Test de Soldiers of the Universe

Désireux de sortir du lot des FPS occidentaux et leurs univers très portés sur l'héroïsme et le patriotisme américain, les développeurs turcs de Rocwise Entertainment proposent le jeu solo et coop Soldiers of the Universe. Un titre qui a connu une longue période d'accès anticipé et qui est sorti en version finale ces derniers jours.

15 juillet 2016, la Turquie est frappée par une tentative de putsch mené par des généraux. Loin de là, alors en poste à Washington, Hakan est appelé par son père, qui est à la tête d'une organisation militaire spéciale turque nommée Akinci Warriors. Alors que son paternel meurt à l'autre bout du téléphone, le héros prend la tête de l'organisation afin de mener sa vengeance contre les ennemis de la République de Turquie.

Patriotisme et vision alternative

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Avec un pitch pareil, on s'attend bien à y retrouver toutes les idées les plus classiques du genre, mais à la sauce turque. Du héros invincible qui élimine des paquets d'ennemis au drapeau qui flotte lors de la cinématique finale, le jeu singe assez largement les centaines de FPS américains sortis dans nos contrées depuis vingt ans. La seule différence ici réside dans l'identité revendiquée : au lieu de sauver le monde au nom de l'idéal américain, vous sauverez le monde au nom de l'idéal turc. Le discours est le même et il sonne d'une manière tout aussi risible.
Soldiers of the Universe offre un contexte légèrement différent lorsqu'il nous emmène dans les rues d'Istanbul ou d'Alep en Syrie, nous envoyant tuer tout ce qui bouge - notamment des terroristes, bien que le jeu ne s'embarrasse pas à les identifier, mais on est là pour tuer peu importe la cible -, offrant ainsi une vision sensiblement différente des conflits du Moyen-Orient. Enfin, ça c'est la théorie, parce qu'en fin de compte les cinématiques se concentrent soit sur le désir de vengeance du fils soit sur l'identité de diverses cibles dont on ne sait strictement rien. Le jeu peine en effet à installer son contexte et on nous balance sans cesse des noms et des protagonistes ici et là, sans jamais vraiment les introduire et sans expliquer les camps qui s'opposent. Par exemple, la première cinématique vous annonce le développement, dans le secret le plus total, par le gouvernement d'une arme censée "mettre fin à tous les conflits", en vous donnant un vague aperçu d'un androïde en cours de construction. Néanmoins, après ça, vous n'en entendrez plus jamais parler malgré le fait que les développeurs veulent insister sur cette recherche d'une paix dans le monde qui rappelle les heures les plus glorieuses des discours de Miss France. Et de manière générale, l'action est confuse puisque le héros défend parfois les intérêts du gouvernement turc et parfois donne le sentiment de faire partie d'une organisation dissidente ; je serais bien incapable de dire si cette dualité était véritablement voulue. Il faut dire qu'avec ses dialogues qui ne semblent jamais avoir trop de rapports les uns avec les autres et sa mise en scène d'un autre âge, les cinématiques sont confuses, expédiées très rapidement et n'ont en définitive strictement aucun intérêt, car elles ne développent à aucun moment l'histoire annoncée. 

Une histoire dont on fait vite le tour puisque le mode histoire, qui est le seul mode du jeu (à faire en solo ou en coopération) ne compte que cinq niveaux. Ceux-ci se terminent en quelques minutes et il ne faudra pas plus d'une heure et demie pour en faire le tour. Si la durée d'une histoire n'en fait que très rarement la qualité, le problème ici est qu'elle est courte et mauvaise. Encore que, on pourrait être content que le supplice soit si court. En effet, appuyant lourdement sur la corde du patriotisme, le jeu ne parvient pas à raconter quoique ce soit et ne parlera certainement qu'aux Turcs avec un fort sentiment identitaire. Les niveaux ne parviennent pas à capter l'intérêt, car ils sont essentiellement composés de couloirs et n'offrent aucun challenge à cause d'une IA apathique, voire parfois même dysfonctionnelle. Il n'est pas rare en effet de voir un pan entier du niveau où les ennemis ne tirent pas une balle quand bien même vous alliez vous allonger à leurs côtés et lorsqu'ils fonctionnent, ils restent tous plantés au même endroit. Sur la totalité des cinq niveaux, j'ai dû compter six ou sept ennemis capables de marcher et de changer de couverture. Du coup, Soldiers of the Universe se limite à traverser des couloirs incroyablement laids, mal animés et à tirer sur des cibles apathiques. Un grand moment de jeu vidéo à n'en pas douter, qui a au moins le mérite de faire rire par ses bugs.

Patriote, mais injouable

En effet, s'il faut tirer une force du jeu (parce que mes nombreux fou rires nerveux resteront de bons souvenirs), c'est sa capacité à ne rien proposer de fonctionnel. D'abord, lancer la campagne pour la première fois sera une véritable aventure. Ainsi, changer le moindre paramètre des options, qu'il s'agisse de vitesse du pointeur, de langue, de sous-titres, de résolution ou de paramètres graphiques, mène irrémédiablement à un plantage du jeu et à l'impossibilité de le relancer sans aller supprimer le fichier de sauvegarde manuellement dans les dossiers du jeu. Quelques minutes plus tard et ayant enfin accepté l'idée de devoir jouer dans une résolution bâtarde et dans une langue que l'on ne connaît pas, il est l'heure de lancer la campagne. Une fois la première cinématique passée, il sera nécessaire d'effectuer quelques prières ou de toucher du bois selon les superstitions, car il arrive parfois que le jeu plante dès lors que vous faites un pas en avant. Dès lors que vous aurez enfin atteint une partie où le jeu veut bien recevoir des instructions de votre clavier sans planter, vous remarquerez que le jeu est en qwerty et qu'il est impossible de procéder à un remappage des touches (à vrai dire, vu ce qui arrive pour les autres options, on comprend qu'ils n'aient pas implémenté cette fonctionnalité). Seul moyen de s'en sortir : changer la langue du clavier sous Windows. Un mince souci certes, mais qui montre bien le peu de soin apporté par les développeurs à leur jeu. Un désintérêt que l'on retrouve également du côté de leur communication, puisqu'il est le plus souvent impossible d'obtenir une réponse sur la discussion Steam du jeu, où un développeur intervient de temps en temps et exclusivement dans les discussions en turc.

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Toutefois, le plus drôle réside dans les missions en elles-mêmes. Les ennemis dont je parlais plus haut qui sont immobiles ou qui n'utilisent pas leurs armes ne sont qu'un épiphénomène d'un jeu où rien ne va. Par exemple, il arrivera parfois que ces mêmes ennemis vous sortent un headshot à plus de 300 ou 400 mètres alors même qu'ils n'apparaissent pas encore à l'écran. Ou bien, vous ne parviendrez pas à les tuer à bout portant, car la hitbox est complètement ratée : un tir dans la tête peut ne rien donner tandis qu'un tir dans l'épaule peut tuer en une balle et vous valoir l'affichage d'une petite icône qui indique que l'ennemi a été tué d'une balle dans la tête. 
Parfois aussi, après l'utilisation d'une grenade, vos armes disparaîtront et il vous sera impossible d'en récupérer. Le seul moyen de s'en sortir est de mourir et reprendre au checkpoint précédent ou bien de sprinter en esquivant les balles jusqu'à la fin du niveau. Une technique relativement efficace sachant que les coéquipiers sont invincibles et qu'ils tuent sans mal tous les ennemis qui se trouvent derrière eux, donc atteindre le checkpoint suivant provoque la mort quasi instantanée des ennemis du précédent. Enfin, et pour terminer sur les checkpoints : la sauvegarde ne fonctionne pas en dehors des niveaux. Si en mourant vous retournerez sans mal au checkpoint précédent, quitter un niveau vous obligera à recommencer du début. De la même manière, votre progression n'est pas sauvegardée et le jeu plantera si vous tenter de continuer votre partie. Heureusement, tous les niveaux sont débloqués dès le début et vous pouvez lancer le chapitre voulu sans récupérer votre sauvegarde précédente.

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Enfin, et de manière plus générale sur la technique, le jeu exploite le moteur Unreal Engine 4 et prétend offrir un certain photo-réalisme. Malgré quelques effets de lumière honnêtes qui sont propres au moteur, on s'aperçoit rapidement de la pauvreté des textures. Une paresse qui se retrouve du côté d'un level design essentiellement composé de couloirs, des couloirs pas vraiment discrets puisque toute tentative de s'écarter du chemin se heurtera à des murs invisibles. Les ennemis, eux, se ressemblent, tout comme les coéquipiers IA. Des coéquipiers absolument stupides d'ailleurs, qui n'ont aucune idée de ce que signifie "être à couvert" et qui s'exposent sans cesse aux tirs ennemis. Cependant, sachant qu'ils sont invincibles, on peut difficilement leur donner tort.

Conclusion

Dans la forme pratiquement injouable et sur le fond absolument lamentable, Soldiers of the Universe est un de ces jeux qui doivent leur existence au concept de l'accès anticipé. Manque de bol et si on ne doute pas de l'investissement de ses quelques développeurs, le résultat est une injure au jeu vidéo et à la cause qu'ils prétendent défendre. Si les derniers mots des crédits rendant hommage aux victimes d'actes terroristes résonnent évidemment en chacun, l'affreux cheminement qui nous y mène et la sensation de jouer à une version alpha ne méritent pas le moindre de vos deniers. Le patriotisme est probablement un sentiment positif pour bon nombre de personnes, mais il aurait été bon pour les développeurs de se rappeler que les bons jeux, c'est bien aussi. 

Test réalisé par Hachim0n à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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Genres Indépendant, tir, contemporain

Sortie 30 novembre 2017 (France) (Windows)

Aucun jolien ne joue à ce jeu, aucun n'y a joué.