Test de Cris Tales : une aventure qui tourne au ralenti
Nouveaux arrivants venus de Colombie, les studios Dreams Uncorporated et SYCK se présentent au reste du monde avec leur premier jeu : Cris Tales. Édité par Modus Games, le jeu est un hommage aux J-RPG « à l’ancienne » qui ne se contente pas de reprendre les codes du genre, mais y ajoute sa dose de personnalité pour en faire une œuvre unique. Est-ce suffisant pour en faire un bon jeu ? Voyons ça de plus près.
Un conte mignon pour toute la famille
Cris Tales raconte les aventures de Crisbell, jeune orpheline se découvrant l’étrange pouvoir de distinguer le passé et le futur ainsi que d’influer sur chacun d’eux pour modifier l’histoire. Accompagnée de l’étrange grenouille Matias, elle devra parcourir le monde afin de découvrir ses origines et d’arrêter le plan démoniaque de l’Impératrice, figure maléfique de cet univers original. Pour accomplir son destin, Crisbell pourra compter sur les nouveaux amis qu’elle se fera lors de son voyage et avec lesquels elle combattra les armées de la terrible Impératrice.
Vous rencontrerez des personnages hauts en couleurs.
Je ne vais pas vous mentir, l’histoire ne casse pas trois pattes à un canard. C’est un grand classique du genre et l’écriture reste très légère, même lorsqu’elle aborde des sujets plus graves. Malgré tout, elle a l’avantage de pouvoir s’adresser à toute la famille et de le faire sans trop se prendre au sérieux. C’est un joli conte sans prétention, qui remplit les cases que l’on peut attendre d'un jeu modeste, mais qui se loupe sur la fin en faisant intervenir les rebondissements bien trop tard, au point qu’ils donnent le sentiment de ne servir qu’à prolonger la durée de vie plutôt que l’histoire. D’autant plus dommage que ces rebondissements auraient pu relancer l’attrait pour l’univers s’ils étaient intervenus quelques heures auparavant. Il en va de même avec les personnages, sympathiques, mignons, mais manquant cruellement de profondeur. Ce sont déjà des archétypes vus et revus alors si en plus il n’y a pas d’efforts consentis pour les étoffer, il devient compliqué de s’y attacher.
Le conditionnel et l’imparfait
Et malheureusement, les soucis continuent quand on creuse du côté des pouvoirs de Crisbell. Tout le jeu repose sur le principe de l’effet papillon via le pouvoir de l’héroïne, qui peut interagir sur le passé et le futur pour modifier les événements. Si la communication insiste sur ce pouvoir, il faut savoir que dans les faits, il n’est utilisable qu’en ville en tant qu’outil de gestion des quêtes principales et annexes. Dès que vous sortez de ville ou dès que vous entrez dans un donjon, il n’est plus possible d’en profiter, sauf en combat, et à aucun moment il n’est expliqué pourquoi il en va ainsi.
Certaines quêtes et situations vous obligeront à faire des choix.
Lorsque vous pouvez en profiter, ce n’est pas Crisbell qui passe d’une époque à une autre, mais Matias que l’on déplace très lentement pour des tâches simplistes, qui se limitent globalement à ramasser des objets ou récupérer des informations en écoutant les conversations. Alors ça fonctionne, aucun souci là-dessus, mais on aurait peut-être apprécié que la mécanique aille plus loin. Malgré tout, il est agréable de pouvoir assister aux conséquences des changements, que ce soit l’état de chaque ville pour la quête principale ou encore les situations de leurs habitants pour les quêtes annexes. Vous sauverez des vies, des maisons, des entreprises ou encore créerez des couples, des vocations et tout cela sera visible dans le futur. L’idée du voyage dans le temps reste donc intéressante tout en étant plutôt bien mise en scène et s’il est vrai que l’on pouvait espérer un peu plus dans la variété des situations offertes aux joueurs, on peut difficilement en vouloir à cette petite équipe de développeurs d’avoir fait au mieux avec leurs moyens.
Vos actes ont une incidence sur le futur que vous pouvez directement visualiser.
Et si, comme dit précédemment, passer du passé au futur n’est possible qu’en ville, cela ne signifie pas pour autant que Crisbell est sans pouvoir dans toutes les autres situations. En effet, la jeune fille possède une seconde corde à son arc et celle-ci s’utilise dans les donjons : détruire ou reconstruire des objets. En jonglant ainsi entre les différents états de certains objets disséminés à travers les donjons, il vous est possible de créer des passages ou d’en débloquer certains. Là encore, ça ne va chercher très loin, mais ça reste une mécanique supplémentaire qui a le mérite d’ajouter un peu d’intérêt à ces zones qui en ont bien besoin.
Une héroïne sous Tranxene
Si nous pouvons sans problème faire preuve de clémence pour les petits défauts dans les mécaniques d’un jeu développé par de modestes studios indépendants, il devient moins évident d’agir de la sorte lorsque le problème se répercute sur le rythme général du jeu et c’est bien sur ce point que Cris Tales pêche le plus. Pour résumer : tout est mou du genou. Les déplacements sont d’une extrême lenteur avec une Crisbell qui semble nager à contre-courant alors même qu’elle court tout le temps. Le saut dans le temps avec Matias est tout aussi pénible tant la grenouille se traîne le derrière et c'est sans compter sur le fait que pour utiliser le pouvoir, il faut attendre que Matias soit proche de Crisbell : or, la grenouille ne court pas aussi vite que cette dernière et vous la perdez très souvent de vue. Bien entendu, là où des tonnes de jeux feraient rapidement réapparaitre l’amphibien aux côtés de de la jeune fille lorsqu’il se retrouve hors champ, ici il n’en est rien et vous devez à chaque fois attendre, ce qui devient très vite énervant.
Tout le jeu est mou et entrecoupé d'innombrables temps de chargement.
Il en va de même avec à peu près tout dans le jeu. Tout est lent, même les fenêtres de dialogues ou les menus, qui ne sont pas du tout agréables à utiliser. En donjon, cela peut vite devenir un calvaire quand la lenteur de Crisbell se combine avec le nombre bien trop élevé de combats aléatoires. Vous pestiez d’avoir un combat tous les dix mètres dans les vieux Final Fantasy ? Vous mangerez votre manette en voyant que c’est bien pire sur Cris Tales, qui lui aussi se permet de vous faire faire des détours pour récupérer des coffres avec tout ce que cela implique comme combats supplémentaires. Et réjouissez-vous, il y a des temps de chargement partout et surtout avant et après chaque combat ! C’est aussi le cas sur bien d’autres jeux, mais ils font au moins l’effort de cacher ça avec une animation spéciale pour enclencher le combat alors que pour Cris Tales, vous avez toujours le même écran blanc avec Crisbell qui court dans le coin de l’écran, quelle ironie. Pas même un son pour lancer le combat, rien, nada, juste ce fade écran de chargement que vous verrez partout encore et encore.
Cette mollesse ne gênera pas tout le monde, mais soyez prévenus, car elle peut véritablement gâcher votre aventure alors n’hésitez pas à regarder des vidéos et à tester si vous le pouvez avant d'acheter le jeu.
Un crochet raté dans un joli enchainement
Passons maintenant à l’autre point qui fait la fierté des développeurs : les combats. Comme pour tout le reste du jeu, on ressent très vite l’inspiration J-RPG old school avec l’utilisation du système de tour par tour via un ordre de participants défini par la vitesse de chacun d’entre eux. Jusque-là, rien de bien original, mais le jeu montre rapidement son désir d’émancipation en profitant de sa mécanique de manipulation du temps pour basculer quelques règles et ainsi se doter d’un système de combat unique.
Le menu de combat est joli, mais moins ergonomique qu'il n'y parait.
Tout d’abord, votre groupe de héros, composé de trois personnages au maximum, ne se trouve pas à droite ou à gauche de l’écran, mais au centre. Ainsi, les ennemis sont répartis sur les deux côtés de l’écran et c’est à vous de choisir pour chacun de vos personnages quelle ligne d’ennemis vous attaquerez. En jeu, cela se traduit par un menu qui s’ouvre en utilisant les directions de votre stick analogique ou votre croix directionnelle. En appuyant sur la droite ou la gauche, vous ouvrez le menu de combat pour la ligne d’ennemis correspondante ; les directions haut et bas servant pour le premier à gérer les objets et pour le second à fuir. Le menu de combat se présente alors sous forme d’arc de cercle à partir duquel vous pouvez sélectionner le type d’action, puis la compétence parmi celles que votre personnage connaît. Si c’est joliment présenté, en pratique c’est loin d’être aussi agréable avec un menu qui prend beaucoup de place et est composé d’une succession de sous menus pour enfin atteindre la compétence désirée. C’est laborieux, et plutôt que de faire un pas en avant niveau ergonomie par rapport aux jeux dont Cris Tales s’inspire, on a toujours l’impression que « c’était mieux avant », ce qui est un comble pour un jeu sorti plus de deux décennies après.
L'évolution de vos personnages utilise les ficèles classiques du J-RPG.
À côté de ça, on ne peut qu’apprécier le travail accompli par les développeurs pour intégrer le temps comme mécanique de combat. Si votre groupe de personnages se trouve au milieu de l’écran, c’est aussi pour créer la même situation qu’en mode exploration en ville : vous pouvez gérer le passé à gauche et le futur à droite, ce qui entraîne le rajeunissement ou vieillissement des ennemis avec ce que cela implique comme modifications sur leurs statistiques. Pour cela, Crisbell doit utiliser une compétence qui force la ligne d’ennemis visée à changer d’époque et à partir de là, toute une panoplie de mécaniques annexes peuvent se greffer afin de gagner la bataille. Par exemple, un de vos personnages peut planter des graines au sol, qui après plusieurs tours de germination lancent une attaque faisant des dégâts à tous les ennemis de la ligne. Si vous le faites sur la ligne gauche après l’avoir envoyée dans le passé grâce à Crisbell, un retour au présent accélère la croissance de la graine et au lieu d’attendre trois tours, l’attaque est immédiate. De même pour le côté droit, si vous y empoisonnez un ennemi et que vous envoyez cette ligne dans le futur, il se prend tous les dégâts de poison accumulés, ce qui est très pratique et c’est valable pour tout un tas d’autres compétences des autres personnages, qui eux-mêmes ne manquent pas d’originalité. Parmi ceux rejoignant votre groupe, vous avez un androïde dont les compétences font augmenter une jauge de chaleur, qui une fois dépassée crée une explosion lui faisant des dégâts forçant ainsi le joueur à réfléchir avant de choisir l'attaque la plus puissante. Un autre personnage se base entièrement sur l’aléatoire avec des lots de compétences sous forme de roues à tourner pour déterminer celle qui sera lancée.
Quelques scènes animées dynamisent la narration.
Pour finir, chaque personnage possède une compétence spéciale très puissante en duo avec Crisbell, qui peut être lancée si la barre se trouvant en bas à gauche de l’écran est complètement remplie. Personnellement, je ne l’ai quasiment pas utilisée tant le système de gestion du temps se suffit à lui-même.
Toutes ces mécaniques participent à l’attrait des combats, qui ne pêchent malheureusement que par la finition privilégiant beaucoup trop l’aspect visuel au détriment de l’expérience utilisateur. En dehors de cela, l'originalité des combats permet à Cris Tales de trouver sa place en tant que système unique, pertinent et fonctionnant très bien grâce aussi à un équilibre globalement maîtrisé offrant des combats ni trop difficiles ni trop simples.
Un doux parfum de fantaisie colombienne
Visuellement, Cris Tales est une pépite du monde de la 2D. L’univers est très réussi et mélange avec succès la fantaisie, la science-fiction et la culture colombienne à travers l'architecture colorée des villes que l'on parcourt. Si certains donjons peuvent manquer de personnalité, le reste est superbe et bourré de charme. Et les personnages s’en sortent tout aussi bien même si la direction artistique ne plaira pas à tous, comme toujours. C’est là probablement la plus grande réussite du jeu et c’est d’autant plus dommage de constater les défauts quand la base graphique est aussi réussie.
La direction artistique est très réussie et teintée de l'influence colombienne.
Quant aux musiques, elles sont l’œuvre de Tyson Wernli, qui livre ici quelques thèmes très réussis, mais qui risquent d’avoir du mal à rester dans les mémoires. On retrouve sans problème les influences qui ont marqué le compositeur parmi les grands compositeurs de l'âge d'or des J-RPG. Toutefois, en accord avec l'influence visuelle, on aurait aimé découvrir davantage de sonorités colombiennes afin de renforcer l'appartenance du jeu à cette culture extrêmement peu présente dans le domaine vidéo-ludique.
Conclusion
Après ce long article, je peux sembler très critique envers Cris Tales, mais c’est aussi le reflet des attentes qu'il pouvait susciter avant sa sortie. L’univers est attrayant et on aurait aimé que le jeu aille plus loin, que l’on en apprenne encore plus sur son univers et les personnages qui l’habitent. Ce n’est pas une grande déception, car la copie rendue n'est pas honteuse avec une histoire qui certes manque de rythme, mais reste plaisante à suivre et ce en bonne compagnie. Toutefois, Cris Tales trébuche à plusieurs reprises sur des soucis de finition et de choix de conception discutables, qui entachent l’expérience et l’éloignent du groupe de grands J-RPG dont il s’inspire. Restons quand même positifs en gardant en tête que c’est le tout premier jeu d’une poignée de créateurs d'un pays, qui n'est pas réputé pour sa production de jeux vidéo et nul doute que nous les retrouverons dans le futur pour de nouvelles aventures qui, espérons-le, auront appris des errances de Cris Tales.
Le jeu est disponible sur PlayStation 4 et 5, Xbox One et Series X|S, Nintendo Switch et PC pour 39,99€.
Test réalisé par Lianai à partir d’une version Steam fournie par l’éditeur.
Sur le même sujet :
Plateformes | Nintendo Switch, PlayStation 4, Windows, Xbox One, Xbox One X |
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Genres | Jeu de rôle (RPG), fantasy, médiéval |
Sortie |
2020 |
Aucun jolien ne joue à ce jeu, aucun n'y a joué.
Réactions (2)
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