Test de Sakuna of Rice and Ruin : Le riz mal accompagné

Sakuna of Rice and Ruin est un jeu du studio Edelweiss, qui tente de concilier deux genres que tout oppose : la simulation rizicole et l'action-aventure. Son bel artwork qui évoque le cultissime Okami, ses combats dynamiques qui font de grands appels du pied aux fans de Muramasa et son ambiance japonaise zen et poétique tapent rapidement dans l'œil. Pourtant, c'est bien la simulation rizicole qui est au cœur de l'aventure et si le riz semble bien cuit, on se demande si le reste du plat relève la recette.

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Plus on est de fous, moins il y a de riz

Sakuna est la fille du Dieu du combat, et de la Déesse des moissons, mais c'est surtout une jeune divinité pourrie-gâtée qui passe son temps à se saouler dans les cieux sans avoir besoin de mettre la main à la pâte ou de travailler à aider ceux d'en bas. Malheureusement pour elle, des humains s'égarent dans le royaume céleste et elle gaffe en tentant de les empêcher de manger les offrandes, détruisant la récolte. Bannie avec les humains sur l'ile d'Hinoe, Sakuna a la charge de reprendre le contrôle de l'île en utilisant ses capacités divines d'agriculture et de combat. Cette introduction nous permet de prendre contact avec Sakuna, un personnage au premier abord peu sympathique, qui entreprend une quête de rédemption, l'amenant à se responsabiliser ainsi qu'à tisser des liens avec les fils de l'homme, qu'une déesse se doit de protéger.

Si cette introduction nous permet de découvrir les commandes de base, la narration s'illustre déjà par un certain manque d'unité. On oscille ainsi entre des scènes en 2.5D, des passages mis en scène en 3D, de façon pataude dans un flou "artistique", et des artworks 2D au look crayonné sympa quand ils ne sont pas tristement animés. La mise en scène est simple et la réalisation datée. Si certains dialogues sont doublés, d'autres sont limités à des phylactères malheureusement souvent accompagnés de petites exclamations et grognements. Heureusement, la DA des personnages est plutôt sympa, même si le look crayonné des artworks, plutôt bien transposé en 3D, perd vraiment son caractère une fois passé en vue de profil.

Cette dissonance visuelle correspond en fait à la double proposition du jeu. Le gameplay s'articule autour de deux activités principales, la reconquête de l'île lors de phases d'exploration et de combat en 2.5D, mais aussi l'aspect riziculture et vie du campement en 3D. La progression est originale : agriculture oblige nous sommes rythmés par l'alternance des saisons, condensées en trois jours chacune. C'est une bonne idée, car ce cycle donne un sens à l'activité rizicole tout en nous contraignant à nous organiser. Nos objectifs varient ainsi en fonction de la saison, voire de la météo, qui ont aussi un impact sur l'aspect des zones, qui se couvrent de neige en hiver, se parent de couchers de soleil ou de pluie selon la météo, voire se plongent dans le noir la nuit.

Le temps s'écoule de façon définie, les journées ne sont pas à rallonge et il faut sélectionner vos actions en fonction de vos quêtes, de vos priorités et de vos obligations. Vous devez ainsi jongler entre l'agriculture, les relations sociales, la gestion des stocks de nourriture et le combat. Lors du repas du soir, vous assistez souvent à une petite discussion entre les protagonistes, qui fait avancer la vie du groupe. Ces échanges, tout en bulles de BD, sont au début assez pénibles, car les sujets abordés sont traités de façon superficielle tandis que tout l'aspect mythologique asiatique est trop survolé pour permettre à un non-initié de suivre. Si au début on a souvent envie de zapper, après quelques heures le jeu se recentre sur ses personnages et il devient plus facile de s'intéresser à ces échanges.

En dehors des repas, la narration s'impose aussi à certains moments définis par le jeu. Si l'intrusion abrupte de cinématiques qui font passer le temps voire la journée peut parfois se justifier scénaristiquement, ce n'est pas toujours le cas et il peut s'avérer frustrant de perdre une journée entière à regarder une saynète relativement insipide dans laquelle l'on fait des leçons de morale aux enfants. L'histoire suit son propre rythme, qui génère certaines incohérences comme une discussion avec un personnage absent ou encore un dîner de disette alors qu'on vient de récolter plein de viande sur un boss. L'inverse est aussi possible : si l'on n'est pas raccord avec le jeu, on assiste à des soupers dans un silence monacal et il est dommage de ne pas avoir profité de cette occasion pour guider le joueur.


Le riz, c'est la vie !

Le système de riziculture est singulier et n'est pas facile à suivre, surtout si vous ne connaissez rien à la culture du riz. Le jeu ne permet pas d'automatiser les tâches et vous devez donc tout faire à la main, du sol à bêcher au riz égrainer en passant par la plantation et la récolte. La mise en pratique se fait soit sur le terrain, soit via des QTE. On plante à la main chaque graine germée, on récolte le riz pour le faire sécher, on égraine et écosse le tout... beaucoup de boulot, d'autant que si vous vous débrouillez bien, votre récolte et donc les quantités à traiter augmentent. Si les actions sont simples, les déplacements à reculons peuvent les rendre fastidieuses.

Heureusement, à force de répétitions, Sakuna gagne des compétences et outils qui augmentent votre champ d'action. Cette progression se fait entièrement à l'aveugle et vous ne savez pas ce que vous pouvez gagner. C'est toujours un soulagement de débloquer des compétences pour planter 2 par 2 vos 400 plants, d'augmenter la portée de votre coup de bêche ou de pouvoir écosser plus de grains de riz d'un seul geste - d'autant que faire 800 fois haut/bas sur la manette pour obtenir du riz bien blanc peut s'avérer pénible. Ce gain d'efficacité semble corrélé à l'augmentation en quantité des tâches, donc finalement vous restez au même niveau d'action.

Vous pourriez laisser les NPCs faire certaines actions, mais vous risqueriez de passer à côté des compétences et que le travail soit moins bien fait. Les repas illustrent bien cet aspect : si vous laissez la cuisinière gérer les stocks, votre nourriture est régulièrement perdue et vous n'avez pas les bonus qui correspondent à vos besoins. Il faut donc mettre la main à la pâte et choisir les plats qui vous donnent les boosts dont vous avez besoin pour votre activité du lendemain en priorisant les aliments à faible conservation. Ce niveau de micro-management est représentatif de tous les systèmes qui composent le jeu.

Pour faire de belles récoltes, il faut donc avoir un suivi quotidien de l'état de votre rizière, voire matin et soir : vérifier le niveau de l'eau selon l'avancement du riz, ajuster sa température selon les saisons, préparer et appliquer de l'engrais, arracher les mauvaises herbes, capturer les nuisibles, surveiller les maladies... la liste de points à superviser est très étendue.

L'engrais est un bon exemple de cet aspect gestion, car c'est à la fois le point le plus répétitif et celui qui demande le plus d'adaptation S'il faut invariablement chaque jour récupérer votre seau de fumure dans les toilettes du campement, vous devez ensuite choisir de quelle façon vous enrichissez cet engrais. On n'applique pas le même compost avant de bêcher ou selon l'évolution de nos plants de riz - et comme il faut plusieurs heures pour que le composte se forme, il faut savoir ce que vous en ferez le lendemain et anticiper vos besoins.

L'eau est également un élément complexe à gérer. Sa hauteur et sa température varient et si Tauemon, notre guide cultivateur, nous donne souvent des indications, Sakuna peut aussi énoncer à voix haute des propositions contradictoires en inspectant la rizière, sans compter les parchemins d'agriculture qui se débloquent au fur et à mesure et donnent encore d'autres lignes de directions et possibilités.

C'est d'ailleurs le principal défaut de cette simulation - et du jeu en général : il s'explique très mal. Les sources d'informations sont nombreuses, parfois contradictoires, et dispersées entre les menus, l'interface de suivi des plants et des dialogues en 3D. Le jeu explique même souvent des choses importantes dans des cinématiques qu'il est impossible de revoir et on se retrouve vite perdu. Lors de la pousse comme de la récolte, vous accédez également à une profusion d'informations, y compris certaines dont le jeu ne vous a pas encore parlé et que vous ne pouvez donc pas encore traiter. Il y a de quoi s'arracher les cheveux sur les nombreux onglets et statistiques de ce qui ressemble fort à un classeur Excel joliment présenté.

Sans compter que la localisation en anglais complique la donne tant le champ lexical agricole est spécifique et donc rarement maîtrisé. Pour en revenir à l'engrais, les feuilles (leaves) font du "kernel fertilizer" soit de l'engrais organique, alors que le "leaf fertilizer" est sans doute plus un engrais foliaire - donc pour les feuilles - qu'un engrais à base de feuilles, car il se fait à base du fumier de bestiaux. J'ai du faire appel à un traducteur pro pour écrire cette phrase - et comprendre le sens de mes actions -, ce qui montre qu'à la technicité de la simulation s'ajoute une surcouche de traduction qui est loin d'être évidente même pour les habitués de l'anglais, à moins d'être ingénieur agronome.

On aimerait d'ailleurs avoir l'avis de ces derniers sur le jeu, tant on se demande si nos expérimentations ont un impact sur les récoltes. La quantité de paramètres et le fait qu'on puisse faire varier certains alors que d'autres s'imposent à nous, en raison de la durée d'une année et de la variété des objectifs du jeu, font qu'il est très difficile de savoir si ce qu'on fait est bien ou pas. On se retrouve vite à suivre à l'aveuglette des instructions qui viennent de gauche ou de droite sans trop savoir où l'on va, et généralement on obtient toujours une récolte meilleure que la précédente sans pour autant savoir si on s'est bien débrouillé ou non.


Exploration avec un grain de riz dans la chaussure

Le second aspect du jeu est la reconquête de l'île, qui se déroule façon beat'em up dans des zones en 2.5D. Les combats virevoltants ainsi que l'ambiance japonisante du jeu, ont tout de suite tapé dans l'œil des fans de Muramasa, qui étaient sans doute en manque de défouraillage sauvage. L'approche est cependant ici très différente et on est loin du dynamisme et de la précision du titre de Vanillaware.

Les combats tournent autour de deux idées principales : shooter les ennemis comme des balles de golf et contrôler la situation à l'aide de votre grappin. Sur le papier, les concepts sont sympas, mais leur mise en œuvre n'est pas à la hauteur. Les combos ne sont expliqués nulle part et les adversaires risquent d'être expédiés en fonction des coups hasardeux que vous découvrez. Idem pour le grappin, qui ne profite pas des contrôles analogiques et se voit limité à huit directions. Son magnétisme capricieux et des mobs souvent trop vivaces pour être agrippés rendent son utilisation aussi hasardeuse que fastidieuse.

De plus, si les ennemis sont plutôt vivaces debout, une fois mis à terre il leur faut de nombreuses secondes pour se remettre en mouvement, secondes pendant lesquelles vous ne pouvez pas poursuivre vos enchaînements : vos coups tapent dans le vide. Vous devez donc changer de cible au milieu de la nuée d'adversaires ou patienter le temps qu'ils se relèvent. Ajoutez à ça des monstres souvent idiots au point de se coincer dans le décor ou de se jeter sur les pics comme des Lemmings, mais aussi assez vicieux pour vous attaquer en étant hors de l'écran et vous risquez fort de vous lasser, d’autant que l’issue des combats dépend surtout de votre niveau.

En effet, le principal élément qui détermine le succès d'un affrontement n'est pas votre skill, mais plutôt votre niveau, dont la progression est au passage totalement obscure. Ce dernier augmente sans qu'on sache vraiment comment et le jeu ne nous en informe pas. Ce qui est sûr, c'est qu'à chaque récolte, les statistiques de Sakuna augmentent de façon drastique. On gagne un gros boost d'environ +50% sur toutes nos caractéristiques. C’est loin d’être anodin : si vous étiez face à un mur, revenez donc après la moisson pour rouler sur l'adversité les doigts dans le nez. Dommage.

Idem pour vos armes. À chaque nouvelle option disponible, la puissance n'est pas loin de doubler. Ces dernières ont en plus un système de résistance façon pierre-ciseaux-papier, expliqué nulle part. Difficile de savoir quel type d'arme utiliser sur quel adversaire. Les compétences de base, comme la parade ou l'attaque dans le dos, se découvrent sur des parchemins qui vous disent quoi faire, mais on n’avait par exemple pas attendu de trouver le parchemin pour penser à attaquer dans le dos. Là encore, dur de dire s'il y a eu une progression. Vos compétences spéciales gagnent également des niveaux à force d'être utilisées, tout comme vos équipements qui débloquent des bonus passifs à force d'être portés, à moins qu'on y ajoute des compétences trouvées dans la nature.

On a donc toute une gestion du combat basée d'avantage sur les statistiques que sur l'adresse du joueur, au point qu'on se demande pourquoi avoir abordé l'exploration sous l'angle d'un beat'em all plus statistique que dynamique au lieu de carrément franchir le pas du RPG. Les amateurs de jeu d'action risquent de rapidement s'ennuyer alors que le public appréciant la gestion rizicole aurait sans doute d'avantage succombé aux charmes d'une approche stratégique au tour par tour plutôt qu'à un simulacre de jeu d'action.

Si l'exploration comporte quelques coffres cachés et des endroits difficiles d'accès, ne vous attendez pas non plus à des zones étendues façon Muramasa. La plupart du temps, on se retrouve dans un niveau avec trois ou quatre arènes reliées par des couloirs où se cachent quelques secrets. Il faut jouer du grappin et ces phases de plate-forme sont d'ailleurs l'occasion de prendre conscience de son manque de maniabilité, ainsi que de l'absence de logique rendant certaines surfaces accessibles et d'autres non.

La diversité n'est pas vraiment de mise. Ennemis et environnements varient au bout de plusieurs heures et la lassitude s'installe d'autant plus vite que les deux premières zones (caverne et sous-bois) varient assez peu aussi bien dans leurs couleurs qu’au fil des saisons. Heureusement, les environnements suivants apportent un peu plus d'ouverture visuelle permettant d’apprécier les changements climatiques. Les ennemis se répètent également et il faudra affronter des lapins, des cochons et des oiseaux pendant de nombreuses heures avant que la faune ne se renouvelle.

Les phases d'exploration sont limitées par plusieurs facteurs. Tout d'abord, le cycle jour/nuit, qui non-content de vous plonger dans le noir (une bougie arrive après un certain temps) rend les ennemis bien trop forts pour que vous puissiez leur faire des dégâts. Deuxième élément, votre jauge de faim : à partir du moment où Sakuna n'est plus rassasiée, vous ne pouvez plus régénérer votre santé et êtes donc sommée de rentrer au bercail. La gestion des points de vie est d'ailleurs tellement simpliste qu'il n'est pas possible de se soigner autrement qu'avec l'auto-regen obtenu lors du repas de la veille.

Cependant, les objectifs de zone sont la limite la plus frustrante à l'exploration. Chaque niveau est doté de plusieurs buts, comme tuer X ennemis, réaliser tel coup spécial plusieurs fois, trouver tel objet caché ou récolter un ingrédient aléatoire. Atteindre assez de ces objectifs débloque d'autre zones. Il faut donc refaire plusieurs fois les mêmes tableaux pour pouvoir passer aux suivants, un peu comme dans ces jeux des années 90 qui exigeaient de récolter 50 étoiles pour avancer dans l'aventure.


Routine d'un autre été

Malgré cet état des lieux, Sakuna est doté d'un charme assez unique et surtout inattendu : la douceur de la routine. Une fois les mécaniques comprises, plus rien rien n'est vraiment palpitant. Vous savez qu'à la prochaine récolte vous pourrez terrasser tel boss, vous vous attendez à débloquer un nouvel outil pour compenser une profusion de grains, et vous vous acharnez sur les objectifs secondaires pour faire progresser l'exploration. Chaque jour a sa petite routine pépère, légèrement ajustée en fonction des saisons. Vous vous occupez des insectes et herbes folles dans votre champ, préparez de l'engrais avant de dispatcher vos compagnons à la recherche de ressources pendant que vous partez explorer une zone. Une fois affamé, vous vous occupez à nouveau du champ et de l'engrais, de corriger le diner prévu par Myrthe afin de choisir vos bonus et concluez cette journée quasiment identique à la précédente.

Une fois cette routine installée, on se surprend ainsi à se réjouir de bientôt planter son riz, on se laisse surprendre par les incidents qui rythment la vie du campement et on commence même à apprécier les musiques qui se diversifient enfin et les couchers de soleil sur notre rizière. Certaines conversations du soir sont même étalées sur plusieurs jours afin de les étoffer sans nous étouffer. On comprend que le jeu risque ainsi de nous accaparer plusieurs dizaines d'heures à exploiter un contenu agricole riche auquel s'ajoutent des à cotés plutôt répétitifs.

Sakuna: Of Rice and Ruin ose malhabilement un mélange des genres surprenant. Si la simulation rizicole sait se montrer très riche et propose même un gameplay actif - quoique répétitif, à l'inverse la partie exploration repose plus sur les stats que sur l'habileté au combat et on se retrouve rapidement à y remplir des barres d'xp à peine voilées plutôt qu'à se déchaîner sur des ennemis endiablés.
Le jeu ne fait pas non plus l'effort de se mettre en valeur et accuse de nombreuses lacunes : ses explications sont aussi vagues que mal structurées, ses premiers niveaux ne sont pas assez diversifiés, ses combats manquent d'équilibrage et les retours sur les actions menées en jeu font généralement défaut.

Pourtant, on trouve tout de même un certain confort dans la douce routine qui s'installe au fil des saisons. C'est même assez addictif et ceux qui se laisseront happer pourraient bien y engloutir des heures. Le titre est cependant très particulier, donc assurez-vous d'être vraiment son cœur de cible pour ne pas être rapidement déçus.

Test réalisé par Oulanbator sur PlayStation 4 à partir d'une version fournie par le distributeur.

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