Interview de Ragnar Tørnquist pour Dustborn

À l'occasion de la sortie de Dustborn, nous avons eu l'occasion d'échanger avec le studio et notamment avec son directeur : Ragnar Tørnquist.

Bonjour et merci de prendre le temps de répondre à nos questions ! Pour nos lecteurs, est-ce que vous pourriez vous présenter et nous parler de votre parcours dans l'industrie vidéo ludique ?

Mon nom est Ragnar Tørnquist et je suis le directeur de jeu de Dustborn. Je porte plusieurs casquettes, mais je travaille principalement en tant qu'écrivain, designer et réalisateur. Je suis dans l'industrie du jeu vidéo depuis très longtemps, depuis le milieu des années 1990. L'un de mes premiers jeux était The Longest Journey, un jeu d'aventure en point-and-click sorti en 2000. Depuis, j'ai travaillé sur des jeux comme Dreamfall et Dreamfall Chapters (les deux suites de The Longest Journey), The Secret World (un jeu de rôle massivement multijoueur dans un univers contemporain) et Draugen (une aventure mystérieuse à la première personne se déroulant dans la Norvège des années 1920).

Je suis également co-fondateur et directeur créatif de Red Thread Games, un petit studio indépendant basé à Oslo, en Norvège, où j'ai la chance de travailler avec une équipe incroyablement talentueuse de développeurs répartis sur plusieurs continents — l'Europe, l'Amérique et l'Afrique. Red Thread existe depuis plus de dix ans maintenant, et Dustborn est notre projet le plus ambitieux à ce jour.

Pourriez vous nous parler un peu de Dustborn ? Quelle est l'histoire principale du jeu ?

Bien sûr ! Dustborn est un jeu d'action-aventure en vue à la troisième personne, pour un joueur, inspiré des bandes dessinées, et prenant la forme d'un road-trip dans une Amérique uchronique. L'histoire suit un groupe d'amis qui acceptent une mission risquée (et potentiellement bouleversante), consistant à transporter un colis (volé) à travers l'Amérique du Nord, de l'ouest à l'est, tout en se faisant passer pour un groupe de punk rock en tournée. C'est la couverture : Pax et son équipe doivent écrire de la musique originale, donner des concerts et essayer de ne pas attirer l'attention des autorités. (Spoiler : cela ne se passe pas très bien.)

Vous incarnez Pax, la leader non officielle du groupe, accompagnée de sa meilleure amie Sai, son ex-partenaire Noam, et Theo, l'homme mystérieux qui a recruté Pax pour cette mission. En explorant différents lieux à travers l'Amérique, vous recruterez d'autres personnes — y compris la sœur de Pax, Ziggy, et un chauffeur robotique — chacun apportant ses propres personnalités et compétences à l'équipe. Vous résoudrez des énigmes et combattrez les factions qui se dressent sur votre chemin, notamment Justice et les Puritains, une corporation mystérieuse et dangereuse qui vous poursuit depuis le début.

Interview de Ragnar Tørnquist pour Dustborn
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La particularité du jeu réside dans le fait que Pax et ses amis sont ce qu'on appelle des "Anomals", des personnes ayant la capacité d'utiliser des mots comme des armes pour se battre et se protéger, manipuler et tromper leurs ennemis. Le revers de la médaille, c'est que les Anomals sont illégaux et traqués par Justice, la force de police autoritaire qui domine cette Amérique alternative.

Quelles ont été vos principales sources d'inspirations pour Dustborn ? Est-ce qu'il y a des oeuvres spécifiques, des jeux oud 'autres médias qui ont influencé sa création ?

Il y a beaucoup de sources d'inspiration. Dustborn est une aventure de road trip inspirée des bandes dessinées, et nous avons été influencés par un mélange d'œuvres variées — des jeux comme Final Fantasy XV, Yakuza/Like a Dragon, Life is Strange et The Walking Dead, des bandes dessinées comme Preacher, Y: The Last Man, X-Men, Watchmen et Transmetropolitan, des séries télévisées comme The Handmaid's Tale (La Servante Écarlate) et Cowboy Bebop, ainsi que des films comme Logan... C'est un mélange éclectique de genres, de styles et d'ambiances, que vous retrouverez dans le jeu.

Dustborn est (intentionnellement) difficile à classer en termes de mécaniques de jeu, de ton et de narration — ce qui, nous l'espérons, en fait une expérience unique, engageante et surprenante.

Dustborn se déroule dans une Amérique dystopique divisée. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'univers du jeu et les thèmes qu'il explore ?

Le cadre de Dustborn est important, mais le cœur du jeu réside dans les personnages — le monde dans lequel ils évoluent sert de toile de fond au drame personnel et émotionnel qui est au premier plan de l'histoire.

Je ne qualifierais pas nécessairement le décor de Dustborn de "dystopique". C'est un univers coloré, plein d'espoir et vibrant, même s'il peut parfois être sombre. Il s'agit d'un monde inspiré du réel, mais avec de nombreux éléments décalés. Notre Amérique est une version alternative où le président Kennedy a survécu à l'attentat de Dallas en 1963... mais sa femme Jackie a été assassinée. Cet événement a tout changé par la suite, menant à l'histoire alternative que nous voyons dans Dustborn — une Amérique rétro-futuriste avec une main-d'œuvre robotisée, dirigée par le régime autoritaire de Justice, prouvant que même les meilleures intentions peuvent parfois conduire aux pires résultats.

Notre équipe de personnages essaie simplement de survivre et de se sortir de la situation désespérée dans laquelle ils se trouvent et les joueurs devront réfléchir au genre de futur qu'ils souhaitent pour Pax, ses amis... et l'enfant à naître de Pax.

L'un des thèmes les plus importants du jeu est le pouvoir du langage — plus précisément les mots en tant qu'armes — et comment la désinformation et la mésinformation sont utilisées par ceux qui détiennent l'autorité. Pax et les autres "Anomals" de son groupe peuvent utiliser leurs mots (que nous appelons des Vocals ou Vox en abrégé) pour avoir un impact sur les gens, que ce soit physiquement, mentalement ou émotionnellement.

Un autre thème central est la question de la responsabilité individuelle dans un monde qui a désespérément besoin de héros. Jusqu'où chacun de nous doit-il être prêt à sacrifier pour offrir une vie meilleure aux autres, et est-il juste d'attendre de quelqu'un qu'il renonce à sa propre sécurité et à son confort pour aider des étrangers ?

Le jeu parle également de la construction d'une "famille choisie", d'apprendre à faire confiance et à se reposer sur les autres... même lorsque votre inclination naturelle serait de ne compter que sur vous-même.

Comment avez-vous abordé le design des personnages et de l'environnement pour qu'ils reflètent l'atmosphère et les thèmes du jeu ?

Nous commençons toujours par les personnages — avant que l'histoire ne soit écrite, avant que le monde ne soit élaboré et que les thèmes ne soient développés. Même avant de concevoir les systèmes et les mécaniques de jeu. Les personnages sont le cœur et l'âme des jeux que nous créons. Dans Dustborn, ils sont plus importants que jamais, étant donné la nature de la narration et des mécaniques du jeu.

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Notre objectif avec les personnages de Dustborn était de créer un groupe diversifié de personnalités amusantes, intéressantes et originales, qui représentent différentes perspectives, avec un large éventail de passés et des motivations très variées pour entreprendre ce road trip. Chaque personnage apporte des talents et des compétences spécifiques au jeu. Il ne s'agissait pas seulement de s'assurer que les joueurs puissent s'identifier aux personnages, les connaître et les aimer, mais aussi que leurs capacités fonctionnent dans les segments d'aventure, d'exploration, et dans le système de combat (même si tous les membres de l'équipe ne participent pas aux combats).

Cela a rendu l'écriture et la conception des personnages difficiles, mais aussi très amusantes.

Quelles ont été les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées lors du développement de Dustborn ?

C'était honnêtement l'un des projets les plus difficiles sur lesquels j'ai jamais travaillé — du défi artistique consistant à créer un jeu qui ressemble, se ressent et se joue comme une bande dessinée vivante au défi de conception d'intégrer une équipe de dix personnages uniques pouvant être sollicités pour vous aider dans différentes situations. Ces personnages devaient paraître, agir, sonner et se sentir comme des personnes réelles, afin que le joueur s'engage émotionnellement avec eux et se soucie de ce qui leur arrive — pour moi, c'était le plus grand défi, impliquant programmeurs, designers, animateurs et artistes… et bien sûr, une équipe de scénaristes et d'acteurs qui insufflent à ces personnages humanité et vie.

Nous avons également poussé le moteur Unity à ses limites, avec de grands environnements ouverts qui ressemblent à des pages tout droit sorties d'une bande dessinée — et faire en sorte que cela fonctionne et soit esthétique sur une gamme de consoles, des générations précédentes à celles actuelles, a demandé beaucoup de travail.

Le combat a probablement été le plus grand défi de tous. Les chefs d'équipe avaient de l'expérience avec des systèmes de combat, mais celui de Dustborn était quelque chose que nous n'avions jamais tenté auparavant : un système de combat en mêlée exagéré de style bande dessinée, inspiré de jeux comme Streets of Rage et Teenage Mutant Ninja Turtles, où Pax et son équipe utilisent des mots comme armes. Ce système a traversé une demi-douzaine d'itérations complètes et de redesigns avant d'aboutir à la version finale dans le jeu. Même si le combat ne représente pas une grande partie du temps de jeu, il joue un rôle important dans la narration et nous voulions que l'expérience soit fluide, amusante et cohérente avec la qualité du reste du jeu. Cela a pris beaucoup de temps, mais je crois que le résultat final est à la hauteur en termes de visuel et de ressenti.

L'intégration de la musique et de la bande sonore est souvent cruciale pour l'immersion. Pouvez-vous nous en dire plus sur la composition de la musique pour Dustborn et comment elle complète l'expérience de jeu ?

La musique a été une partie fondamentale de Dustborn dès le premier jour. Cela nous a vraiment aidés que notre directeur audio, Simon Poole, soit l'un des compositeurs les plus talentueux et expérimentés de l'industrie, ainsi qu'un membre clé de notre équipe créative. Simon a composé à la fois la bande originale orchestrale et les chansons jouées par Pax et son groupe lorsqu'ils se produisent.

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Étant donné que Pax et son équipe voyagent sous couverture en tant que groupe de punk rock, nous avons dû écrire un ensemble complet de chansons originales pour le jeu, qui devaient sonner et se ressentir comme de véritables morceaux de l'univers de Dustborn, et non comme de la musique générique ou sous licence. Ces chansons devaient également être jouables via la mécanique de jeu de rythme. Ce système de jeu était complètement nouveau pour nous et nous avons passé beaucoup de temps à itérer sur le système — ajustant la musique pour correspondre au gameplay et vice versa. Heureusement, d'après les retours que nous avons reçus, cela est maintenant l'un des points forts du jeu.

Le thème central du jeu, qui tourne autour du langage — et des origines du langage — est aussi étroitement lié à la musique... bien que je ne donnerai pas plus de détails. C'est quelque chose que les joueurs devraient découvrir par eux-mêmes.

Dustborn propose-t-il des choix narratifs qui inflencent le cours de l'histoire ? Si oui, pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont un choix du joueur pourrait affecter le jeu ?

À travers les paroles et les actions de Pax, le joueur peut influencer l'état émotionnel de son équipe. Chaque choix que vous faites dans les dialogues est suivi par ce que nous appelons le "système Coda" : les membres de l'équipe auront une des multiples fins uniques, en fonction de leur état émotionnel à la fin de l'histoire. Nous utilisons également le système Coda pour déterminer comment chaque membre de l'équipe réagit à Pax dans les dialogues et les phases de jeu tout au long du voyage.

Un exemple de cela est Sai, la meilleure amie de Pax. Sai utilise ses mots, son "Vox", pour se rendre forte et résiliente. Cependant, elle est aussi émotionnellement instable. Pax peut, via les options de dialogue, orienter Sai vers une direction où elle est moins susceptible d'utiliser ses pouvoirs, ce qui peut l'amener à éviter les combats. Mais Pax peut aussi pousser Sai dans la direction opposée, où elle sera plus proactive et prête à affronter physiquement des confrontations... ce qui peut avoir des conséquences imprévues.

Quoi que vous fassiez, vous ne serez jamais bloqué. Il y a toujours un autre chemin, une autre solution, souvent impliquant un autre membre de l'équipe.

À la fin du jeu, vous découvrirez où leur parcours émotionnel les mène ; il existe plusieurs chemins possibles pour chaque membre important de l'équipe.

Y a-t-il des fonctionnalités multijoueurs ou des plans pour des extensions futures après la sortie du jeu ?

Non, Dustborn est fièrement un jeu exclusivement solo ! Nous n'avons aucun projet d'ajouter des fonctionnalités multijoueur dans les futures extensions ou suites. Il existe de nombreux excellents jeux multijoueur sur le marché et nous pensons qu'il y a une grande demande pour les jeux solo axés sur la narration, comme ceux que nous créons.

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En cette année 2024, de nombreux studios ont dû mettre la clé sous la porte ou effectuer d'importants licenciements. Quel est votre regard sur l'industrie du jeu vidéo actuellement ?

C'est vraiment, vraiment difficile — et effrayant. Comme je l'ai dit au début, je suis dans cette industrie depuis des décennies et je n'ai jamais ressenti autant d'incertitude. Notre studio a la chance d'avoir un jeu qui sort bientôt et j'espère que cela nous aidera à tenir le coup jusqu'à ce que l'industrie se stabilise un peu et que le marché s'améliore… mais il n'y a aucune garantie. Là où nous en sommes, en août 2024, il est presque impossible de voir une lumière au bout du tunnel. Cependant, la réalité est que les gens continuent d'acheter et de jouer à des jeux, il y a toujours une demande pour de nouveaux jeux — en particulier des jeux originaux — et nous survivrons probablement, je l'espère, assez longtemps pour en créer d'autres et traverser cette période difficile pour les développeurs et les studios indépendants. Mais il est certain que cette période de bouleversement changera fondamentalement l'industrie — comment exactement, nous ne le savons pas. Pas encore.

Pour terminer, y a-t-il quelque chose que vous aimeriez partager avec nos lecteurs à propos de Dustborn ou de votre studio de développement ?

Je pense que beaucoup de gens regardent Dustborn — l'affiche, la bande-annonce, les discussions en ligne — et se font une idée préconçue de ce qu'est ce jeu. À ces personnes, je dis : essayez-le, il pourrait vous surprendre. En fait, je pense que Dustborn vous surprendra. Ce n'est pas un jeu qui plaira forcément à tout le monde ; il est original, étrange, difficile à classer dans une seule catégorie ou un seul genre... mais il est rafraîchissant, unique, jamais ennuyeux, sincère, et c'est un véritable travail de passion pour une équipe de développement qui met son cœur à nu. Gardez l'esprit ouvert et essayez-le ! (Il y a même une démo gratuite disponible sur Steam, donc vous pouvez l'essayer si vous ne voulez pas l'acheter sans le découvrir.)

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