Interview de Rémi Malet, fondateur d'Irregular Shapes (City Tales)
J'ai pu poser quelques questions à Rémi Malet, fondateur d'Irregular Shapes, studio français à l'origine de City Tales, annoncé dans le récent PC Gaming Show Most Wanted 2024.
Quand un nouveau studio est fondé, les communiqués de presse évoquent en général que celui-ci est créé par des anciens développeurs de jeux célèbres. En parcourant votre page Linkedin, on découvre pourtant que vous avez travaillez pour PSA ainsi que pour Stellantis, et que votre dernier emploi avant de fonder ce studio a consisté à mener un « audit des processus d’achat café vert. » C’est atypique ! Qu’est-ce qui vous a poussé à créer un studio de développement de jeux vidéo ?
Rémi Malet : Une excellente question, à laquelle vous vous en doutez je ne réponds pas pour la première fois !En effet je ne suis pas un grand nom de l’industrie du jeu vidéo, ceci ne m’empêche pas d’être un passionné qui a longtemps regardé cette industrie de loin avec envie… sans jamais vraiment sérieusement envisager y faire carrière quand j’étais plus jeune.
Diplômé de l’École polytechnique, passionné par la voiture (une autre passion), je me suis assez naturellement tourné vers l’industrie automobile. Chez PSA/Stellantis, j’ai travaillé sur la conception de la toute première 208 électrique.
Sur mon temps libre, depuis 2014, je m’amusais à coder sur Unity des petits bouts de programmes, toujours autour d’un même type de gameplay, le city-builder. Ce qui était un simple hobby prenait de plus en plus de place. Comme beaucoup, en 2020, le Covid a été une “opportunité” de faire une pause sur une carrière haletante. Certes, j’aimais beaucoup ce que je faisais mais je me sentais bridé par la techno-structure d’un groupe énorme de 400 000 employés.
C’est à ce moment-là que l’option de monter mon studio est devenu petit à petit une évidence. Je suis de nature réfléchi, il m’a donc fallu un peu de temps avant de franchir le pas, ce n’est qu’à l’été 2022 que je me suis consacré 100% à Irregular Shapes.
Quels sont les apports et les limites de votre profil atypique ?
Je vois un point de force évident : l’organisation et la planification d’un ingénieur. Il y a un parallèle étonnant entre l’industrie automobile et l’industrie du jeu vidéo : les projets sont longs (plusieurs années) et impliquent différents métiers (design, conception, production). Toutes la gestion de projet que j’ai vu chez PSA/Stellantis, dans une industrie automobile qui fait référence sur la gestion de projet lourd, m’a beaucoup servi dans la structuration d’Irregular Shapes, le fait d’avoir une vision globale, une deadline, des jalons dans notre développement… est s’y tenir ! Nous allons même sortir probablement en avance par rapport à notre calendrier initial, je pense que c’est rare.
Donc je dirais que mon vrai point de force va être dans l'exécution et la stratégie.
Bien sûr, je n’ai certainement pas l’expérience de grands noms de l’industrie. Et bien dans ce cas, il faut avoir l’humilité de le reconnaître. C’est pourquoi pour un jeune studio j’ai cherché à m’entourer d’une équipe senior avec un ancien Directeur de la User Research chez Ubisoft, des développeurs ayant déjà sorti des jeux, un Directeur Artistique avec un bagage complet (jeu vidéo, boardgame, etc.)
Comment se passent vos relations avec vos employés ? Comment réagissent-ils au fait que vous n’ayez pas d’expérience professionnelle préalable dans ce secteur ?
Je n’ai jamais eu de problèmes de légitimité vis-à-vis de mes employés.
Ce qui revient plutôt c’est l’enthousiasme devant le fait d’avoir osé me lancer et structurer le projet City Tales. Je pense que beaucoup de personnes qui travaillent dans le jeu vidéo rêvent de monter leur studio. Je ressens vraiment une envie - mais bienveillante - de la part de ces personnes d’avoir osé et pu le faire.
Ce que je dis souvent à mes employés c’est : “aidez moi, c’est maintenant votre jeu autant que le mien, à vous d’y apporter votre contribution sans avoir les ennuis administratifs et financiers de monter votre studio - ça c’est à ma charge”. Un donnant-donnant qui fonctionne très bien je trouve.
La page de l’AFJV dit que vous êtes un passionné de « jeux de stratégie », celle sur Linkedin dit que vous êtes un fan de « city-builders ». Quelle est la bonne réponse ?
Les 2 !
Je considère les city-builders dans la grande catégorie des jeux de stratégie. Je dirais que j’ai 3 types de jeux qui ont structurés vraiment mon expérience de gamers :
- Les city -builders : j’ai commencé avec les excellents Caesar 3, Le Maître de l’Olympe : Zeus. Je suis passé par le très bon Anno 1404. J’ai bien sûr joué aussi à toute la série SimCity (Simcity 2000, Simcity 3000, Simcity 4) avant de basculer sur Cities: Skyline. J’ai été bouleversé par Banished. Plus récemment par l’excellent Manor Lords.
- Les RTS : mon péché mignon ! J’ai commencé étant petit sur Age of Empire 2, j’ai découvert ensuite Starcraft (qui me faisait un peu peur à mes débuts avec son univers sombre). J’ai eu mon petit niveau sur Warcraft 3. Et j’ai atteint mon sommet sur Starcraft 2 (joueur Protoss !) avec un niveau Master à l’époque, même si je n’ai jamais franchi la barrière de jouer en compétitif. Malheureusement un genre qui se tarit un peu et auquel je joue donc moins aujourd’hui.
- Enfin… les Grand Strategy Games : J’ai passé d'innombrables heures sur Civilization (3, 4, 5 et 6), les Total Wars, Crusader Kings.
Je joue à d’autres jeux mais ces 3 catégories sont vraiment ce que je préfère.
Vous indiquez vouloir apporter « un vent de fraîcheur au genre city-builder. » Comment pensez-vous y parvenir ?
En ouvrant la voie à de nouveaux gameplay en s’affranchissant de contraintes techniques !
Je m’explique.
Je suis ingénieur, j’adore les algorithmes un peu complexes. Un algo pour un algo ne sert pas à grand-chose, mais il peut servir à débloquer des éléments de gameplay fort.
Dans le cas de City Tales, c’est en lisant un algorithme sur la parcellisation d’un cadastre (comment avec le simple contour d’un quartier, on peut reconstruire les parcelles de terrains à l’intérieur de ce quartier) que j’ai été inspiré du concept central de notre jeu, le fait de pouvoir dessiner des quartiers et obtenir un cadastre totalement organique.
La page Steam du jeu insiste sur sa dimension narrative. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est encore une vaste page en cours d’écriture. Nous avons d’ailleurs depuis peu un narrative designer au studio dédié à ce beau chantier. De vastes pans ont déjà été écrits, mais comme cette partie est encore en structuration, on préfère ne pas encore en dévoiler jusqu’à la sortie en EA ne sachant pas ce qui est encore définitif et ce qui ne l’est pas encore.
Ce que je peux vous dire c’est l’intention. Beaucoup de city-builders se pratiquent en 100% bac à sable, sans histoire, ni mode campagne. Je voulais pour City Tales quelque chose de moins “dry”, un vrai mode campagne ou histoire. Cette intention est devenue si présente dans notre game-design qu’il a même influencé le nom du jeu lui-même.
Hâte de vous en dire plus dessus… d’ici quelques semaines !
Pourquoi avoir décidé de lancer le jeu en accès anticipé ?
Lancer le jeu en accès anticipé nous offre la possibilité de pousser plus loin le développement du jeu, en nous offrant du temps de développement mais aussi en gagnant un feedback enrichi de la part de notre communauté.
Tout au long du développement de City Tales, nous avons régulièrement fait des playtests auprès de joueurs, à raison d’une grosse session par mois. Ceci nous a permis de récolter des données intéressantes. Nous avons bâti les piliers de design de City Tales : planification organique, challenge spatial, nos compagnons. Rien de mieux que de continuer sur cette voie avec une communauté encore plus large afin de solidifier et étoffer les piliers de City Tales.
Comment convaincre les joueurs de faire confiance à un petit studio tout juste créé ?
Et bien en testant notre jeu tout simplement !
Une démo gratuite sera mise en avant prochainement pour que chacun se fasse une idée et apprécie notre jeu sans avoir forcément à l’acheter.
On espère bien que les joueurs nous rejoignent ensuite sur l’Early Access. Nous comptons là-dessus pour concevoir le jeu avec nos joueurs.
Vous publiez le jeu vous-même, sans éditeur. Est-ce un choix ? Si oui, pourquoi ?
Nous allons bientôt annoncer un partenariat avec un éditeur qui nous aidera surtout sur la partie marketing. Le studio a la chance d’avoir pu financer de lui-même sa production ce qui nous permet de garder notre indépendance et pas d’ingérence sur notre jeu.
Au lancement de son accès anticipé, City Tales sera disponible uniquement en anglais. Pourquoi une telle décision, pour un studio basé en France ?
Lancer un jeu dans plusieurs langues demande plus de ressources que le lancer en une seule. Nous savons d’avance que nous allons avoir plusieurs itérations notamment sur la narration durant l’Early Access. Ceci signifie à chaque update du jeu de travailler deux langues : 2 fois plus de travail de contenu, 2 fois plus de travail de vérification. On préfère donc se concentrer sur une seule version. D’où l’anglais.
Néanmoins, il se murmure qu’on essaie de trouver un petit plus de moyens pour voir s'il ne serait néanmoins pas possible de le faire. Je ne promets rien…mais on regarde comment faire.
Cela signifie-t-il que votre équipe travaille uniquement en anglais ?
Nous travaillons en français, l’équipe est française. Mais 100% de notre bible narrative est en anglais.
Un grand merci à Rémi pour ses réponses à nos questions ! Rendez-vous en 2025 pour la découverte du premier jeu de son studio.
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Plateformes | Windows |
---|---|
Genres | City-builder, gestion, simulation, médiéval |
Accès anticipé |
2025 |
Sortie | Inconnue |
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