir de l’abstraction que représente le combo clavier + souris. Ce ne sont pas des interfaces initialement conçues pour le jeu. Même si, historiquement, certains gameplays se sont développés et excellent au sein de cette interface, il lui échappe de plus en plus. Les fans de conduite utilisent des volants, l’action-aventure à explosé sur un modèle “twin stick”, un pour le personnage, l’autre pour la caméra, le pointage et le drag&drop sont maintenant commun par écrans tactiles et les modes de jeux qui arrivent, comme la VR, n’utilisent pas le clavier souris. Même les shooters, qui étaient les rois de la visée souris, et cela se comprend, sont maintenant des jeux extrêmement populaires sur consoles au pad. Avec Lornsword, nous voulions proposer cela, de la bonne stratégie, mais libérée du curseur, plus immersive, jouable dans d’autres conditions et en particulier une manette en main. Avant Halo, à l’exception peut être de Golden Eye N64, personne n’aurait donné cher d’un jeu de tir sur console... depuis, ils sont principalement joués sur console et y sont devenus excellents. Bien plus modestement, nous espérons que Lornsword participera à faire évoluer les jeux de stratégie dans cette direction.
Qu’imaginez-vous pour le futur de Lornsword ?
Le gros sujet et la grosse évolution que nous souhaitons pour notre deuxième jeu est le jeu en lgine, avec toute la partie PvP et donc compétitive des jeux de stratégie. Lornsword Winter Chronicle propose une solide campagne solo, centrée sur son histoire, sur le fait d’incarner, de contrôler et d'être le personnage principal, donc le personnage au coeur de l’histoire. Nous avons intégré, et même intégré à l’histoire, la possibilité de jouer à deux en coopératif l’ensemble de la campagne. Cependant, nous n’avons pas intégré la possibilité de jouer des batailles contre un autre humain. Cela aurait été trop complexe et aurait entraîné un projet bien trop lourd pour nous. D’autant plus que notre énergie était déjà focalisée sur le gros challenge et le gros sujet d’un RTS plus immersif utilisant un contrôleur ; s'il avait fallu en plus construire un mode en ligne, nous aurions été débordés.
Aussi, c’est ce à quoi nous réfléchissons maintenant, pour la suite : continuer à raconter l’histoire de Corun, comme une campagne fortement scénarisée, mais ajouter un mode en ligne, compétitif, utilisant les mêmes bases de gameplay, mais parfaitement adapté à du joueur contre joueur... Les premières expérimentations sont extrêmement prometteuses, c’est un sujet passionnant, mais c’est un gros gros sujet, aussi bien artistiquement et techniquement qu’en termes de design et d’équilibrage.
Retrouvez notre aperçu du jeu en suivant ce lien !
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Septembre 2017 |
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