Test de Through The Darkest Of Times - Noir, c'est noir...
Plongez au coeur de l'Allemagne nazie, incarnez un résistant, faites votre part dans l'effort d'une guerre silencieuse, mais ô combien importante. Apprenez à résister en des temps troublés.
Nous ne nous attarderons pas longuement sur la genèse du projet, que nous avons traité par ailleurs. Cette fois, nous allons vous parler du jeu en lui-même et vous emmener dans une des périodes les plus sombres de notre histoire, mais la traiter par un biais des plus méconnus.
Dans Through The Darkest of Times, vous incarnez un personnage qui est amené à faire partie d'un petit groupe de résistants. Tous les personnages sont allemands, les noms, les attributs et les apparences sont générés de manière procédurale à chaque partie. Vous prenez les commandes en 33, quand Hitler est nommé chancelier par Hindenburg et vous devez survivre jusqu'à la fin de la guerre en 45 : pour rappel, la réalité historique ne peut en aucun cas être altérée. Vous ne pouvez pas éliminer Hitler, vous ne pouvez pas venir à bout du régime nazi, la guerre a bien lieu, vous ne pouvez pas devenir un tueur de SS en série qui fait peur à la Gestapo et des millions de personnes meurent dans les camps de concentration. Votre personnage a deux objectifs : prendre la défense des persécutés à son échelle et tenter de faire connaître la réalité du régime nazi en dehors des frontières allemandes, mais aussi de vous faire découvrir à vous l'impuissance d'une grande partie de la population allemande face aux millions qui supportaient Hitler.
Marchez sur un des LEGO de l'histoire
Le jeu fonctionne au tour-par-tour et chaque tour représente une semaine, pendant laquelle vous attribuez des tâches à chacun des membres de votre groupe. Dans une approche très inspirée des jeux de rôle, le succès de ces activités est déterminé par le total des attributs des personnages que vous assignez à la mission. Sont-ils bons à garder un secret ? Sont-ils plus aptes à convertir et recruter de nouveaux membres ? Il vous appartient de choisir les bonnes personnes avec potentiellement le bon équipement pour mener à bien la mission sans se faire prendre. On ne parle pas vraiment d'un jeu de stratégie qui vous demande de réfléchir à tout moment : c'est bien plus linéaire que cela.
Chaque semaine commence par une revue de presse qui illustre des faits historiques : malheureusement, au regard de l'histoire, les nouvelles sont le plus souvent mauvaises, ce qui impacte systématiquement le moral de votre équipe. Il vous appartient donc de renverser la vapeur et de le remettre dans le vert en menant à bien des actes de résistances au cours de la semaine. Il n'y a pas de petite victoire et chaque petit acte de résistance réussi peut changer une partie du tout au tout.
Malheureusement, faire les bon choix de personnage n'est pas une garantie de succès : ce serait trop facile. Vous êtes un résistant au coeur de la capitale d'un empire qui ne saurait souffrir la moindre contestation et si vous vous faites trop remarquer, vous attirerez une attention dont vous vous seriez bien passé. Si vos actions de résistance sont réussies et que vous n'intervenez pas sur le long terme, la Gestapo arrêtera vos camarades, les mettant hors d'état de nuire et les rendant inutilisables pour vous. Plus la pression exercée sur un de vos partisans dans le cadre d'une activité est élevée, plus elle a de chances de rater et votre émissaire de se faire capturer. L'ensemble du jeu est donc une course contre-la-montre dans laquelle vous devez faire en sorte de garder assez de partisans autour de vous pour mener à bien vos actions.
Un de perdu, dix de perdus...
La défaite est causée par deux éléments qui semblent bien distincts, mais qui sont intimement liés dans le jeu : vous perdez quand vous n'avez plus de partisans ou quand le moral de votre groupe atteint 0. Une baisse de moral impacte l'efficacité de vos partisans et augmente leur pression quand ils sont affectés à une mission, qui augmente le risque de capture, qui à son tour impacte le moral des survivants, etc.
Dans le fond, le jeu est vraiment basé sur la gestion de statistiques, mais il est porté par une narration de grande qualité, même si occasionnellement desservie par une traduction un peu gauche par moments. La manière dont le jeu est construit, notamment son rythme, vous empêche de vous attacher trop à un personnage ou un autre : c'est bête à dire, mais c'est une nécessité dans ce jeu où vous pouvez tout perdre d'une semaine à l'autre. Vous vivez un univers dans lequel la vie de chacun était quantité négligeable aux yeux de la majorité dès lors qu'ils pouvaient vous coller une étiquette, peu importe sa forme, et ce sentiment de gêne est parfaitement véhiculé par les développeurs.
La gentillesse incarnée avec un brassard de haine
Vos amis d'école, les voisins qui vous prêtaient du sucre, les enfants qui jouaient dans votre rue sont autant de victimes potentielles pour les sirènes hitlériennes qui pourraient se retourner contre vous pour prouver leur soutien sans faille au régime nazi. C'est un des véritables coups de force de Paintbucket Games que de présenter ces nazis aux antipodes de la très grande majorité des jeux concernant la période où on vous dit à peine plus que "Croix gammée = une balle". Les partisans nazis que vous croisez dans le jeu ne sont pas tous des membres des SS ou de la Gestapo. Ce sont des gens comme votre personnage, qui ont une vie normale et généralement des plus insignifiantes, qui sont capables de gentillesse. Cela rend d'autant plus difficile notre mission que de garder nos activités secrètes, car notre quotidien vise ni plus ni moins qu'à lutter contre un ordre établi que chacun autour de nous a accepté, de plus ou moins bon gré, comme un état de fait.
Et dans ces temps si sombres décrits par le titre du jeu, il y a toujours une lueur d'espoir qui apparaît, dans un dialogue ou une action. Mais comment y croire ? Comment penser que ce n'est pas une vue de votre esprit ou un piège ? La paranoia la plus totale règne dans la résistance berlinoise, au coeur de l'empire nazi, et vous vous rendez rapidement compte que la situation est sans issue. Un exemple des plus simples est une situation mise en avant dans la bande-annonce du jeu : un vieux juif est passé à tabac par des partisans nazis en pleine rue. Que faites-vous ? Que pouvez-vous faire ? Où est votre devoir ? Où est votre morale ? Que vous dicte votre conscience ? Vous vous rendez rapidement compte que vous devez avaler des pilules de plus en plus grosses pour voir l'année 1946.
Votre première partie est prenante émotionnellement. Rien à redire. La seconde est malheureusement un peu plus décevante, car elle met en lumière le fait que vos décisions et choix n'ont que peu d'impact sur le déroulement du jeu. On respecte le choix des développeurs de s'en tenir à une approche réaliste, mais on aurait aimé voir un peu plus de liberté laissée au joueur pour lui permettre d'avoir l'impression de créer sa propre histoire plutôt que de rejouer la même version en boucle.
Crache sur la svastika, Myrhdin
En tant que joueur, on vous a resservi des dizaines de fois la même soupe de jeux sur le nazisme, du simple réalisme du "Gentil Allié/Méchant Nazi/Toi voir, toi tirer" d'un Medal of Honor, parfois dans l'allégorie des "Et si..." des derniers Wolfenstein ou dans le WTF des Indiana Jones. Rarement vous propose-t-on l'approche de la résistance des locaux... Dans notre propre historique de joueur, on a peut-être qu'un titre, "The Saboteur", qui aille dans cette direction.
Le fait est que Through the Darkest of Times aborde le sujet sans complexe et c'est d'autant plus intéressant que le sujet est méconnu, même en Allemagne. Après tout, si on vous demande de nommer un autre résistant français que Jean Moulin (De Gaulle n'est pas une bonne réponse), vous serez sans doute bien en peine, à moins d'avoir vu un certain film avec Carole Bouquet.
Nous ne dirons pas que ce jeu fait partie d'un devoir de mémoire, ni même qu'il pourrait avoir un intérêt pédagogique quelconque pour de jeunes français. Sauf que. Sauf que.
Le jeu vous fait mal. Le jeu vous met face à des réalités que vous connaissez trop bien et que vous vivez au quotidien, ou pire, que vous entretenez vous-même, oui, 75 ans après. Sur vos écrans, sur les réseaux sociaux, voire même dans un simple repas de famille, vous naviguez entre opinions nauséabondes et démonstrations de force dégueulasses. Que faites-vous ? C'est tout le fond de Through the Darkest of Times, qui vous met devant vos responsabilités : pour protéger votre groupe, votre identité, et survivre aussi longtemps que faire se peut avant que vous ne soyez vous-même menacé, qu'êtes-vous prêts à faire ? Que sacrifierez-vous ?
Sur une note plus personnelle, il est impossible pour moi de mettre une vraie étiquette sur ce titre. La seule chose que j'espère, c'est qu'il vous fera réaliser que tout a commencé par une simple élection, que la résistance n'attend pas et qu'elle peut prendre tellement de formes différentes, même dans votre vie quotidienne, que vous n'avez aucune excuse pour ne pas la rejoindre. Dans votre prochain repas de famille, quand oncle Robert ouvrira la page politique avec une déclaration bien sentie sur les migrants ou étalera son expertise économique en parlant de l'Europe et du Frexit, pensez à ce jeu. Il n'est jamais trop tôt, avant qu'il ne soit trop tard.
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Genres | Stratégie, historique |
Sortie |
30 janvier 2020 (Monde) (Windows) |
Aucun jolien ne joue à ce jeu, aucun n'y a joué.
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