Test de Blasphemous - Les tourments d'un metroidvania

Lancée il y a deux ans, la campagne Kickstarter de Blasphemous atteignait son objectif en peu de temps et le dépassait même largement : avec quelques 300 000 dollars récoltés sur les 50 000 demandés, le studio sévillan The Game Kitchen, à qui l'on doit le point and click horrifique The Last Door, se retrouvait submergé par une attente considérable autour de son metroidvania Blasphemous. Inspiré de l'histoire religieuse espagnole, le jeu nous arrive enfin et nous propose une balade dans l'horreur de l'inquisition.

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Une vie de douleur

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Blasphemous nous amène dans un monde amère, un monde en proie à une conception de la religion chrétienne pour laquelle la vie est faite de tourments, où la douleur, le malheur et la culpabilité sont l'essence de la vie. On y incarne le Pénitent ; armé de son épée "Mea Culpa", il tente de trouver le chemin dans ce monde de Cvstodia qui peine face aux afflictions de l'Église et aux épreuves qui sont infligées à ses habitants. Cvstodia est largement inspirée de l'architecture de la ville de Séville où a été fondé le studio The Game Kitchen et cette influence espagnole se retrouve évidemment du côté de son univers qui est très proche de son histoire religieuse, de l'inquisition et de ses conséquences.

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Ce qui frappe dans Blasphemous, c'est son ambiance tout en contrition, dans laquelle la frontière entre le bien et le mal au sein de la religion est si fine que l'horreur est prépondérante. Le désespoir et les remords sont nombreux, notamment parmi les PNJ que l'on croise, chacun y allant de sa petite histoire sur son rôle dans ce monde sinistre. Le tout dans un langage soutenu particulièrement bien écrit, qui se sert des mythes qui entourent l'inquisition et la religion chrétienne pour livrer un jeu d'une ambiance terriblement malsaine. D'autant plus que visuellement, la direction artistique s'inspire très largement de l'art religieux espagnol et de ses fresques, donnant une succession de tableaux en pixel art aussi beaux qu'inquiétants. Le choix est assez audacieux, car cette ambiance malsaine autour de l'Église peut repousser certains joueurs qui ont du mal avec ce type d'horreur et c'est un thème visuel qu'on retrouve finalement assez peu dans les jeux vidéo. Néanmoins, les développeurs sévillans s'en sortent à merveilles tant Blasphemous maîtrise son ambiance grâce à une direction artistique qui ne fait pratiquement aucun faux pas.

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Il serait toutefois dommage de réduire Blasphemous à son ambiance : c'est avant tout un metroidvania très intéressant. Largement inspiré de Castlevania, même si la difficulté nous a semblé plus importante, le jeu nous fait traverser un monde labyrinthique et inter-connecté par des portes à ouvrir, murs secrets et raccourcis à déverrouiller. Le monde est suffisamment grand et diversifié pour offrir des ambiances différentes, allant d'une montagne enneigée où les tourments s'impriment sur des oliviers desséchés aux égouts, théâtres des pires horreurs, en passant par une cathédrale où les sévices sont nombreux. Ses combats engagent le joueur dans un jeu de parade et d'esquives ; les uns parleront de similarités à Dark Souls, les vrais sauront que Blasphemous ressemble beaucoup, encore une fois, à Castlevania. Le jeu offre en effet un dash qui permet de passer derrière les ennemis, à l'exception de certains qui nous bloquent, ainsi qu'une parade qui, une fois exécutée dans le bon timing, permet de renvoyer un coup extrêmement puissant. Pour les ennemis les plus forts et imposants, la parade nous permet d'encaisser le coup et de reculer de quelques mètres. Quant à la magie, le meilleur moyen de l'esquiver reste encore de sauter ou de reculer. Trois éléments majeurs de gameplay à maîtriser donc, le saut, la parade et le dash, que l'on possède dès les premiers instants de l'aventure et que Blasphemous s'évertue à nous apprendre à maîtriser dans ses premiers affrontements. On commence en effet avec un combat de boss assez simple qui nous oblige à utiliser le dash, puis on enchaîne quelques tableaux pour apprendre la parade et l'utilité du saut. Si le jeu est relativement difficile, il peut se vanter de proposer une séquence d'apprentissage plutôt solide sous un faux-tutoriel qui pousse le joueur à exploiter tout ce qui lui est offert. Et une fois maîtrisé, le personnage est un plaisir à manier : réussir une parade parfaite déclenche la possibilité d'effectuer une exécution en une touche particulièrement violente, mais tout aussi jouissive grâce à son animation détaillée (le jeu propose une animation de mise à mort différente pour chaque ennemi), tandis que le dash nous sauve dans les moments les plus compliqués. Et il faut s'en contenter : tout au long du jeu, on ne débloque qu'une poignée de compétences qui permettent d'étendre le combo à l'épée ou encore de mettre un coup puissant avec un dash, tandis que l'épée reste notre seule alliée. Si on débloque bien une arme magique à distance, Mea Culpa reste notre seule arme physique.

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Cependant, c'est une arme capable d'évoluer, puisqu'on peut y insérer des objets qui gonflent sa puissance. À l'image du personnage, qui n'a pas de niveau d'expérience à proprement parler, mais auquel on peut accoler différents objets lui permettant d'avoir plus de vie, d'être plus résistant à certains éléments ou encore de se restaurer de la vie en détruisant des objets. De nombreuses compétences passives qui apportent un vrai coup de main au joueur, surtout à l'heure d'affronter par exemple un boss adepte de la foudre, contre lequel on est bien content d'avoir trouvé quelques heures plus tôt un objet qui permet de réduire les dégâts de foudre. Le jeu est d'ailleurs assez punitif : les ennemis et pièges pardonnent peu, ils frappent fort et les pièges au sol provoquent pour certains une mort instantanée. Les pièges sont d'ailleurs nombreux et parfois source de frustration : avec des points de sauvegarde assez éloignés, le moindre faux pas peut provoquer un retour loin en arrière. Heureusement, mourir n'est pas punitif en soi mis à part le temps perdu à revenir sur nos pas, puisque les points gagnés en tuant des ennemis (qui permettent d'acheter des objets et de nouvelles compétences) sont conservés. La seule véritable punition porte sur les points de mana, qui permettent de déclencher des coups spéciaux et des magies : la barre se retrouve obstruée par la ronce qui augmente à chaque mort. Le seul moyen de récupérer une barre entière est de retrouver notre âme laissée sur le lieu de notre mort, ou d'atteindre une salle spéciale qui permette d'évacuer notre culpabilité liée à la mort, moyennant finances.

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Bien que le premier contact soit particulièrement ardu avec des premières salles assez difficiles tant notre personnage est faible et peu puissant, le jeu donne un véritable sentiment de progression. Les objets à trouver et à équiper offrent un vrai boost de puissance tandis qu'à mesure que l'on apprend à maîtriser le personnage, on se rend compte qu'il offre suffisamment de libertés et de fluidité pour qu'on y trouve notre compte. Quant aux soins, on compte sur des fioles de bile que le personnage se brise sur le visage (oui, le jeu va jusqu'au bout de la bonne ambiance), des fioles qui ont tendance à redonner assez peu de vie en comparaison de la barre de vie que l'on finit par avoir au gré des bonus découverts derrière des murs secrets. Néanmoins, il n'y a pas trop de frustration de ce côté, car les fioles se remplissent chaque fois que l'on atteintd un point de sauvegarde, on peut donc les utiliser sans trop se poser de questions. Blasphemous est moins austère qu'un Castlevania, il y a quelque chose d'assez moderne dans son approche du jeu, sans pour autant renier son hommage à l'époque 16 bit avec sa direction artistique et son level design.

Le sourire des flagellés

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Le jeu offre par ailleurs un bestiaire particulièrement soigné et varié, avec des ennemis qui reprennent là encore l'art religieux pour offrir quelques visions d'horreur assez terribles. On note d'ailleurs que les ennemis normaux sont souvent plus inspirés que les boss, qui eux sont plus classiques à l'exception d'un boss ou deux particulièrement marquants. Les combats sont difficiles et il faut apprendre les patterns de chaque ennemi : quand effectuer une parade, quand esquiver, combien de coups on peut mettre avant de reculer. Toutefois, il ne nous prend jamais en traître : les boss, par exemple ont tous un pattern défini qui ne laisse pas de place à l'improvisation et dès qu'on a appris chaque étape, on s'en sort sans trop de mal. Les ennemis doivent d'ailleurs beaucoup à l'excellent travail des artistes sur le pixel art et les animations, pour un résultat très détaillé et vivant. Souvent très violent, le jeu n'oublie pas de nous éblouir avec quelques plans bien sentis, notamment avec ses très beaux arrières plans et ses cinématiques réalisées image par image en pixel art.

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Cependant, Blasphemous n'est pas parfait : si l'aventure est passionnante et si son gameplay nous a emmené jusqu'au bout avec plaisir malgré la difficulté, sa narration peine parfois à s'envoler. Cryptique, la narration ne laisse que peu de place à l'inattention pour comprendre toutes les subtilités de ce qu'elle raconte. D'autant plus que les interventions des PNJ et les quêtes secondaires, qui apportent chacun leur petit lot d'information, sont nombreuses et parfois difficiles à suivre : il n'est en effet pas possible de marquer des points sur la carte du jeu et d'ainsi se souvenir du lieu où on a croisé un PNJ qui nous a demandé un objet pour une quête secondaire. Alors, on fait beaucoup d'aller-retour pour retrouver par chance un personnage croisé quelques heures plus tôt qui nous gratifie enfin d'explications sur un bout d'histoire qu'il a esquissé la première fois. Si l'histoire principale se termine en une petite quinzaine d'heures, et à peine plus pour le true ending, finir le jeu à 100% sans guide demande beaucoup de patience et d'obstination tant certains objectifs manquent d'indices. D'autant plus que traverser à nouveau certaines salles peut parfois être une plaie tant quelques-unes sont parfaitement calibrées pour déclencher une réaction en chaîne pleine de frustration en cas de légère erreur : une parade ratée suffit parfois à ce qu'un ennemi nous envoie quelques mètres plus loin rebondir sur un autre ennemi, puis un autre et encore un autre jusqu'à la mort et sans pouvoir réagir. Associé à des phases de plateforme plutôt ratées, les aller-retour sont parfois frustrants. Des problèmes dont les développeurs ont bien conscience et qui devraient bénéficier de mises à jour. Un patch est d'ailleurs déjà sorti sur PC, tandis que les patchs des versions consoles arriveront plus tard.

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Néanmoins, ces quelques problèmes ne sauraient effacer le plaisir pris à parcourir le jeu, qui plus est sous les mélodies de Carlos Viola, qui offre une bande originale accrocheuse, parfois épique, mais toujours bien amenée avec des thèmes qui s'ouvrent et se complexifient au fil de la progression des salles de chaque "niveau". À cela on ajoute un sound design très réussi, notamment le son de la parade qui rend la manœuvre encore plus motivante.

Conclusion

Maîtrisé, Blasphemous est un bel hommage aux metroidvania. Avec une personnalité bien affirmée et un univers qui inspire autant le malaise que la passion, le jeu nous emmène dans l'horreur d'une inquisition douloureuse. Le voyage est semé d'embûches, les tourments sont nombreux et l'exécution n'est pas toujours irréprochable. Toutefois, pourquoi bouder son plaisir pour une poignée de hitboxes capricieuses et des phases de plateforme pas bien passionnantes ? Blasphemous est une formidable expérience pour les amateurs du genre tant son monde est un plaisir à parcourir, tant le jeu est grisant chaque fois qu'on parvient à passer un boss qui nous a donné du fil à retordre. On espère que les patchs à venir régleront les quelques problèmes qui ont tendance à rendre l'expérience plus frustrante que nécessaire.

Test réalisé par Hachim0n sur Switch à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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