L'abonnement, l'avenir selon Ubisoft ?

Si l'actualité d'Ubisoft en ce début d'année 2024 aurait pu être Avatar, Prince of Persia, les autres jeux à venir ou les options options pour le Ubisoft +, c'est finalement une polémique qui éclipse tout. Mais est-ce que cette polémique est fondée ?

Si on recherche "Ubisoft" sur internet et qu'on regarde du côté des actualités, on tombe sur un tas d'articles avec des titres comme :

Ubisoft veut rendre les joueurs à l'aise avec le fait de ne pas être propriétaires de leurs jeux
Ubisoft : « vous ne posséderez aucun jeu vidéo, et vous serez heureux »
La fin du format physique ? Ubisoft pense que les joueurs ne veulent plus posséder leur jeux
Pour Ubisoft, l'époque où on achetait des jeux est déjà révolue
Pour Ubisoft, les joueurs sont prêts à ne plus posséder leurs jeux vidéo
Ubisoft : les joueurs doivent s'habituer à ne pas posséder de jeux
Ubisoft : les joueurs doivent « se sentir à l'aise de ne pas posséder leur jeu », mais c'est une très mauvaise idée
Le service d'abonnement est-il l'avenir du jeu vidéo, comme l'affirme Ubisoft ?
Ubisoft ne veut pas que les joueurs possèdent leurs jeux
Logo Ubisoft

Ce n'est qu'un échantillon (pris au hasard) et on peut en trouver un tas d'autres sur la toile, dans toutes les langues. Cette affirmation que la fin de l'achat du jeu vidéo est arrivée au profit des services à abonnement ne manque pas de faire polémique et à raison : les services à abonnement sont actuellement largement minoritaires dans les pratiques de consommation des jeux vidéo et, même si ces services sont en croissance et qu'on prend l'hypothèse que cette croissance se maintient, elle ne permettra pas d'arriver à un point de bascule avant des années.

Il est donc étonnant qu'ils émettent aujourd'hui une telle affirmation. D'autant plus que même si Ubisoft reste une société majeure dans l'industrie du jeu vidéo, elle n'a clairement pas le poids pour mener un tel changement. Et, à l'opposé, on devrait pouvoir compter sur l'expérience du géant pour éviter de sortir des annonces clairement polémiques.

Du coup, si ça parait trop gros pour être vrai, est-ce que ça ne serait pas tout simplement trop gros pour être vrai ?

À la recherche de la source

Pour mieux comprendre ce qui a été dit, la seule solution est de remonter à la source. Celle-ci est une interview de Philippe Tremblay, directeur des abonnements chez Ubisoft, à l'occasion de la refonte des offres à abonnements de l'éditeur, avec d'une part la transformation de l'ancienne offre en Ubisoft+ Premium qui permet de jouer à plus d'une centaine de titres, dès leur sortie (ou dès leur accès anticipé), dans leur version premium sur PC (mais aussi Xbox ou Luna pour certains titres) pour 17,99€/mois, et d'autre part l'ajout d'une nouvelle offre Ubisoft+ Classic qui permet de jouer à une cinquantaine de titres, dans leur version standard, sur PC pour 7,99€/mois.

Bref, l'occasion de faire le point sur la vision de Ubisoft sur les abonnements.

Ubisoft est une société qui cherche à faire du profit. Ils expliquent ainsi qu'il y a différents profils de joueurs, avec différentes attentes et différentes façons de consommer et que leur but est de chercher à répondre aux attentes d'un maximum de joueurs. Certains veulent acheter des jeux et ils leur vendent des jeux. D'autres veulent utiliser un abonnement, pour un mois ou pour des durées plus longues, et ils sont également là pour répondre à ces attentes (et étoffer l'offre d'abonnement s'est fait dans le but de toucher plus de joueurs).

Cette position se traduit très bien par une phrase de Phillipe Tremblay en début d'interview :

The point is not to force users to go down one route or another. We offer purchase, we offer subscription, and it's the gamer's preference that is important here.

L'important est de ne pas forcer les utilisateurs dans une direction ou une autre. Nous offrons l'achat, nous offrons l'abonnement et c'est la préférence du joueur qui est importante ici.

Mais alors ?

La position d'Ubisoft semble raisonnable et cohérente avec les besoins d'une société en recherche de croissance : ils veulent l'argent des gens et se positionnent aussi bien qu'ils le peuvent pour pouvoir répondre à leurs besoins quels qu'ils soient, sans chercher à leur forcer (trop) la main. Du coup, d'où vient cette affirmation reprise partout ? La source serait-elle autre ?

La source est bien cette interview. On retrouve ainsi l'affirmation sous trois formes.

La première est le titre de l'article :

The new Ubisoft+ and getting gamers comfortable with not owning their games

Le nouveau Ubisoft+ et faire s'habituer les joueurs à ne plus posséder leurs jeux

La seconde est une citation légèrement modifiée servant à casser le pavé de l'article :

Gamers are used to owning their games. That's the consumer shift that needs to happen

Les joueurs sont habitués à posséder leurs jeux. C'est le changement de façon de consommer qui doit se passer.

La troisième et dernière est la citation dont les deux précédentes formes sont tirées :

One of the things we saw is that gamers are used to, a little bit like DVD, having and owning their games. That's the consumer shift that needs to happen. They got comfortable not owning their CD collection or DVD collection. That's a transformation that's been a bit slower to happen [in games]. As gamers grow comfortable in that aspect… you don't lose your progress. If you resume your game at another time, your progress file is still there. That's not been deleted. You don't lose what you've built in the game or your engagement with the game. So it's about feeling comfortable with not owning your game.

Une des choses qu'on a constatées est que les joueurs sont habitués, un peu comme c'était le cas avec les DVD, à avoir et posséder leurs jeux. C'est le changement de façon de consommer qui doit se passer. Ils sont devenus confortables avec le fait de ne pas posséder leur collection de CD ou leur collection de DVD. C'est une transformation qui se déroule un peu plus lentement [pour les jeux vidéo]. Les joueurs deviennent plus confortables sur cet aspect... on ne perd pas sa progression. Si on reprend le jeu plus tard, la progression est toujours là. Ça n'a pas été perdu. On ne perd pas ce qu'on a achevé dans le jeu ni son engagement avec le jeu. C'est donc à propos de ce sentiment d'être confortable avec le fait de ne pas avoir son jeu.

Après avoir expliqué que le choix des joueurs primait et que c'était Ubisoft qui s'adaptait pour répondre aux attentes, ils semblent changer leur fusil d'épaule pour expliquer que si les joueurs avaient l'habitude d'avoir leur collection de jeu, une première étape a été qu'ils s'habituent au dématérialisé, ils vont devoir s'habituer à ne plus acheter leurs jeux pour passer aux services par abonnement, de la même manière que les gens ont abandonné leurs CD et DVD au profits d'offres dématérialisées par abonnement (Deezer, Spotify, Netflix, Amazon Prime, Disney+, etc).

Il y a une certaine logique de supposer qu'une évolution adoptée pour plusieurs médias pourrait être adoptée par un média de plus. Mais la situation actuelle et les différences entre ces différentes industries laissent peu de chances que cela puisse arriver à court ou moyen terme. Puis, encore une fois, il est étonnant de voir un tel revirement de discours si peu de temps après avoir expliqué l'importance de laisser le choix aux joueurs.

Du coup ?

Pour mieux comprendre, il faut remonter un peu dans l'article, où il est expliqué que les offres par abonnement sont en croissance, avec un mois d'octobre 2023 où le Ubisoft+ a accueilli un nombre record d'utilisateurs (ndr : à l'occasion de la sortie de Assassin's Creed Mirage), avec une part importante de joueurs qui n'avaient pas acheté de jeu ou pris d'abonnement chez Ubisoft auparavant. Du coup, ils perçoivent une croissance et un potentiel de croissance.

Rebondissant sur cette information, l'interviewer demande :

The question remains around the potential of the subscription model in games. Tremblay says that there is "tremendous opportunity for growth", but what is it going to take for subscription to step up and become a more significant proportion of the industry?

La question persiste par rapport au potentiel du modèle à abonnement pour les jeux. Tremblay dit qu'il y a une "importante opportunité de croissance", mais qu'est-ce qui fera que l'offre à abonnement monte en puissance et devienne une part plus significative de l'industrie ?

Ce à quoi Philippe Tremblay répond :

I don't have a crystal ball, but when you look at the different subscription services that are out there, we've had a rapid expansion over the last couple of years, but it's still relatively small compared to the other models. We're seeing expansion on console as the likes of PlayStation and Xbox bring new people in. On PC, from a Ubisoft standpoint, it's already been great, but we are looking to reach out more on PC, so we see opportunity there.

One of the things we saw is that gamers are used to, a little bit like DVD, having and owning their games. That's the consumer shift that needs to happen. They got comfortable not owning their CD collection or DVD collection. That's a transformation that's been a bit slower to happen [in games]. As gamers grow comfortable in that aspect… you don't lose your progress. If you resume your game at another time, your progress file is still there. That's not been deleted. You don't lose what you've built in the game or your engagement with the game. So it's about feeling comfortable with not owning your game.

Je n'ai pas de boule de cristal, mais lorsqu'on regarde les différents services à abonnement disponibles, on constate une rapide croissance au cours des deux dernières années. Mais c'est encore relativement faible par rapport aux autres modèles. Nous constatons une croissance sur les consoles comme les PlayStation et Xbox qui amène de nouveaux joueurs. Sur PC, du point de vue de Ubisoft, c'est déjà bien mais nous cherchons à toucher plus de monde sur PC, donc nous voyons une opportunité ici.

Une des choses qu'on a constatées est que les joueurs sont habitués, un peu comme c'était le cas avec les DVD, à avoir et posséder leurs jeux. C'est le changement de façon de consommer qui doit se passer. Ils sont devenus confortables avec le fait de ne pas posséder leur collection de CD ou leur collection de DVD. C'est une transformation qui se déroule un peu plus lentement [pour les jeux vidéo]. Les joueurs deviennent plus confortables sur cet aspect... on ne perd pas sa progression. Si on reprend le jeu plus tard, la progression est toujours là. Ça n'a pas été perdu. On ne perd pas ce qu'on a achevé dans le jeu ni son engagement avec le jeu. C'est donc à propos de ce sentiment d'être confortable avec le fait de ne pas avoir son jeu.

On constate donc que la citation qui a mené à la polémique fait partie d'une réponse à une question qui pose une hypothèse et donc oriente la réponse. Ça ne l'oriente pas dans le sens où l'interviewer cherche à piéger l'interviewé. Mais, simplement, ça force pour y répondre à ignorer un tas de facteurs qui font que cette réponse ne peut être que hypothétique.

En clair, Ubisoft ne dit pas que les joueurs doivent s'habituer à ne pas posséder leurs jeux, mais dit plutôt que les services à abonnement gagneront en part de marché au fur et à mesure que plus de joueurs s'habitueront à ne pas posséder leurs jeux.

Conclusion

En dehors de la polémique en elle-même, celle-ci met en évidence un souci qu'on a actuellement.

D'une part, certains journalistes cherchent à sortir des articles aussi vite que possible, sans chercher à confirmer ni à comprendre une information, en utilisant des titres qui attireront le lecteur dans l'espoir d'un clic (quitte à prendre une information hors contexte pour un sens qui n'est pas celui originel).

Et d'autres part, certains lecteurs (dont des journalistes) ne liront pas correctement un article, se contentant de quelques infos piochées au hasard cà et là (quand ils ne se contentent pas de lire seulement le titre) et ne vont jamais remettre une information en question, même lorsque celle-ci parait trop grosse pour être vraie.

Mais on revient au problème initial : si les journalistes faisaient correctement leur boulot, on n'aurait pas à le mettre en doute et le faire à leur place. (Même s'il est toujours bon de garder un esprit un minimum critique.)

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