Test de Beyond Two Souls: une histoire à coucher dehors

Les jeux Quantic Dream débarquent sur PC et parmi eux, Beyond : Two Souls, sorti à l'origine en 2013, qui se présente ici sous son plus beau jour. À l'époque, le titre impressionnait par sa technique, la qualité de sa performance capture et son couple d'acteurs emblématiques fidèlement transposés à l'écran. Son histoire, centrée sur le personnage Jodie, une enfant née dans un laboratoire de la CIA et liée à un esprit, Aiden, doté de pouvoir surnaturels, tente le pari d'une narration étalée sur plusieurs décennies à la façon d'une série, mais n'avait pas pour autant su séduire la critique lors de sa sortie.  Cette version PC est-elle en mesure de changer la donne?

Beyond: Two souls

Beau comme un camion maquillé

Visuellement, Beyond: Two Souls est au top, ce qui est une performance à souligner pour un soft sorti à l'origine sur PlayStation 3, preuve que son matériau de base était de grande qualité. Les personnages sont détaillés, réalistes et surtout crédibles. Les environnements sont superbes, les plans de caméra intéressants, mais les décors oscillent entre riches pour les plus panoramiques et simples pour les plus interactifs. D'un point de vue artistique, le jeu est sans failles, à l'exception peut-être pour les plus pointilleux d'une petite texture ici ou là, qui n'entache pas pour autant le rendu général. Le soin apporté à Jodie est tout simplement bluffant, le personnage est criant de vérité et on a vraiment l’impression d’avoir une Ellen Page personnelle sous la main. La performance capture, qui restitue le jeu des acteurs, donne un résultat naturel et fluide à la mise en œuvre impeccable. Le rendu sur PC tient les 60FPS sans broncher et les temps de chargement en début de mission sont courts. Par contre, le mode vibration du gamepad est mauvais, notamment parce que celui-ci cesse brutalement de vibrer quand le jeu passe sans transition d'un passage joué à une cinématique. Résultat, le jeu casse tout seul son immersion.

Jodie est particulièrement crédible.
Certains décors valent le coup d'oeil.

On reproche souvent au gameplay des jeux Quantic Dream de nous faire faire tout un tas d'actions "inutiles" comme se raser ou ouvrir des portes - avis je ne partage pas, car la banalité de ces gestes crée du lien avec le personnage. L'approche est ici un peu différente : on effectue beaucoup moins de gestes communs de la vie de tous les jours et majoritairement des actions qui ont du sens. Les dialogues nous proposent également moins de choix qu'à l'accoutumée, peut-être pour nous centrer sur ceux qui font avancer l'histoire. L'affichage des QTE a même été repensé pour être moins présent à l'écran : un halo blanc nous indique qu'une action contextuelle est réalisable d'une pression sur le stick droit.

Les passages d'action sont également revus : on passe beaucoup moins de temps à faire la pieuvre pour garder cinq boutons progressivement enclenchés afin d'escalader le décor ou forcer une serrure et plus de temps à faire de l'infiltration avec les boutons A et X. C'est accessible et fonctionnel. Il n'en va pas de même des combats et des passages de course, qui nous demandent de pousser le stick droit dans une direction sans indication de commande. Il faut se fier aux bras de Jodie voire à son instinct. On se retrouve fréquemment à se prendre des mandales ou des poutres parce que les directions ne sont pas claires : s'agit-il d'une esquive ou d'une contre-attaque, faut-il passer dessus ou dessous ? On est bien sur pas au niveau d'illisibilité de Dragon's Lair, d'autant qu'on ne meurt pas dans Beyond Two Souls, mais Quantic Dream est revenu sur cette idée dans Detroit, preuve que les indications de commande, c'est quand même pas si mal dans les QTE.

Larmes de fond

Malgré ses qualités techniques, Beyond Two Souls est le titre le moins apprécié des trois jeux Quantic Dreams conçus pour PlayStation et il y a une raison : sa narration - ce qui est très problématique dans un jeu dont c'est l'objectif premier. On pourrait reprocher les séances qui se déroulent dans un ordre anachronique ou encore le peu d'impacts de certaines sur l'ensemble de l'histoire, voire d'autres qui semblent plus sorties d'un grand chapeau qu'autre-chose, mais ce qui m'a le plus choqué, c'est l'absence totale d'implication que j'ai ressenti en jouant. Pourtant, le setup avait tout pour plaire : le coté paranormal, l'enfant qui sert de sujet d'expérience pour des scientifiques, la CIA, la fuite en avant... je suis très friand de ces thèmes, certes souvent exploités en séries.

Certains passages, notamment la différence de Jodie et son rejet par les autres, sont traités de façon tellement creuse, sous l'angle du préjugé bas de plafond, qu'on se demande presque si le jeu essaye de coller du remplissage simpliste au lieu de nous partager des émotions authentiques. Par exemple, des personnages secondaires passent du tout au tout en un battement de cils simplement parce que leur fonction est de créer un conflit ou une situation, à laquelle on ne croit donc pas une seconde. L'histoire ne prend pas le temps de construire ses enjeux, passe en avance rapide sur les événements qui sont supposés amener une résolution intéressante et les grands moments font souvent l'effet d'un pétard mouillé, surtout quand le jeu ne va pas dans la direction du joueur.

Tout le monde ne veut pas du bien.
Tout est dans l'intention.

On se heurte ainsi régulièrement à des murs invisibles dans la narration. Quantic Dream souhaite donner au joueur la liberté de choisir son destin, mais le déroulement de l'histoire dans un ordre anachronique casse totalement l'illusion. La situation que l'on joue à l'instant T découle de choix qui sont faits par le joueur plusieurs chapitres plus tard - ce ne sont donc pas les choix du joueur et on en est bien conscients. Si au début du jeu Jodie est en fuite, c'est parce qu'à un moment le personnage fait un choix, qui est raconté au joueur, mais pas décidé par le joueur. De plus, si on ne fait pas certains choix, ils se déroulent d'office en off. On se retrouve donc bien souvent à faire des choix débiles pour faire avancer l'histoire. Par exemple, quand Jodie se fait harceler, on peut choisir de se venger ou pas, mais si on ne se venge pas, le chapitre se termine en eau de boudin - du coup, on se dit que pour la suite, on fera le mauvais choix pour voir ce qui se passe. Pire, certaines actions communes ne sont pas disponibles à certains moments clef, sans aucune raison cohérente à part créer des situations, et on se retrouve donc engagé dans des problèmes qu'on avait les moyens d'éviter.

Oiseau de proie

Les choix proposés au joueur se situent d'ailleurs sur un autre plan, plus méta et sans-doute raccord avec le concept de Beyond : la relation entre le joueur et son personnage principal. Malheureusement, le traitement est plutôt malsain. Jodie est une proie pour le monde qui l'entoure et le joueur doit choisir de la mettre dans la panade pour créer de la narration ou de l'épargner et se taper des lieux communs. Quand Jodie adolescente se retrouve seule le soir dans un bar louche, on se doute bien en tant que joueur qu'elle risque de se faire violer. Si l'empathie pour le personnage marchait, on chercherait à éviter que ça ne se produise, alors qu'à l'inverse, l'expérience du jeu nous encourage plutôt à laisser le viol se mettre en place pour faire du scénario. Finalement, Jodie est aussi la proie du joueur et le jeu nous encourage à la malmener au lieu de nous mettre de son côté.

C'est encore plus perturbant quand on incarne ponctuellement Aiden, l'esprit qui veille sur Jodie et qui peut la tirer des mauvais pas avec ses pouvoirs ou se contenter de regarder. Le problème de l'implication du joueur est d'ailleurs à ce niveau : soit le joueur joue Jodie et choisit son chemin, soit le joueur joue Aiden qui veille sur Jodie qui fait des conneries. Or, le joueur saute de Jodie à Aiden, se retrouve forcé de déclencher des situations qu'il doit ensuite résoudre à moins d'être un tantinet pervers ou sadique, ce qui apporte un dénouement plus riche cinématiquement. Au final, on ne se sent ni très proche de Jodie ni non plus de Aiden, mais surtout un peu sale.

Jodie souffre souvent.
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La faiblesse de la narration tient d'ailleurs en partie au fait qu'on joue un personnage et demi et pas trois ou quatre comme dans Heavy Rain ou Detroit. La triple narration, en plus de permettre au joueur de se créer des affinités avec un personnage, ou d'avoir des passages d'apprentissage, permet surtout de donner à certaines histoires le temps de se construire sur la durée pendant que d'autres démarrent sur des chapeaux de roue.

Beyond Two Souls crée cette alternance de toutes pièces en explosant une unité de temps nécessaire à impliquer le joueur dans son histoire – ce qui s’avère donc être un pari perdant. On saute du coq à l'âne pour poser les bases de l'histoire, apprendre les contrôles et donner assez d'action au joueur en changeant le contexte et l'époque dans lesquels évolue Jodie. Du coup, d'une part les enjeux changent sans cesse et d'autre part la progression du personnage et celle du joueur ne sont pas en phase : on apprend à se battre, puis on utilise les contrôles du combat à un moment ou le personnage n'a pas encore cette connaissance. Cette version PC, comme sur PlayStation 4, tente de résoudre ce défaut en proposant de jouer dans l'ordre chronologique, mais cette option n'est pas non plus satisfaisante, car l'histoire est alors vraiment trop molle et l’action pas progressive. Il aurait été plus cohérent de faire ce qu'on voit dans la plupart des séries et films : une histoire qui se déroule à une époque, allant du point A vers le point B, avec un passé raconté par divers flashbacks.

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Beyond Two Souls ressemble finalement à un film qui aurait voulu condenser 4 saisons d'une série en 1H40 : il manque de temps pour construire ses différents actes comme ses personnages et donc impliquer le joueur dans son histoire. D'un point de vie cinématique, le spectateur assiste à une succession de scènes qui sont hyper stylées, dans la plus grande indifférence. On passe de climax en climax en mode "next" en étant totalement blasé. Jodie pourrait même se changer en Poulpe cosmique que ça ne nous étonnerait pas plus que ça.

D'ailleurs, l'histoire de Jodie, qui avait pourtant un bon potentiel pour émouvoir et faire vibrer le joueur, inspire elle aussi une profonde indifférence. D'un part, les thèmes abordés sont traités de façon creuse, tenant d'avantage du préjugé que du travail d'écriture, et d'autre part le joueur est encouragé à malmener Jodie, ce qui se fait plus facilement quand on a pas d'empathie pour elle. Par contre, le condensé de situations et la qualité du jeu d'acteur font que le titre déverse sur nous toute une cascade émotionnelle forte et continue, qui, couplée à certaines situations assez malsaines, laisse finalement le joueur dévasté pour le pire.

Beyond : Two Souls s’avère donc largement dispensable et si vous souhaitez découvrir les jeux Quantic Dream, mieux vaut se tourner vers Heavy Rain ou Detroit : Become Human, tout deux plus aboutis.

Testé sur PC par Oulanbator grâce à une version fournie par l'éditeur.

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