Interview de Vincent Desmazes, responsable des jeux et des services chez Microsoft France
Lors de la Paris Games Week, nous avons rencontré Vincent Desmazes. L'occasion de discuter avec lui du Xbox Game Pass et de l'avenir de Xbox. Voici une retranscription éditée de notre entretien.
Quel est le rôle des divisions locales du groupe Xbox dans l'élaboration du catalogue du Game Pass ? Est-ce qu'un jeu peut être choisi simplement pour pousser le Pass sur un marché précis ?
Vincent Desmazes : Dans le Game Pass, il y a effectivement des jeux qui arrivent tous les mois, dont certains qui ressortent. Nous, en local, pouvons nous dire « ce jeu a particulièrement de succès en France », « c’est un studio français » ou d’autres choses comme ça. Aussi, oui, nous pouvons avoir une saveur locale pour déterminer sur quel titre nous appuierons, car c’est celui qui nous plaît. Ce n’est même pas qu’une question de pays : c’est avant tout une question de personne. Si nous avons eu un coup de coeur sur un jeu, nous pouvons parfaitement décider de le mettre en avant. Cela ne veut pas dire que nous faisons du surinvestissement dans tous les sens, mais dans nos prises de parole, nous poussons ce titre. Ce sont notre saveur locale ainsi que notre âme de gamer qui parlent, qui déterminent les jeux qui nous plaisent et que nous avons donc envie de pousser.
Microsoft propose deux abonnements Xbox Game Pass distincts : un sur PC et un sur Xbox. Pourquoi avoir fait deux abonnements différents plutôt qu’un seul ?
Vincent Desmazes : La question s’est certainement posée de faire un seul abonnement qui rassemble tout ou deux abonnements différents. Le choix a été de faire un « abonnement PC pour les joueurs PC. » Le choix a été fait de ne pas faire un simple portage des jeux du Game Pass console sur le Game Pass PC. En effet, premier écueil, certains jeux du Game Pass console ne sont pas disponibles sur PC. De plus, nous avions la volonté de montrer aux joueurs PC que même si nous essayons d’abaisser les barrières, nous avons une équipe de curation qui est dédiée au Game Pass PC et qui produit un catalogue différent pour ces utilisateurs, car ils ont des attentes spécifiques. Il peut y avoir des jeux qui sont supers sur consoles, mais moins bien sur PC et vice-versa. Nous avons la volonté de nous assurer que nous ne sommes pas en train de les mettre dans le même panier que les joueurs console parce que certains veulent se distinguer, sont jaloux de leur particularité et ça, nous devons le respecter.
Le fameux "PC Master Race"
Vincent Desmazes : C’est une réalité donc nous devons y répondre ; nous sommes énormément à l’écoute de cela. Néanmoins, c’est vrai que lorsqu’on m’a annoncé la sortie du Game Pass sur PC, j’imaginais un seul abonnement. Ce serait plus simple à travailler, à lancer, à marketer, mais c’est simple pour nous ; ce n’est pas ce que veulent les joueurs, donc nous nous adaptons.
Est-ce que les populations PC et consoles s'entrecoupent ou a-t-on affaire à des publics bien distincts ?
Vincent Desmazes : Nous avons vu des choses toutes bêtes qui justifient de s’intéresser spécifiquement aux joueurs PC. Ainsi, Gears 5 a particulièrement bien marché sur PC : c’est le jeu Xbox qui a le mieux marché sur ce support pendant cette génération. Il y a eu une super réception de la part de la communauté de joueurs PC. Beaucoup de personnes se sont abonnées au Xbox Game Pass pour ce jeu et ça, c’est vraiment un nouveau segment. Avant qu’on lance le Xbox Game Pass sur PC, très peu de joueurs sur ce support auraient eu accès au jeu ; ce changement est donc génial. C’est un outil de découverte, qui donne accès à des jeux auxquels les gens n’auraient jamais joué avant ; Gears 5 en est l’exemple parfait.
Peut-on s’attendre à voir arriver le Xbox Game Pass sur d’autres plateformes (smartphones, Switch, PlayStation 4) ?
Vincent Desmazes : Certes, quelques-uns de nos jeux sont sortis sur Switch. Je pense surtout au premier Ori et à Cuphead. Néanmoins, il a clairement été dit que cela n’avait pas vocation à se renouveler systématiquement. Tout dépend des opportunités, jeu par jeu : ces deux titres étaient totalement adaptés à l’audience de la Nintendo Switch.
Ensuite, notre objectif est de toucher et de proposer nos services à tous les joueurs, où qu’ils soient et quelle que soit la plateforme sur laquelle ils jouent. Aussi, j’ai envie de dire que oui, le rêve serait que le Xbox Game Pass soit sur toutes les plateformes. Cependant, je ne suis pas sûr que ce soit dans les plans ni que ce soit possible.
Concernant les joueurs mobiles, nous nous y intéressons et c’est pour cela que nous avons lancé le Projet xCloud dans des pays tests. Nous souhaitons permettre aux joueurs mobiles d’avoir l’expérience Xbox sur leur support. Je ne connais pas la forme que cela prendra sur la durée, mais oui, ces joueurs nous intéressent. C’est une très grosse communauté et nous proposons quasiment la portabilité de l’expérience console sur mobile, avec la manette Xbox. Pour l’avoir testé à l’E3, c’est vrai que c’est assez bluffant. En l’occurrence, j’ai joué à Forza quelques minutes et c’est vrai que tu retrouves totalement ton expérience console.
Les abonnés du Xbox Game Pass ont-ils plutôt tendance à s’abonner de manière ponctuelle, un mois de temps en temps, pour certains jeux précis, ou restent-ils abonnés pendant plusieurs mois, voire années, consécutifs ?
Vincent Desmazes : La plupart des gens qui s’abonnent sur console ou en digital ont tendance à prendre un abonnement d’une durée mensuelle. C’est le modèle de base des services par abonnement, qu’il s’agisse d’acteurs du jeu vidéo ou de Netflix. Ce que nous voyons, c’est que lorsque les gens entrent, ils ressortent peu. Ils restent vraiment ; c’est notre rôle de les retenir, mais aussi de leur donner une raison de rester. C’est pour cela que nous accélérerons les sorties de jeux à partir de février avec un voire deux jeux par mois, sur console comme sur PC. Il n’y a que le contenu qui intéresse les joueurs donc nous devons leur en apporter, que ce soit le nôtre, nouveau, ou du bon contenu de catalogue. Ainsi, Devil May Cry 5 est rentré récemment. Le but est de fournir du contenu de qualité aux joueurs pour qu’ils restent.
Plusieurs cadres de Microsoft ont affirmé que l’inclusion d’un jeu dans le Xbox Game Pass favorisait ses ventes au lieu de les affaiblir. Avez-vous eu le même effet avec Gears 5 ? Avez-vous des indications montrant que le Xbox Game Pass a boosté les ventes du jeu ou, au contraire, pensez-vous que des personnes se sont abonnés plutôt que d’acheter le jeu ?
Vincent Desmazes : C’est l’exclusivité qui s’est le mieux vendue sur cette génération, que ce soit en vente en boîte en magasin, en vente digitale ou via le Xbox Game Pass. Au final, nous nous rendons compte qu’il y a plus de joueurs de Gears, que la multiplication des choix a eu un impact positif sur le nombre d’activations du jeu. Il y a plus de joueurs encore aujourd’hui, y compris sur PC.
Paradox s’était plaint du modèle économique du Xbox Game Pass, ne s’estimant pas assez payé compte-tenu du fait que les joueurs passaient plus de temps sur leurs jeux que sur ceux des autres éditeurs. Comment s’assurer que le système de rémunération du Xbox Game Pass satisfasse tout le monde, aussi bien de petits studios indépendants que de gros éditeurs internationaux ?
Vincent Desmazes : Je ne connais pas le modèle économique pour les éditeurs, mais ce que je peux te dire, c’est que sur Xbox, on voit une multiplication par 7 du nombre d’activations d’un jeu entre le moment pendant lequel il n’est pas disponible sur le Xbox Game Pass et celui où il arrive dans le catalogue de cette offre. Cela donne donc un second souffle au jeu, voire une deuxième vie quand il s’agit d’un jeu vraiment de back catalogue. Pour certains jeux, généralement issus de petits éditeurs ou d’éditeurs indépendants, cela peut aller jusqu’à x35. Pour moi, l’équation est limpide pour eux : ils multiplient le potentiel d’activation. De plus, ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que, moi le premier, nous parlons d’industrie, de business. Toutefois, n’oublions pas que les gens qui développent les jeux sont avant tout des passionnés. Or, quand tu écris un livre, quand tu tournes un film ou quand tu écris une chanson, ce que tu veux, c’est que les gens aillent voir ton film, lisent ton livre ou écoutent ta chanson. Dans le jeu vidéo, c’est pareil : plus il y a de gens qui jouent au jeu vidéo que tu as développé, mieux tu te portes. Évidemment, l’aspect financier est aussi important, il faut bien qu’ils vivent, mais il y a aussi cet aspect-là qui est hyper important et hyper gratifiant.
De plus, le Xbox Game Pass est vraiment un outil de découverte : on se rend compte que les gens qui utilisent ce service jouent à 30% de jeux de genres différents. Quelqu’un qui n’a jamais joué à des jeux de voitures peut se dire « un jeu de courses, ça ne me coûte pas plus cher, donc j’y vais. » Par ailleurs, les abonnés jouent à 40% de jeux en plus. En outre, un éditeur sur le point de lancer un nouvel opus de sa franchise peut décider d’inclure le jeu précédent au Xbox Game Pass afin de le faire découvrir ou redécouvrir. Ubisoft a procédé ainsi avec The Division 1 lorsqu’ils ont annoncé The Division 2. Nous avons aussi vu cela avec Bethesda ou avec la licence Tomb Raider. C’est une mécanique intéressante, un outil de recrutement pour eux. C’est aussi l’occasion pour un jeu de vendre ses DLC ; sans l’abonnement, tu n’aurais peut-être jamais joué à ce jeu. En conséquence, je pense qu’il y a plein, plein de façons de retrouver ses petits avec le Xbox Game Pass. Chaque studio, chaque éditeur, voit son intérêt, sinon il n’y serait pas.
Depuis deux ans, les jeux édités par Microsoft sont disponibles dès leur sortie sur le Xbox Game Pass. Plusieurs jeux indépendants sont dans le même cas. Pensez-vous que dans le futur, des AAA d’éditeurs tiers pourraient être inclus au Xbox Game Pass dès leur lancement ?
Vincent Desmazes : Si tu me demandes mon avis à moi : j’adorerais. Néanmoins, je ne suis pas sûr qu’on en soit là pour l’instant. Là, je pense que l’équation économique est plus importante : c’est une nouveauté, à 70€. Nous nous y retrouvons sur nos propres jeux parce que notre système économique est fait ainsi. J’adorerais que des AAA tiers intègrent le service dès leur sortie, mais je ne suis pas sûr que ce soit un sujet de discussion actuellement.
Microsoft a annoncé qu’une prochaine console sortira fin 2020. Quels seront ses arguments de vente, surtout dans le public spécialisé si les jeux édités par Microsoft sont aussi disponibles sur PC, voire même sur Switch ?
Vincent Desmazes : C’est vrai que nous avons sorti quelques jeux sur Switch. Nous avons aussi des jeux sur PC, bien que tous n’y soient pas. Cependant, l’exclusivité reste quand même un pilier important, que nous le voulions ou non, dans l’univers du jeu vidéo : c’est comme ça que nous nous démarquons des autres. Avec Scarlett, nous nous distinguerons par la puissance, certes, mais nous continuerons aussi à nous distinguer par notre contenu. J’ai envie de dire que c’est ça l’avenir d’Xbox : le contenu. De plus, la console est un pilier essentiel, un des trois piliers qui nous font penser que nous réussirons dans l’avenir, les fameux « trois C » : le cloud, le contenu et la communauté. La communauté est essentiellement rattachée au hardware, à la console. C’est pour nous un pilier essentiel. Même si nous voulons explorer, ouvrir les horizons, notre communauté actuelle est très console et nous tenons énormément à elle. Ils sont fidèles et nous sommes fidèles à cette communauté.
Quelle place occupera la Xbox One une fois la nouvelle Xbox sortie ? Est-ce que tous les jeux ne sortiront plus que sur la nouvelle génération de consoles ou est-il envisageable que pendant quelques temps Microsoft sorte ses exclusivités sur les deux générations ?
Vincent Desmazes : Je vais te répondre très simplement : pour les éditeurs tiers, la majorité des revenus ne viendront pas de Scarlett tout de suite. La base installée se construira au fur et à mesure, donc les volumes se feront dans un premier temps sur la génération précédente. Je n’ai pas tous les chiffres en tête, mais durant les premiers mois de la génération actuelle, voire la deuxième ou la troisième année, les plus gros volumes étaient encore sur Xbox 360 parce que c’était là qu’était la base installée. Aussi, ceux qui achètent une Xbox One (S, X ou All-Digital) aujourd’hui continueront à avoir des contenus. Le but, c’est vraiment d’unifier nos écosystèmes et de ne léser personne. Si quelqu’un veut passer immédiatement à ce qu’on appelle aujourd’hui « Projet Scarlett », c’est super, mais quelqu’un qui vient de se prendre une Xbox One X ne sera jamais lésé. Nous sommes fidèles à notre communauté.
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