Test de Walkerman, ou le petit guide touristique de Midgard

On ne compte plus le nombre de Visual Novel qui sortent depuis quelques années, tout particulièrement sur la scène indé où le genre est populaire du fait de sa relative simplicité d'exécution. Walkerman, premier né du studio indépendant Scalemail, entend bien se faire une petite place au chaud. Reste à voir s'il n'est pas prématuré, toutefois...

La saga d'un gars

 

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Walkerman nous entraîne dans un passé alternatif et fantastique ancré dans la culture moyenâgeuse scandinave. On y incarne Jorgen, jeune homme de dix-neuf ans vivant avec son père dans une petite ferme tranquille parce que paumée au fond des bois, loin d'une civilisation dérapant à toute bringue sur la pente savonneuse de la dégénérescence à en croire notre héros. La principale menace, bien plus directe, vient des créatures surnaturelles hantant les nuits et ne laissant de leur victimes qu'une pile de vêtements après avoir, selon toutes vraisemblance, boulotté le corps. La populace effrayée, mais trop virile pour le montrer clairement, choisissant majoritairement la technique ancestrale dite « faire l'autruche », il appartient donc à une poignée d'élus de faire le boulot sous les vivats d'une foule en délire éperdue de reconnaissance...

 

Non, je déconne ! En vrai, c'est une poignée d'inconscients qui bravent les dangers de la nuit au risque de se faire trucider pour des clopinettes et le mépris fort peu mérité des ingrats qu'ils sauvent nuit après nuit, pour peu qu'ils y survivent. Pour vous monter à quel point le boulot manque de reconnaissance, les Walkermen, puisque c'est leur nom, sont tenus de porter en permanence des sacoches volontairement bruyantes histoire de bien attirer l'attention sur eux, pour que tout bon citoyen sache instantanément qu'ils ont affaire à cette sale engeance qu'il faut snober et tant pis s'ils protègent la ville. À se demander qui pourrait bien avoir envie de faire un boulot pareil, vraiment !

 

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Bah vous, tiens ! Enfin, Jorgen, que vous incarnez. Son père était Walkerman et malgré avoir eu l'occasion de constater encore et encore à quel point ce métier est pourrave, fiston a décidé, comme ça, sur un coup de tête, de faire pareil. Plutôt que de le dissuader, le père lui fait un petit entraînement vite fait, faisant à l'occasion office de tutorial, avant de le laisser partir pour la Ville-État de Midgard chercher... on sait pas trop quoi, en fait, mais certainement pas la gloire et la fortune vue la carrière choisie.

 

Je marche seul !

 

Le jeu en lui-même se découpe en deux parties. La première est un Visual Novel des plus classiques où l'on suit le quotidien de Jorgen tout en recueillant indices et objets permettant de lutter contre les créatures de la nuit. La seconde une sorte de petit jeu de plateau qui ressemble à première vue à un RPG tactique, mais qui s'avère au final une sorte de puzzle à résoudre en choisissant la bonne action ou objet face à une situation donnée en espérant prendre suffisamment de bonne décisions pour survivre.

 

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En effet, les créatures que l'on affronte ont pour particularité de souffrir de TOC puisqu'elles suivent toutes un jeu de règles tel que toujours faire face à un objet ou matière précis, empiler proprement des blocs, ce genre de choses. Pourquoi, on ne le sait pas vraiment, mais ces obsessions sont au final la seule défense des Walkerman dont l'essentiel du travail, s'ils espèrent survivre à la confrontation, est de découvrir un maximum des règles de la créature qu'il chasse et récolter dans leur sacoche toute une variété d'objets permettant de les déclencher... Ou devoir y aller au petit bonheur la chance en espérant avoir de quoi déclencher une règle sur eux et, accessoirement, que la règle en question ne soit pas « j'étripe l'andouille qui me balance son bordel à la figure ».

 

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Sur le papier, c'est sympa et l'exécution est plutôt intéressante, misant en partie sur la mémoire et l'attention du joueur sur les menus détails puisque ne disposant pas de journal où chaque règle est soigneusement renseignée pour le distrait qui ne lisait que d'un œil. Non, il faudra ici au moins se souvenir dans les grandes lignes de ce que l'on apprend. L'interactivité est relativement limitée en revanche puisque l'on se borne à choisir parmi diverses options puis de voir le résultat.

 

Le point fort du jeu viens de ses graphismes. Bon, d'accord, c'est du visual novel, donc le tout est assez statique, mais le style choisi est plaisant, avec un côté plus occidental que le classique style manga et les décors comme les personnages sont dans l'ensemble réussis. Les bruitages et musiques sont en revanche assez quelconques.

 

Une ombre dans la nuit.

 

Même si le jeu en lui-même est intéressant et propose de bonnes idées, plusieurs points viennent entacher un tableau autrement réussit. Le premier, c'est le format épisodique. Sans être une grande innovation dans le genre Visual Novel, ça reste assez peu courant, mais le problème n'est pas là. En fait, je devrais plutôt dire que le soucis viens du format épisodique combiné au rythme du jeu : c'est à la fois lent et trop court. Ce premier opus qui vient de sortir ne comporte, à l'heure actuelle, que le prologue et l'épisode 1. Soit le tout début de l'histoire de Jorgen. Et si le trailer nous laissait miroiter divers boulots à accomplir, donc plusieurs séquences de chasses, ben en pratique, il n'y en a qu'une et qui sert de conclusion au premier épisode... C'est maigre. Trop maigre pour un jeu qui a mis ce côté tant en avant. On nous explique le principe au tout début, sous forme d'un tutoriel assez bien intégré au jeu, puis ça passe pratiquement à la trappe jusqu'à la toute fin.

 

Il faut compter moins de dix heures pour finir le contenu et pourtant, on a l'impression étrange que c'est long et qu'au final on n'a pas fait grand chose. Ce sentiment vient de deux choses, essentiellement : la narration et le protagoniste.

 

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Côté narration, on a le sentiment que les créateurs ont écrit un livre puis ont découpé le tout sous forme de séquences et intégré le résultat à un Visual Novel. Mais, me direz-vous non sans pertinence, c'est un visual novel, qui veut justement dire Roman Visuel, c'est normal ! Oui... et non. S'il est vrai que le genre en lui-même permet de mettre l'accent sur la narration, la partie visuelle a pour rôle de soulager la narration en lui déléguant une partie des descriptions. Vouloir tout décrire dans le moindre détail est, normalement, superflu. C'est surtout flagrant pour les dialogues où les codes habituels du genre impliquent d'identifier clairement l'interlocuteur en plaçant son nom dans un encart dédié, permettant ainsi de ne pas avoir besoin de rappeler qui parle. Walkerman ne le fait pas, optant pour l'identification au milieu de la réplique avec des bribes descriptives, mais suivant une règle d'écriture propre aux livres impliquant qu'il n'est pas nécessaire de rappeler constamment qui parle dans une conversation entre deux protagonistes tant que le changement d'interlocuteur est clairement identifiable. Pour Walkerman, une partie de l'identification de qui parle, quand elle n'est pas mentionnée dans le texte, passe par la représentation du personnage s'exprimant à l'écran, qui aura alors la bouche ouverte. Logique et clair, me direz-vous. Sauf quand le personnage ouvre la bouche pour manifester la surprise ou change d'expression entre deux répliques. C'est assez subtil, mais il arrive ici et là qu'il y ait une confusion provoquée par le format d'écriture choisi pour les dialogues et les graphismes à l'écran, surtout quand plusieurs personnages sont présents.

 

Mais surtout, il ne se passe franchement pas grand chose. Jorgen débute comme Walkerman, certes, mais il passe plus de temps à nous expliquer le monde qui l'entoure, les coutumes locales, la religion, la politique plutôt qu'à faire le boulot qui lui a été assigné. Sur l'ensemble de la partie, on ne passe qu'assez peu de temps à préparer l'affrontement quand bien même on nous aura bien fait comprendre à plusieurs reprise que l'essentiel du travail de Walkerman, qui fait la différence entre la vie et la mort, c'est la préparation. Même lorsque Jorgen visite le culte et que le prêtre lui demande s'il vient pour du travail, vu que Midgard a un besoin pressant de Walkerman et donc du boulot à la pelle, ce dernier refuse automatiquement et on a droit à une explication supplémentaire de la religion de Midgard.

 

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On sent que les créateurs ont passé du temps à créer l'univers de leur jeu et souhaitent nous en faire profiter, mais le rythme s'en ressent d'autant plus qu'on s’attend à chasser du monstre la nuit, pas à faire du tourisme. Et chaque fin d'épisode est marquée par le générique de fin, ponctué par la musique du jeu bien rock. Tellement rock en fait que ça tranche violemment avec le jeu en lui-même. Et vu que le prologue est franchement court et que je ne m'y attendais pas, j'ai véritablement cru en voyant le générique que le jeu ne comprenait que le prologue. Surprise à double tranchant puisque du coup, après avoir pu continuer l'aventure passé le prologue, quand j'ai vu le générique me tomber dessus à nouveau après la fin du premier acte, ben je m'attendais à voir la suite... pour me retrouver au menu principal. L'utilisation de leur générique est pour le coup assez malhabile.

 

Et donc ?

 

Au final, Walkerman donne le sentiment d'être prématuré et d'avoir choisi le format épisodique pour sortir quelque chose très (trop ?) vite. Il n'est pas mauvais, pour peu qu'on aime le genre et que le côté verbeux ne dérange pas, mais une trop grosse partie du jeu donne une impression de remplissage et on a souvent envie de secouer le protagoniste pour qu'il se bouge et fasse son boulot. Même si l'unique chasse se comprend dans le contexte de l'épisode, on reste déçu de ne pas pouvoir en faire plus dans le contexte du jeu. Walkerman n'est finalement que sa propre introduction et se termine bien trop vite tout en laissant la sensation frustrante qu'on aurait pu en avoir plus si seulement on nous faisait moins visiter Midgard pour des détails qui ne vont pas forcément intéresser. Sans négliger que du coup, il faudra un bon niveau d'anglais pour pleinement en profiter. Le prix est en revanche plus que convenable, mais il est recommandé d'attendre que plus d'épisode (voire tous) soient sortis pour le prendre.

 

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Test réalisé par Chantelune à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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