Aperçu d'Immortals Fenyx Rising - la démo de l'aversion finale ?

Anciennement connu sous le nom de Gods and Monsters, renommé depuis pour s'éviter un combat de boxe juridique contre la boisson Monster Energy, Immortals Fenyx Rising est le troisième jeu en monde ouvert prévu par Ubisoft cet hiver. Une démo Stadia nous donne un petit avant-goût du jeu. Un avant-goût avec un fort arrière-goût de mitigé. Il faut dire que si Lionnel Astier prête sa voix au grand Zeus, le résultat a de quoi laisser perplexe. C'est principalement là-dessus que nous allons nous attarder, en parlant d'abord de ce qu'on voit, et ensuite de ce qu'on peut en penser - tout ça après un bref petit point sur l’aspect « jeu ».

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Techniquement et visuellement, bien qu'on soit loin des moyens et du niveau de réalisation des grosses licences AAA de chez Ubisoft, on se retrouve face à un jeu qui, sur Stadia, est fluide, chatoyant et avec une direction artistique plutôt sympa. On pourrait arguer sur l'inspiration ou le plagiat de Breath of the Wild. Un certain Windbound, qui nous avait d'ailleurs déjà fait le coup des visuels "à la BOTW" nous avait pour le moins déçu - bien qu'il ne joue pas dans la même catégorie. Ubisoft n'est pas un petit studio indé qui gagnerait à copier le look Zelda pour vendre un jeu sur un malentendu.  Je trouve ce reproche totalement hors sujet : les visuels évoquent d'avantage WoW que Zelda.

Cependant, il y a fort à parier qu'on soit déçu si on cherche ici du Zelda. On trouve plutôt tous les éléments de gameplay et de progression des mondes ouverts Ubisoft, soit pêle-mêle des cartes avec des tours à escalader pour dévoiler des objectifs, des menus avec des arbres de compétences, de l'équipement de toutes les couleurs, de l'infiltration, des combats plutôt dynamiques... bref, le panel classique. Les combats semblent plus orientés arcade que pseudo-réalistes et des passages à base d'énigmes simples ou de petits défis d'habileté prennent (on l'espère) la place des camps de bandits à farmer pour faire de l'xp. La voix off qui nous guide laisse finalement penser qu'on est face à un petit monde ouvert un peu dirigiste, laissant présager que le jeu se destine à un public plutôt jeune

Mais alors, puisque c'est AC en mythologie, avec un look sympa, un gameplay classique, mais fonctionnel, et une approche ouverte pour tous les publics, qu'est-ce qui coince ? Et bien, il suffit de subir les deux minutes d'intro de cette démo pour être saoulé par Zeus, la voix-off qui s’adresse au joueur.


Caricature ou prophétie ?

Lionnel Astier, ex-Léodagan, incarne donc Zeus et force est de constater qu'ici aussi nous sommes face à un personnage particulièrement borné et casse-bonbons. Dès le début de cette démo, la narration du duo "comique" Zeus le beaufissime et Prométhée l'ennuyeux tombe à plat. Ce n'est même pas de la chamaillerie bon enfant, on a surtout l'impression que Zeus est le roi des crétins et on facepalm volontiers aux moindres lignes de dialogue, y compris quand le quatrième mur se brise sans jamais voler plus haut que le premier degré.

Zeus semble être là pour raconter son histoire à sa façon, à la place des autres. C'est tout simplement affligeant. Et ce n'est pas que le début qui est raté. La démo enchaîne le n'importe quoi mythologique sans aucun sens et le blablatage omniprésent achève de nous assommer avec son ramassis d’inepties entrecoupées de blagues pas tellement calibrées (certaines sont axées enfants de cinq ans, d'autres sembleront glauques aux adultes). Zeus prend carrément la main sur la narration en nous sortant un boss de son grand chapeau.

S'ensuit donc une scène où il reforge notre mini boss en tout et n'importe quoi sur un caprice débile et on se retrouve à affronter des coqs marins sur la suggestion d'un Prométhée qui était clairement en train de faire de l’ironie aux dépends de son boss.

Plus loin encore, on voit notre héroïne - qui a le bon gout d'ouvrir les coffres en se moquant bien de Kratos - passer à la trappe lorsqu'elle se met devant un chaudron. Cependant, le point d'orgue du grand n'importe nawak, c'est quand au bout de 40mn, Fenyx prend la parole pour la première fois et dit le seul truc intelligent qu'on ait entendu de toute la démo. Nos narrateurs lui répondent alors en cœur "la ferme, reste à ta place!". L'histoire se conclut finalement en apothéose avec une base de "on s'en fiche de l'histoire du jeu, nous on veut des armures" ou encore "le secret des Dieux, c'est l'oppression".

On est en droit de se demander à quoi on vient d'assister. Ces voix ne sont finalement ni drôles, ni fines et ne semblent pas nous emmener vers quoi que ce soit d'intéressant. Et puis, Zeus ! Le roi des dieux de l'Olympe. Le Sage parmi les sages. Qu'est-ce que c'est que cette caricature de dieu ?

Finalement, dans cette démo, à qui on s'adresse ? Et de quoi on parle ?

La mythologie, c'est sympa parce que c'est totalement barré, qu'il s'y passe des choses relativement sordides et tragiques. Qu'on édulcore pour parler aux plus jeunes et leur donner envie de s'y intéresser est une bonne chose, mais peut-être pas au point de nous faire à chaque seconde des vannes façon "Robert le roi du Camembert".

Et puis cette voix omniprésente qui déverse un flot quasiment ininterrompu d’agressions. Pourquoi choisir d'infliger ça au joueur ?
Même pour un gamin. Surtout pour un gamin !

Je me suis dit que ce n'était pas possible. Ubisoft, qui est expert dans la narration et la reconstitution, ne peut pas faire quelque chose d'aussi bête et abrutissant. Je me suis donc dit qu'il fallait essayer de creuser un peu plus loin que ça... et j'ai trouvé quelques pistes.

Fenyx Rising et Cons descendants ?

Un vidéaste (StiM) a pu jouer au début du jeu, l'enregistrer et le diffuser. Et ce début n'a strictement rien à voir avec ce que nous offre cette démo - qui ne semble pas du tout représentative de l'expérience finale. Je pense que cette démo n'est même pas un interlude, mais juste une maquette qui illustre le gameplay, avec des voix off qui occupent l'espace bêtement, car privées de tout contexte. D'ailleurs, on voit bien que la démo se déroule sur un ilot loin au milieu de la mer, qui ne sera peut-être même pas inclus au jeu final.

Sur la version en développement, on se retrouve sur une île, avec un personnage principal qui doit libérer ses compagnons transformés en statues de pierres. C'est déjà bien plus classique, mais aussi plus engageant que les lolblagues de Zeus.

D'ailleurs, si le duo Zeus et Prométhée est toujours présent, leur échange est bien différent dans les premières heures de jeu. Plus posés, moins présents, ils s'opposent dans des rôles qui semblent cohérents. Si un Prométhée beaucoup plus conteur place ses espoirs dans Fenyx représentante de l'humanité, Zeus, qui de son côté ne laisse pas tomber toute son attitude de beauf, parie qu'elle perdra à chaque instant et devant chaque épreuve la rabaisse - et donc nous rabaisse nous, le joueur.

En fait, dans la vraie vie, ce serait carrément du harcèlement moral.

À côté de ça, les échanges sont aussi beaucoup plus proches de la mythologie. On comprend que l'histoire se passe "après" les contes et légendes grecques et les narrateurs reviennent avec humour, un ton acceptable pour les plus jeunes et on l'espère de la finesse sur des petites bribes de cette grande histoire, comme par exemple Zeus qui a transformé des amantes en animaux sur un simple caprice.

Quand on prend un peu de recul, et même sans être calé en mythologie, Zeus, l'incarnation de la sagesse, la figure paternelle par excellence avec ses cheveux gris et sa grande barbe, est, dans la plupart des histoires, un personnage infect, qui se transforme pour violer les autres, qui métamorphose les dieux dont il est jaloux, qui couche avec ses enfants ou mange ceux des autres, qui punit les autres dieux dans des tortures sans fin... bref, c'est un sacré fauteur de troubles, totalement égoïste, avec lequel il vaut mieux être d'accord si on veut éviter les ennuis.

Je fais ce que je veux

Et je me dit que c'est peut-être sous cet angle, au-travers de ce personnage, qu'Ubisoft Québec a choisi de traiter un sous-titre résolument adulte. La remise en cause d'un symbole de notre civilisation dans lequel prennent racine de nombreux comportement toxiques.

Difficile de ne pas faire un parallèle entre ce Zeus qui transforme cinq fois le boss pour finir avec n'importe quoi, et ce chef de projet qui bousille le travail d'une équipe en ayant une nouvelle idée de génie chaque jour. L'héroïne qu'on envoie paître sans lui demander son avis, ça nous évoque finalement ce père ou ce conjoint autoritaire qui exige tout et n'écoute personne. Cette façon de couper la parole pour déformer l'histoire et étaler des bêtises issues de ses croyances ou de sa science innée pourrait elle aussi nous faire penser à ce vieil oncle raciste ou encore ces polémistes télévisuels...

Et si Zeus n'était là que pour incarner un pastiche ?

Cette figure tutélaire, ce symbole largement exploité dans notre civilisation - des sages à grandes barbes qu'on trouve sur les tous tableaux aux présidents Jupitériens - est peut-être le meilleur candidat pour faire une critique du paternalisme. Sans compter que d'autres Dieux feront eux aussi leur apparition. Nous interagirons avec eux et je pressens que là aussi on pourrait avoir une jolie collection de clichés et de comportements toxiques à épingler sur base de mythes qui ont traversé les âges.

Finalement, ce ne serait peut-être pas anodin de donner ce type de rôle à Lionnel Astier - connu pour jouer Léodagan, un personnage à forte personnalité. Difficile de croire que "la famille Astier crève la dalle au point de jouer n'importe quoi" comme on peut le lire chez certains fans de Kaamelott. C'est peut-être un choix délibéré d'incarner un véritable oppresseur. Le pari est clairement casse-gueule, mais il vaut le coup. Malgré les excuses qu'on peut chercher à la démo, ou les espoirs qu'on peut y mettre, il sera sans doute très difficile de bien traiter le sujet - si sujet il y a.

En effet, je suis totalement en mode oracle, et à part quelques suppositions lues dans des entrailles de voix off, pour l'heure rien ne prouve qu'il y ait un sujet. De plus, s'il était mal traité, on se retrouverait face un monde ouvert rempli de quêtes débiles pour remplir le vide, assorti d'une voix off assourdissante de foutaises pour occuper l'espace - bref tous les ingrédients pour une expérience pénible.

Il faudra donc attendre des tests pour y voir un peu plus clair et savoir si on est face à une déferlante abrutissante ou devant un titre avec une proposition intelligente, aiguisée et bien ciselée. À titre personnel, je suis circonspect, mais optimiste. Après une vague de hack terroristo-faciste dans Watch Dogs et un déferlement de pillages sanglants lors d'invasions barbares dans AC Valhalla, peut-être que Immortals: Fenyx Rising pourrait proposer une thématique un peu plus riche et beaucoup plus mature que ne le laissent présager ses graphismes chatoyants et sa démo un peu con-con.

Souvenons-nous de Far Cry 3, qui venait lui aussi des studios québécois d'Ubisoft, un gros succès dont le message principal avait pourtant été éludé par de nombreux joueurs - ce qui ne les avait pas pour autant empêchés d'apprécier le jeu. Et au pire des cas, on pourra toujours répondre en cas d'analyse trop poussée que "c'est pas faux".

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