Test de Alan Wake 2 - Dans l'antre d'un esprit terrifiant

C'est en 2010 que Remedy prenait un peu son monde par surprise. Le studio que l'on connaissait à l'époque plutôt pour son shooter Max Payne se lançait cette fois-ci dans un jeu d'horreur à l'histoire qui ne manquait pas d'inventivité. On y découvrait un écrivain pris au piège par ses propres écrits, voyant le monde autour de lui se mélanger à l'horreur qu'il imaginait, avec de multiples références à Twin Peaks. Remedy revient treize ans plus tard avec une suite, fermement décidé à sublimer les concepts imaginés à l'époque. Et cela fonctionne encore mieux qu'espéré.

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Entre l'ombre et la lumière

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Alan Wake n'a probablement jamais vraiment quitté l'esprit des têtes pensantes de Remedy. On l'a vu avec Control en 2019 qui en reprenait des concepts et qui multipliait les références, jusqu'à ce que son extension AWE vienne plus ou moins officialiser le fait que les deux univers étaient liés. Alors, il n'est pas surprenant de voir assez rapidement dans l'aventure de Alan Wake 2 des liens importants avec Control, notamment dans la première moitié de l'aventure. Mais on vient aussi et surtout pour comprendre le destin de Alan Wake, cet écrivain maudit qui se trouvait à la fin du premier jeu piégé dans l'antre noire, sorte de monde cauchemardesque propagé par M. Grincement (Mr Scratch), l'alter-ego maléfique de Wake. Au-delà de la symbolique religieuse, Scratch étant l'un des surnoms du diable, c'est la psychologie du personnage qui fascine, constamment tourmenté par le fait d'être une proie pour cette incarnation maléfique et le besoin de réécrire sans cesse l'histoire afin que la réalité ne soit pas renversée. Parce que cette suite va encore un peu plus loin dans l'horreur, en mêlant les destins de son écrivain et de Saga Anderson, une agente du FBI qui se retrouve sur une enquête sordide. Plusieurs meurtres ont eu lieu depuis une dizaine d'années, tous selon un mode opératoire particulièrement cruel, l'amenant sur la piste de Bright Falls, cette petite bourgade du nord-ouest des États-Unis où a disparu Alan Wake treize ans plus tôt. Elle y découvre rapidement la "secte de l'arbre", une bande de tueurs qui semblent sortis de l'enfer, et des références à l'écrivain face à un monde qui se mélange au cauchemar, avec un surnaturel omniprésent.

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L'apport de Saga Anderson est considérable dans l'aventure, le fait d'introduire un autre personnage jouable, en plus de Wake, permet d'aborder l'emprise maléfique sous un angle différent. Celui d'une personne complètement extérieure à cette histoire et qui découvre avec nous peu à peu les évènements qui se sont déroulés à l'époque ainsi que leur impact sur le temps présent. Cela permet aussi à Remedy d'apporter un côté enquête à son aventure, avec un tableau des indices à compléter selon ce que l'on trouve en cours de route (qu'il s'agisse d'éléments indispensables à l'avancée ou de collectibles facultatifs), offrant au jeu une vraie ambiance policière avant que l'horreur s'empare de tout. Parce que le studio a véritablement poussé dans le survival horror cette fois-ci, avec un jeu qui, contrairement à son prédécesseur, ne cesse de se renouveler dans sa manière de faire peur. Si on peut lui reprocher un surplus de jump scares à peu près tous identiques, c'est son ambiance qui se réinvente continuellement qui séduit, parvenant à trouver de nouvelles manières de faire peur dans chaque chapitre du jeu. On y voit d'ailleurs aisément une inspiration du côté des Silent Hill, entre les thématiques abordées et le mélange entre réalité et cauchemar (le premier finissant par ne faire qu'un avec le second). Absolument terrifiant, Alan Wake 2 est sans nul doute l'un des jeux les plus effrayants passés entre mes mains. 

Plongée dans un cauchemar ludique

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L'autre référence sur laquelle s'appuie largement Remedy, c'est Resident Evil. Notamment ses remakes sortis ces dernières années, tant dans son gameplay avec la jouabilité de ses personnages que dans la progression de son aventure. Très porté sur des aller-retour et la découverte d'indices, de clés ou d'objets divers qui permettent de débloquer des portes et des pans narratifs, Alan Wake 2 prend une structure très ludique, très jeux vidéo, quitte à perdre parfois en rythme et en intensité narrative. Heureusement, ces phases sont souvent relativement courtes, mais il y a un côté un peu artificiel à certains moments clés de l'aventure où l'on se trouve face à l'objectif poursuivi depuis le début du chapitre et où l'on apprend soudainement que l'on doit partir récupérer trois ou quatre objets dans le même niveau. Ces moments obligent à refaire le tour de la même carte, affronter de nouveaux ennemis (qui se combattent tous de la même manière, avec une lampe torche et un flingue, comme dans le premier) et récupérer des objets que l'on a parfois déjà vus au premier passage, mais qu'il était impossible de prendre à ce moment-là. Pas vraiment fines, ces séquences ne sont heureusement pas majoritaires dans un jeu qui parvient malgré cela à conserver un rythme prenant, grâce notamment à la mise en scène de ses différents chapitres.

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Car le jeu se scinde en deux aventures, il y a les chapitres réservés à Alan Wake, et ceux à Saga Anderson. Le premier évolue dans l'antre noire, tentant de comprendre ce qu'il se passe et de trouver la sortie (physiquement ou parfois métaphoriquement), ce qui l'emmène dans des lieux quasi-mystiques où ce qu'il voit ne cesse de changer. Il y les portes qui le mènent à des endroits inattendus, des lampadaires à allumer ou éteindre pour changer le décor ou encore lieux à "réécrire" au moyen de sa machine à écrire pour en bouleverser la topographie. Tandis que la seconde, focalisée sur son enquête, est exposée à un autre type d'horreur, plus proche d'un cinéma moins psychédélique, mais pas moins terrifiant. D'un point de vue gameplay, cela offre deux facettes d'un même jeu avec des énigmes variées, mais aussi des lieux à la topographie très différente. L'antre noire offre des lieux plus cloisonnés tandis que Bright Falls et Cauldron Lake donnent à Saga un terrain de jeu plus conséquent, entre une petite ville à explorer et des forêts peu accueillantes à ratisser pour y trouver des points d'intérêt. Si l'ensemble du jeu reste assez dirigiste, la relative liberté offerte par ces grandes cartes à explorer permet de renforcer le sentiment d'être perdu au milieu de nulle part.

Un cauchemar de rêve

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Il est évident que les personnes à l'écriture du jeu, à l'imaginaire débordant, se sont appropriées quelques-unes des références les plus importantes du cinéma d'horreur et du thriller de ces trente ou quarante dernières années. Si je n'en dirai pas plus pour ne pas spoiler le plaisir de la découverte, on sent que l'équipe de Remedy a pris un certain plaisir à convoquer des références plus ou moins populaires, tout en y ajoutant une pointe de culture nordique, plus proche de leur Finlande, pour donner à l'univers d'Alan Wake - et par extension de Control - une nouvelle dimension. Cela passe aussi par des références visuelles sublimées par leur moteur de jeu maison, le même que pour Control, mais qui fait encore des miracles avec une gestion de la lumière assez formidable, notamment dans les séquences en forêt avec un feuillage duquel semble sortir des ombres terrifiantes, une lampe torche toujours indispensable lorsque la lumière naturelle disparaît, ainsi que les visages très expressifs de ses personnages. Techniquement, le jeu ne s'en sort pas trop mal sur PlayStation 5 sur laquelle nous avons réalisé le test, avec un mode "performance" qui tient plutôt bien les 60 images par seconde sans trop souffrir de pertes visuelles, même s'il y a quelques ralentissements occasionnels (à environ 50 images par seconde). Quant au mode "qualité", un poil plus joli, il est stable à 30 images par seconde, mais sa meilleure gestion des ombres et des reflets en comparaison au mode "performance" ne mérite pas d'y perdre en fluidité.

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Enfin, il y a tout de même un point sur lequel Remedy ne semble pas pouvoir trouver la bonne solution. Comme le premier jeu, les phases de tir restent assez peu passionnantes. Si ces séquences s'avèrent parfois palpitantes et nécessaires pour accentuer le caractère horrifique du jeu, notamment dans les moments où l'on n'affronte qu'un ou deux ennemis en même temps, elles perdent toutefois en intérêt et en précision au fil des heures. La faute à un surplus d'ennemis qui est soudainement balancé de manière un peu artificielle dans le dernier tiers du jeu, renforçant à ce moment-là le sentiment que le gameplay ne s'y prête toujours pas. Devoir viser à la lampe torche d'abord, puis tirer au pistolet ou au fusil quand les ennemis sont vulnérables fait que l'on est soi-même vulnérables à toute attaque de groupe et la lenteur du personnage pour se retourner ou même pour esquiver n'aide en rien. Certes, cette lourdeur du personnage est inhérente au genre, mais on aurait aimé éviter quelques séquences de type arène où l'on doit éliminer tout ce qui bouge pour pouvoir passer à la suite. Ces scènes ont peu d'intérêt ludique et ne sont jamais aussi terrifiantes qu'un ennemi seul, imposant et menaçant, qui nous guette au bout d'un couloir. 

Conclusion

Remedy tient là l'une de ses plus grandes œuvres. La finesse de l'écriture offre une aventure où les idées et concepts s'entremêlent pour susciter le doute à chaque instant, jusqu'aux instants de révélations où le jeu parvient encore à nous prendre par surprise. Pourtant l'ensemble forme un tout cohérent, exploitant au mieux les qualités de son prédécesseur, mais aussi de Control, sans manquer de se recréer son propre univers afin d'emmener Alan Wake autant que dans le premier. Sa mise en scène est solide et qu'il s'agisse des cinématiques avec le moteur de jeu, des petites scènes en prise de vue réelle avec les acteurs et actrices qui donnent leurs traits aux personnages, il y a toujours la même exigence de qualité pour que la narration ne souffre jamais. S'il y a quelques errements en matière de gameplay qui peuvent s'avérer quelques fois un peu pénibles, les autres immenses qualités du jeu font qu'on les oublie bien vite. La quinzaine d'heures nécessaire pour en voir le bout (et une dizaine de plus si l'on souhaite trouver absolument tous les collectibles, qui apportent tous quelques éléments narratifs) est placée sous le signe de l'horreur, avec une vraie capacité à se réinventer et à s'interroger sur les mécanismes horrifiques. Loin d'être caricatural dans son approche, le jeu distille de nombreuses idées et s'offre une aventure qui montre crescendo, gagnant en intensité d'heure en heure sans jamais redescendre.

Test réalisé par Hachim0n sur PlayStation 5 à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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