Interview de Cédric Lagarrigue, cofondateur de Zedrimetim et ancien président de Focus Home Interactive

Nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec Cédric Lagarrigue à propos de la création d'un tout nouveau studio, Zedrimetim. Cédric Lagarrigue est un des fondateurs de Focus Home Interactive, qu'il a ensuite dirigé jusqu'à son départ de la société, en 2018. Après un peu plus de trois ans passés au sein de la banque d'affaires Alantra, il revient dans le domaine du jeu vidéo avec ce nouveau projet, dont il nous parle ci-dessous.

Cet investissement marque un retour actif dans le domaine du jeu vidéo, après votre départ de Focus Home Interactive. Pourquoi ce choix ?

Cela mérite peut-être un peu de contexte. Quelques semaines après ma démission de Focus,  j’ai été sollicité par 2 groupes qui souhaitaient m’accompagner dans la reprise de la société. Il y a eu des débuts de discussions avec l’actionnaire de Focus qui n’ont malheureusement pas abouti.  Ce qui est quelque peu regrettable puisqu’il a revendu finalement 2 ans après à l’un de ces 2 groupes, à un prix inférieur à ce qu’il aurait pu obtenir avec moi à bord. Et ce malgré la forte croissance du groupe portée en partie par les succès des derniers jeux que j’avais mis en production.

J’avais signifié entretemps au futur repreneur, voyant des studios quitter Focus, certains nouveaux projets annoncés et le changement d’attitude à mon égard de certains anciens proches collaborateurs, que je souhaitais tourner définitivement la page Focus.

J’ai bien sûr discuté avec plusieurs éditeurs, j’ai eu de très belles offres mais après 20 ans consacrés à Focus, je ne me voyais pas revenir chez un concurrent,  en face des équipes  que je venais de quitter et qui avaient tant contribué à la réussite de Focus. J’aurais eu l’impression de les trahir.

La banque d’affaires Alantra m’a contacté durant cette période car elle souhaitait développer la pratique jeux vidéo. Je sentais depuis un moment qu’il y allait avoir une bascule sur le marché, que le rapport de force entre les studios et les éditeurs allait radicalement changer. J’ai donc accepté leur proposition. Nous avons fait un premier deal pour le studio Saber avec qui j’avais lancé quelques mois auparavant avec succès MudRunner chez Focus. Une opération d’envergure avec Embracer à plus de 500 millions d’euros qui a quelque peu donné le coup d’envoi de la période un peu folle de fusions acquisitions importantes dans le secteur.

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Alantra est aujourd’hui une des banques leaders sur le secteur du jeu vidéo avec près de 2 milliards d’euros levés et je continue ma mission auprès d’eux. Je prends énormément de plaisir à accompagner des entrepreneurs talentueux du jeu vidéo dans des opérations à forte intensité qui marqueront leurs existences.  Cette mission me permet également d’avoir d’autres activités parallèles comme ma participation dans l’aventure ZeDrimeTim.

Il y a quelques mois j’ai rencontré Gilles Aujard et Mikael Tanguy, qui avaient développé le prototype de Darwin’s Paradox pour lequel j’ai eu un vrai coup de cœur. Ils faisaient tous les deux une belle carrière dans le cinéma et l’animation. Ils avaient des propositions d’éditeurs pour céder les droits de leur jeu, un studio se serait alors chargé de développer le jeu qu’ils avaient imaginé. On a discuté un petit peu, je leur ai dit que la période était plus que favorable pour créer un studio et aller chercher des financements. Ils sont tous les deux passionnés de jeux vidéo, on s’entendait bien, tout est allé très vite.

L’expérience de ces dernières années chez Alantra vous a-t-elle apporté des compétences qui seront utiles à ce nouveau studio ?

Bien sûr et également les dernières années passées chez Focus.

Pendant des années, j’ai dirigé Focus et fait grandir cette société sans me soucier réellement de l’aspect capitalistique de la société. Seuls comptaient pour moi les paris et les succès qui finançaient intégralement le développement de la société. C’est suite à l’introduction en bourse de Focus, au contact des investisseurs que je me suis rendu compte que  la forte valorisation du faible investissement à la création de la société, (qui n’avait rien à voir avec du jeu vidéo) et la faible valorisation de la création de valeur générée par la stratégie que j’avais menée pendant 15 ans, étaient totalement déconnectées des pratiques habituelles. J’avais quand même transformé une société de logiciels « olé olé » à l’abandon en éditeur de jeux vidéo international reconnu et respecté sans aucun véritable soutien financier. Donc oui, c’est important pour un studio comme n’importe quelle société capable de générer de la croissance, d’avoir quelques compétences financières. Ça évite les désillusions et permet surtout de rester maître de sa destinée tout en étant véritablement soutenu par des actionnaires qui sont de bon conseil et alignent leurs intérêts à ceux des équipes. Nous avons d’ailleurs vite bouclé le tour de table avec des investisseurs de qualité et la BPI pour la création de Zedrimetim. Je reste cependant un homme du jeu vidéo, j’ai accompagné pendant 20 ans des studios, j’ai édité une centaine de jeux, nous avons obtenu de nombreux succès et c’est d’abord cette expérience et mon expertise que je mets au service de Zedrimetim.

Le studio de développement, Zedrimetim, est présenté comme « une passerelle entre les métiers du cinéma d’animation et du jeu vidéo. » Pouvez-vous préciser le lien que vous entendez créer ? Comment se manifestera-t-il, concrètement, dans Darwin’s Paradox, le premier jeu du studio ?

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Depuis quelques années, les professionnels du cinéma et de l’animation utilisent de plus en plus des outils du jeu vidéo comme le moteur Unreal Engine. On assiste à une convergence des deux industries, on le voit d’ailleurs à travers certains grands succès récents comme Arcane chez Fortiche ou encore la série Love, Death & Robots très inspirées techniquement et artistiquement par le jeu vidéo. Il y a des passerelles qui se font et Zedrimetim incarne ce mouvement. Il y a une influence Pixar et du cinéma d’animation 3D dans Darwin’s Paradox. Une partie de l’équipe vient de l’animation et du cinéma, l’autre du développement pur du jeu vidéo comme Romuald Capron, ancien directeur d’Arkane Studio qui est actionnaire de Zedrimetim mais également Executive Producer.

Un grand nombre de studios indépendants ont été rachetés ces dernières années, que ce soit par des groupes français ou internationaux. Que pensez-vous de cette tendance, en tant que co-fondateur d’un nouveau studio indépendant ?

Cela donne davantage de perspectives, pour les actionnaires et les membres de l’équipe que nous souhaitons associer au capital. Auparavant les studios avaient du mal à survivre, étaient mal valorisés, il y avait une trop forte dépendance aux éditeurs qui étaient les seuls financeurs et valorisaient dans le partage des revenus d’un jeu de manière outrageante l’accès au marché physique et le financement. La dématérialisation a fait voler en éclats ce déséquilibre et c’est une des meilleures choses qui soit arrivée au secteur. Chez Focus, la relation que j’avais mise en place était autrement plus équilibrée, cela nous a permis de tisser des relations fortes et amicales avec les studios que nous avons accompagnés dès leur premier jeu et cela nous a permis d’attirer ensuite des studios déjà établis de qualité.

Plus généralement, la perspective d’être racheté par un grand groupe en cas de succès est-il un élément pris en compte par les investisseurs lorsqu’ils participent à la création d’un studio comme celui-ci ?

Totalement, par un groupe ou encore partiellement par un fonds d’investissement. Ils sont nombreux à être présents désormais dans le secteur du jeu vidéo. Quand nous avons introduit Focus en bourse en 2015, le jeu vidéo avait une mauvaise réputation. Les choses ont vraiment changé depuis et tout cela en partie grâce à la dématérialisation et l’hégémonie à venir des plateformes. Le contenu est devenu roi et les studios sont désormais à la place qu’ils auraient dû toujours occuper.

Vous avez annoncé avoir sécurisé un financement « jusqu’au lancement de Darwin’s Paradox. » Pourquoi avoir décidé de procéder ainsi, plutôt que de chercher un éditeur pouvant financer le développement du jeu ?

Parce que comme je vous l’expliquais, il y a un intérêt fort aujourd’hui de la part des investisseurs qui nous offrent une vraie indépendance. Il y a un prototype prometteur, l’équipe a un track record solide et les perspectives sont là. Nous avons pu rapidement sécuriser le montant dont nous avions besoin sans solliciter un éditeur.

Ce choix signifie-t-il que vous vous occuperez de l’édition du jeu vous-mêmes ou envisagez-vous de chercher un partenaire dans ce domaine ?

Nous avons déjà été contactés par des éditeurs et une plateforme suite à l’annonce. C’est un peu tôt pour décider, nous souhaitons terminer la vertical slice du titre avant de définir vraiment la stratégie en début d’année 2023 mais c’est toujours bien de discuter en amont.

Vous avez reçu un financement de la part de Bpifrance, dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir de l’État français. Pouvez-vous nous expliquer l’importance pour vous de cette initiative publique ?

J’ai toujours eu un esprit cocardier, ce qui explique ce choix et que Focus travaillait principalement avec des studios français. Le jeu vidéo français à la fin des années 2000 existait principalement à travers Ubisoft qui faisait ses jeux au Canada et 2 ou 3 studios qui avaient une forte dépendance à un éditeur ou un consolier. La France était loin d’être la place forte reconnue aujourd’hui du jeu vidéo. C’est une grande fierté de ma carrière d’avoir accompagné toutes ces années des studios français comme Cyanide, Spiders, Nadeo, Dontnod, Asobo, Tindalos, Eugen System, Streum On et tellement d’autres qui ont contribué à faire briller le jeu vidéo français à l’international. Leurs réussites respectives ont participé à décomplexer le milieu et montré la voie. Le jeu vidéo français est aujourd’hui mondialement reconnu et les réussites exceptionnelles de structures plus jeunes comme Shiro Games, Sloclap ou encore Motion Twin montrent que cela n’est pas près de s’arrêter. C’est toujours avec cet esprit que j’ai souhaité avoir comme partenaire la BPI plutôt qu’un investisseur étranger. Mais n’allez pas croire que c’est un esprit patriotique (rires), malgré mon parcours mon cœur a toujours penché à gauche. J’ai plutôt l’âme et l’enthousiasme d’un supporter de foot. C’est l’équipe de France du jeu vidéo que j’aime voir gagner à l’international.

Plus globalement, pensez-vous que l’État français investit suffisamment dans la création de jeux vidéo et de sociétés s’en occupant ?

Depuis quelques années et le passage de personnalités comme Fleur Pellerin ou encore Axelle Lemaire au gouvernement, il y a eu une véritable prise de conscience des pouvoirs publics sur l’utilité d’aider les structures du jeu vidéo. Il ont compris que les studios de jeux vidéo étaient des PME incroyables qui aujourd’hui grâce à la dématérialisation réalisent plus de 90% de leur chiffre d’affaires à l’international. Quel autre secteur affiche de telles performances ? Surement pas celui du cinéma ou de la musique largement soutenus depuis toujours, ce qui a eu pour effet pervers de les voir rester trop longtemps concentrés sur le marché français. Le jeu vidéo français est aujourd’hui une véritable locomotive de la culture française à l’international sur un marché mondial qui a explosé ces dernières années où se concentrent les plus gros investissements.

Le Crédit d’Impôt Jeux Vidéo qui permet de récupérer jusqu’à 30 % des dépenses réalisées sur un jeu a été un formidable accélérateur et a permis à la France de garder ses talents et voir émerger de nouveaux acteurs. Il y a eu un formidable combat mené par le Syndicat National du jeu vidéo, un intense travail de lobbying qui a fini par payer. Il est loin le temps où l’on se faisait traiter de « syndicat des parfumeuses de dignes les bains » par l’ancien délégué général du Syndicat des éditeurs , qui se comparait alors à L’Oréal (Rires). Le soutien des pouvoirs publics s’est véritablement accéléré ces dernières années, la BPI est présente dans le secteur des jeux vidéo depuis 3 ans, des investissements importants sont réalisés dans la tech et le jeu vidéo, il y a une dynamique forte et des résultats probants.

Vous avez annoncé que Darwin’s Paradox sortirait en 2024. Est-ce difficile de planifier la sortie d’un jeu autant à l’avance ? Comment s’assurer que ce planning n’aura pas pour conséquences des problèmes créatifs ou une incitation au crunch ?

Le jeu sur notre planning est prévu pour être terminé fin 2023, c’est justement pour éviter ce type de désagrément qu’on annonce une sortie en 2024. L’équipe aura déjà démarré la préproduction d’un second jeu, l’idée n’est pas de sortir le jeu quand il sera terminé mais tout simplement au meilleur moment, dans les meilleures conditions.

De même, vous avez annoncé la sortie du jeu sur « consoles », sans plus de précision. Comment cela affecte-t-il le développement, concrètement ? Devez-vous dès maintenant faire des choix créatifs afin de vous assurer que le jeu fonctionnera sur toutes les plateformes visées ou développez-vous le jeu en ayant en tête uniquement les PC, avant de déterminer en fin de développement sur quelles plateformes il est possible et pertinent de sortir le jeu ?

Darwin’s Paradox est un jeu Plateforme aventure optimisé pour une expérience manette en main, il est déjà parfaitement adapté aux consoles.
C’est donc un développement multiplateformes sur le moteur Unreal Engine 5. Il est prévu sur PC, PlayStation 5, Xbox Series et bien sûr le Cloud Gaming. Les autres plateformes en 2024 comme les précédentes générations de consoles auront un intérêt marginal. Ceux qui n’auront pas fait l’acquisition d’un ordinateur gamer ou encore d’une console dernière génération joueront aux jeux via les solutions de streaming qui se mettent en place et qui occuperont une place dominante dans le futur à la manière de Spotify/Deezer dans la musique ou encore Netflix/Amazon/Disney dans les films et les séries.  

Nous remercions grandement Cédric Lagarrigue de ses réponses et avons hâte d'en découvrir plus sur Darwin's Paradox.

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