Rencontre avec les développeurs de Through The Darkest of Times
Nous étions invités mardi à une présentation de Through the Darkest of Times à la presse allemande. Le jeu est disponible dès aujourd'hui sur Steam, notamment grâce au soutien des autorités locales berlinoises et de HandyGames, la branche jeu "de petite et moyenne taille" de l'éditeur THQ Nordic.
Nous vous en avions parlé il y a déjà quelques mois après l'avoir vu sur l'EGX de Berlin, mais on va vous refaire le topo très sommairement : Through The Darkest of Times est un jeu de stratégie au tour-par-tour qui vous permet d'incarner un groupe de résistants dans le Berlin du troisième Reich. Le jeu couvre toute la période allant de la prise du pouvoir par Hitler en 1933 à la reddition inconditionnelle de l'Allemagne en 1945. Vous planifiez les actions de votre groupe tout en essayant de trouver un équilibre parmi les émotions parfois très opposées des membres de votre groupe, d'obtenir les ressources nécessaires aux actions que vous voulez mener, tout en évitant bien sûr de vous faire prendre par la Gestapo (la police des services secrets allemands sous le Troisième Reich, a.k.a. les méchants dans 99% des films sur la Seconde Guerre Mondiale que vous avez vu).
Nous avons pu poser quelques questions à l'équipe de Paintbucket Games, le studio derrière le jeu, pour en savoir un peu plus sur le développement du jeu.
Comment TTDOT a-t-il vu le jour?
Le projet a été lancé en 2017, nous étions deux à l'époque, et l'idée a été directement de faire un jeu sur la montée en puissance du nazisme, surtout aux regards des circonstances de l'époque (NdR: montée en puissance du partie AfD, Alternative für Deutschland, que l'on peut comparer en terme d'idéologie et opinions politiques au Front/Rassemblement National français). On a développé un prototype, qu'on a fait évoluer en concept, que l'on a pu présenter sur plusieurs événements et qui a su trouver son public et emballer les foules malgré le fait qu'il était tout simplement hideux. Grâce à cet engouement, nous avons obtenu un financement de la région de Berlin, ce qui nous a permis de créer officiellement le studio en 2018 et d'être approchés par HandyGames pour l'édition de nos titres, ce qui nous a accéléré le développement du studio via le recrutement de nouveaux employés, mais nous a aussi permis de développer le jeu comme nous le voulions sans avoir vraiment de comptes à rendre.
Un jeu allemand sur le nazisme, est-ce que cela n'a pas été trop compliqué au regard des règles en vigueur en Allemagne ?
C'est sûr que nous avions en tête dès le départ la règle de base pour le marché allemand, à savoir, pas de croix gammées. Le problème, c'est que ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Par exemple, tu ne pouvais même pas utiliser la phrase "Heil Hitler", ce qui peut s'avérer rapidement très compliqué quand tu travailles à un jeu de stratégie conduit par le dialogue et que tu veux garder un semblant de réalité historique... Heureusement, nous sommes arrivés au bon moment et nous avons travaillé avec l'USK (NdR : l'équivalent du PEGI en france) dans le cadre de leur effort d'assouplissement de ces règles. Ce fut un long processus, mais l'entrée en vigueur des nouvelles règles en août 2018 nous a permis d'aller plus loin, et a même donné lieu à des scènes comiques à la gamescom avec des journalistes qui ne venaient sur notre stand que pour voir les premières croix gammées officiellement autorisées.
Le jeu est classifié USK 12, ce qui le rend accessible à la vente sans que l'acheteur ait à justifier de son âge, mais implique surtout que le jeu pourrait être utilisé comme support pédagogique au collège ou au lycée. Est-ce que vous voyez des applications pour votre jeu dans les écoles, à des fins pédagogiques ?
Notre idée a toujours été de démocratiser le sujet, d'informer les gens pour rappeler un pan de notre histoire trop méconnu, dans des circonstances malheureusement trop familières. C'est une des principales raisons d'être du jeu. Nous n'avons cependant pas eu en tête de développer un jeu pédagogique ou un livre d'histoire interactif : on est un serious game, sans aucun doute, mais notre idée n'a jamais vraiment été de donner la leçon à qui que ce soit. Malgré tout, nous sommes déjà intervenus dans des écoles avec des versions plus anciennes du jeu, à l'époque où nous n'avions qu'une version anglaise à disposition, à la demande d'un professeur, et cela a été une excellente expérience, avec beaucoup de dialogue avec les élèves sur les sujets évoqués dans notre jeu, et c'est quelque chose que nous referions avec plaisir.
Vous pouvez nous en dire un peu plus sur comment le jeu a été conçu ? Quelles sont les inspirations ? Quelles sont les principales caractéristiques ?
La principale inspiration est très clairement le jeu de plateau : l'approche tour-par-tour en est l'expression directe, vous jouez un résistant, vous voulez survivre au nazisme et lutter pour votre survie, et vous avancez case par case vers votre but, tout en évitant les pièges sur votre chemin. Chaque personnage que vous incarnez est généré de manière procédurale, votre expérience sera donc régulièrement renouvelée : ils ont chacun des caractéristiques distinctes, avec des raisons différentes de lutter contre le nazisme, ils viennent de milieux sociaux différents, mais l'ensemble reste cohérent. Les pauvres et les travailleurs vont avoir tendance à se lier à des factions où leur groupe social est fortement représenté. Cependant, nous avons fait en sorte que les groupes de résistance soient aussi hétérogènes que pouvaient l'être les vrais groupes, comme nous l'avons découvert via notre travail de recherche en amont du développement du jeu.
Comment se finit le jeu ? Quand ? Est-il possible de créer une histoire alternative, dans laquelle notre faction aurait perpétré un attentat qui aurait tué Hitler ?
La "fin" du jeu est marquée par l'arrivée de l'Armée Rouge à Berlin. Mais bon, vous pouvez rencontrer bien d'autres fins en cours de route, malheureusement. On a voulu faire en sorte que le jeu suive des semaines historiques, mais comme vous vous en doutez, couvrir 12 ans semaine par semaine aurait été un peu long. Du coup, on a gardé cette approche mais dans des chapitres plus courts mais emblématiques : l'accession au pouvoir d'Hitler en 33, les JO de 36, la guerre en 41 et la "fin" du nazisme en 44-45. Notre but n'a jamais été de proposer au joueur de créer une version alternative de l'histoire et de lui permettre de chambouler les faits historiques : nous avons voulu mettre en valeur la résistance au quotidien, qui se présente sous bien des formes, et toutes les petits actions menées par des gens comme vous et nous pour lutter chacun à leur façon contre le nazisme. Si on veut être totalement honnête avec vous, on avait pensé à créer un mode "réalité alternative" au début de notre travail sur le jeu, mais on a rapidement abandonné l'idée pour se concentrer sur le jeu principal et en faire une expérience toute aussi marquante.
Vous parlez de fins malheureuses. Les résistants berlinois arrêtés par la Gestapo étaient la plupart du temps déportés dans les camps de concentration à proximité, notamment à Sachsenhausen ou Auschwitz. Est-ce que ce pan de l'histoire est présent dans le jeu ?
Oui et non. C'est effectivement une des fins possibles, le sujet est évoqué, il est présent physiquement dans le jeu, mais non, si elle est connectée à un camp, l'histoire de votre personnage n'ira pas plus loin que le fameux portail orné du sinistre "Arbeit macht Frei", le travail rend libre. Auschwitz est aussi évoqué dans une séquence de dialogue bien précise où un personnage décrit les atrocités qui y sont commises, un moteur pour certains résistants, mais nous avons pris le parti de ne pas aller plus loin que ce simple récit, qui fait mal, parce qu'il est censé faire mal.
Vous parliez un peu plus tôt d'un travail de recherche. Avez-vous reçu le soutien d'historiens ou autres ?
Le gros du travail initial a consisté à se rendre dans de nombreuses bibliothèques et partir à la recherche de sources aussi authentiques que possible : malheureusement, les sources "vivantes" se font de plus en plus rares, les découvertes ou révélations aussi et ce qui est communiqué à l'heure actuelle est souvent vu et revu, et rarement aussi spécifique que " VIE quotidienne de la résistance à Berlin". Demandez aux Berlinois autour de vous, ce n'est même pas vraiment connu ou même enseigné ici. Du coup, on devait partir à la recherche d'obscures brochures tirées à une poignée d'exemplaires qui proposaient par exemple des témoignages recueillis juste après la guerre. Les musées sont aussi une bonne source d'informations évidemment, mais simplement se balader dans Berlin aide, vu que vous trouvez les bonnes informations au détour de chaque coin de rue quand vous savez où regarder. Nous avons toujours été extrêmement prudents sur la forme du jeu, dès le départ, et on a toujours cherché plus d'informations, auprès d'historiens, mais pas seulement. Par exemple, la voix off allemande de notre trailer est une journaliste allemande connue qui est elle-même petite fille de résistant.Nous publierons dans les jours à venir un test plus approfondi du jeu, qui est, on le rappelle, disponible aujourd'hui sur sur Steam. D'autres supports devraient suivre en fonction de la réception du jeu par les joueurs.
Nous tenons à remercier le personnel de Paintbucket Games, Jörg Friedrich, Sebastian Schulz, Vivian Maria Köhler, Jan-Dirk Verbeek et Jonathan Witt d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et à celles de nos confrères, ainsi que THQ-Nordic et HandyGames pour l'invitation à cet événement.
Plateformes | Windows |
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Genres | Stratégie, historique |
Sortie |
30 janvier 2020 (Monde) (Windows) |
Aucun jolien ne joue à ce jeu, aucun n'y a joué.
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