Test de Mafia: The Old Country - Le gangster romantique
La licence Mafia, née en 2002 avec un premier titre par Illusion Softworks (devenu 2K Czech) a connu un chemin semé d'embûches. Souvent comparée à GTA, mais proposant pourtant une expérience plus axée sur la narration, avec un monde ouvert qui sert essentiellement de vecteur d'ambiance plutôt que de terrain de jeu, la série a fait des retours sporadiques avec Mafia II en 2010, puis Mafia III en 2016, ravissant certains fans mais sans pleinement convaincre tout le monde. L'arrivée d'un nouvel épisode, cette fois-ci prenant place au début du 20è siècle en Sicile, première fois que la série sort des États-Unis, reste néanmoins un objet de curiosité tant la saga a toujours tenté de rendre hommage à une vision de la mafia très romancée, inspirée par les meilleurs films du genre.
Le mineur au grand destin
Mafia: The Old Country met le joueur dans la peau d'Enzo, un "carusu", un mineur qui travaille dans une mine de sulfure en Sicile. Presque esclave d'un chef tyrannique, il complote avec un ami un plan pour s'en échapper. Ce qui l'amène à faire la rencontre de Don Torrisi, un riche notable (et mafieux) du coin qui lui offre une chance en l'embauchant comme homme à tout faire dans ses vignes. Une chance donc, qui marque le point de départ d'un jeu qui, au travers des années, raconte l'ascension d'un gamin au sein de l'une des familles les plus puissantes de Sicile, passant de carusu à bras droit. Mais le jeu n'est pas que ça, l'histoire de The Old Country est aussi celle d'une Sicile qui est pleinement imprégnée par les activités de la mafia, de la vente d'alcool (local ou venu d'Amérique) à la politique locale, ou même la proximité avec les curés du coin. Le début du 20è siècle est un moment intéressant, car il marque une époque où les autorités tentent de se renforcer contre la mafia et où l'Amérique commence à faire rêver celles et ceux qui y formeront bientôt les familles les plus puissantes outre-Atlantique. Et s'il y a une chose que le jeu fait bien, c'est de rendre compte de cette époque. Évidemment, on est au premier abord charmé par son ambiance, ses doublages siciliens, la beauté de quelques panoramas, mais on se laisse ensuite happer par les défis qui se posent aux personnages, leurs relations toujours à la limite entre amitié et business et surtout l'histoire d'amour naissante, fil rouge de l'histoire, entre Enzo et Isabella, la fille de Don Torrisi. Du haut d'une narration soignée, cette préquelle du premier Mafia nous emmène dans une tragédie à l'italienne, sorte de Roméo et Juliette de la Cosa Nostra, où l'histoire d'amour entre celui "qui n'est rien" et l'héritière du patron devient peu à peu une raison pour le héros de s'enfermer dans une paranoïa de chaque instant. Tiraillé entre la fidélité à un patron qui l'a sauvé des mines et son amour pour Isabella, il incarne un certain questionnement des activités mafieuses, sur le sens qu'il donne aux choses et sur l'importance de ses propres décisions face à un système qui broie l'individualité au profit du groupe (et, surtout, au profit du Don). Pas non plus irréprochable sur une narration qui souffre parfois d'une mise en scène qui trahit le budget limité du jeu, il n'en reste pas moins un exercice de style très intéressant tant Mafia: The Old Country colle envers et contre tout à la formule initiale de la saga, c'est-à-dire un jeu très narratif, où le monde ouvert ne sert que de décor, de vecteur d'ambiance, à un récit resserré. Ici, pas d'activités annexes, pas non plus de secrets formidables à trouver en errant dans le monde ouvert. Le jeu nous laisse d'ailleurs assez peu de liberté côté exploration jusqu'à la moitié de l'histoire, en rappelant à chaque instant qu'on est là pour se laisser bercer par l'histoire, pas pour exploiter un grand terrain de jeu, certes soigné, mais protagoniste d'une histoire linéaire.Une ascension à grands coups de pompe
Derrière l'histoire d'amour, Enzo n'est pas non plus un enfant de chœur. Que ses croyances religieuses ne nous y trompent pas, et même s'il tire sa force d'un chapelet qu'il porte à tout instant auquel on accroche quelques breloques offrant des capacités passives, cela reste un membre à part entière d'une organisation criminelle dont l'essentiel des activités est d'aller grignoter du terrain sur ses concurrents. Que cela soit par le chantage, en allant prendre des photos savoureuses d'un chef local en plein ébats dans un bordel, en menaçant untel et untel d'un revolver ou en butant tout ce qui bouge dans le fief d'un concurrent, Enzo est l'homme à tout faire d'un Don Torrisi qui apprécie ses capacités à faire tout ce qu'on lui dit sans l'ouvrir. De quoi apporter un peu de diversité aux missions du jeu dans lequel, dans la première partie notamment, on est traîné un peu partout par des lieutenants de la famille bien contents de refiler le sale boulot au "carusu" sans avoir à se salir les mains. Mais ensuite, le titre a un peu tendance à s'enfermer dans une récurrence de certaines séquences, à savoir des phases d'infiltration peu inspirées, où il n'y a en général qu'un ou deux chemins à suivre, balisés, avec des ennemis donc les réactions alternent entre l'imprévisible et la stupidité. Parfois sourds à un Enzo franchement peu discret, ils révèlent d'autres fois des yeux d'aigle, capables de le voir sans trop savoir comment. Ces phases se jouent avec des exécutions par derrière et des corps qu'il faut cacher dans des grandes malles astucieusement positionnées tout près de tous les ennemis que l'on est quasiment obligés de faire disparaître. Mais souvent, je me suis interrogé sur l'intérêt de cacher les corps, tant les zones de patrouilles des ennemis sont limitées et répétitives, avec des ennemis croisant rarement la zone normalement surveillée par leur copain déjà mort ou assommé. Heureusement, on trouve un peu plus de plaisir dans les gunfights, avec des armes suffisamment nombreuses malgré l'époque pour offrir un peu de diversité, entre les fusils à cinq ou sept balles, les fusils à pompe (mes préférés tant ils sont efficaces dans ce jeu) et toute une panoplie de pistolets aussi efficaces que joliment décorés. Enzo les obtient d'ailleurs en dépensant de l'argent durement récolté sur les corps des ennemis, ou en récupérant les armes sur le champ de bataille. Mais ces armes récupérées sur les corps sans vie quittent l'inventaire dès la fin de mission, Enzo ne conservant que les armes qu'il possède réellement. Plus qu'une diversité d'armes, le jeu offre surtout des fusillades plutôt musclées, avec des ennemis qui n'hésitent pas à sortir de couverture pour tenter de prendre le héros à revers. Le feeling des armes est efficace : ça sonne fort, il y a toujours un recul important (inévitable vu l'époque) et on sent la violence de chaque coup.Témoin d'une époque
Enfin, et c'est moins inspiré, le jeu compte aussi beaucoup sur des duels au couteau qui servent souvent de combats de boss. C'était évident qu'il y aurait une composante au corps à corps pour un titre qui se déroule au début du 20è siècle, mais si l'on apprécie le choix de couteaux que Enzo peut porter, le système repose sur une combinaison de parade et de contres franchement peu intéressants. Pour la plupart des combats, il suffit d'attendre que l'ennemi lance son coup ; s'il n'y a aucun indicateur visuel, on peut réaliser une parade et contrer et s'il y a un indicateur rouge, il faut esquiver et contrer. Rarement compliqués, ces duels tentent surtout de favoriser un peu plus la narration puisque les ennemis en profitent toujours pour discuter ardemment avec Enzo. Heureusement, à côté, le jeu offre d'autres choses plus inspirées, comme ses collectibles : coupures de presse, cartes, lettres, peintures, autant de choses qui racontent son époque et qui servent de marqueur temporel. On y entend parler de guerre russo-japonaise, de syndicalisme qui fait son arrivée en force en Sicile, d'Italiens qui commencent à faire leur commerce d'alcool du côté de Empire Bay (ville fictive, théâtre des deux premiers Mafia) et autres joyeusetés du début du 20è. Mais ça permet aussi de renforcer l'histoire du jeu, avec des lettres qui racontent des évènements en toile de fond ou qui éclaircissent le comportement de certains personnages. Un mot néanmoins, plus négatif, sur la technique. Le jeu offre quelques très beaux panoramas et l'ambiance est extrêmement soignée. On s'y croirait, là-bas, dans la Sicile de 1904. Et c'est un plaisir de s'y balader, d'observer les villages, les vignes, les églises perdues au milieu de nulle part. Mais sur PlayStation 5, la version testée, le jeu souffre de sévères chutes de framerate en mode "performance" qui l'empêchent de maintenir les 60 images par seconde tant désirées. Ce n'est pas non plus constant, les gunfights par exemple ne souffrent d'aucune chute pour la plupart, mais ça se remarque particulièrement lors des phases à cheval ou en voiture, quand la vitesse s'accélère et que l'on commence à traverser des zones plus denses comme la petite ville côtière ou certaines zones montagneuses. Cela ne bouleverse pas complètement l'expérience, mais ça empiète sur quelques séquences de course-poursuite qui perdent de leur effet, avec des explosions au ralenti et d'une intensité qui en prend un coup. C'est dommage, d'autant que le jeu n'est techniquement pas à la hauteur d'autres titres à plus fort budget. Comme la modélisation des personnages pas toujours irréprochable, comme leurs animations faciales ou même quelques textures qui apparaissent tardivement côté décor.Conclusion
Aux charmes de la Sicile et de son doublage local, Mafia: The Old Country y mélange un véritable savoir-faire sur l'écriture d'une bonne histoire de mafieux. À la hauteur de ses prédécesseurs, cet épisode sorti sans grandes annonces et à prix modéré apparaît pourtant comme un pilier d'une saga qui a toujours misé sur ses ambiances pour dicter ses jeux. On se laisse entraîner dans cette ambiance si unique d'une Sicile du début du 20è siècle où la mafia est présente dans toutes les strates de la société, où la religion occupe une place ambiguë entre pardon et violence, où l'économie repose sur les bonnes affaires d'escrocs et où le syndicalisme fait face aux gangsters avant les patrons. Romantique, le jeu nous raconte aussi une histoire d'amour qui doit trouver sa voie au rythme de l'ascension d'un "carusu", un moins que rien au sein des vignes d'une puissante famille locale. Sorte de Roméo et Juliette, Mafia: The Old Country est l'inattendue tragédie romantique qui nous emporte pendant sa quinzaine d'heures, avec en point final une géniale dernière mission où son monde se déchaîne. On peut lui reprocher, à raison, plusieurs choses sur son gameplay et sa mise en scène qui trahit l'envergure relativement réduite du projet, mais une chose est sûre, le jeu a beaucoup de cœur.
Test réalisé par Hachim0n sur PlayStation 5 à partir d'une version fournie par l'éditeur.
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Plateformes | PlayStation 5, Windows, Xbox Series X|S |
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Genres | Action, monde ouvert, europe |
Sortie |
8 août 2025 |
Aucun jolien ne joue à ce jeu, aucun n'y a joué.
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