Test de Road 96 – L’important, dit-on, c’est le voyage

Été 1996. Dans plusieurs semaines se dérouleront les élections qui verront s’affronter Tyrak, l’inflexible et tyrannique président, et son adversaire Florres, dont le programme politique est aux antipodes de celui du dirigeant en place. En parallèle, les Brigades Noires continuent à œuvrer dans l’ombre ; terroristes pour les uns, révolutionnaires pour les autres, leur but ultime est de renverser le pouvoir en place.

La tension monte donc dans le pays, et pour cause : il y a dix ans, les Brigades avaient déjà orchestré un attentat à la frontière et la rumeur veut qu’il se prépare quelque chose de la même ampleur. À l’époque, de nombreux morts avaient été déplorés, et autant de familles brisées.

C’est pour fuir la pression du gouvernement ainsi que ce climat malsain que de nombreux adolescents prennent la route et tentent le tout pour le tout pour rejoindre la frontière et enfin fuir ce pays.

Smells like teen spirit

Le joueur incarne un de ces adolescents anonymes en fuite. Déjà présent sur la route depuis quelques jours, on en prend le contrôle alors que le personnage entre dans la région nord du pays, à quelques centaines de kilomètres de son objectif. Pour terminer le voyage, il faut faire attention à sa fatigue et gérer au mieux son rachitique budget. C'est aussi l’occasion de rencontrer les personnages récurrents qui composent l’aventure de Road 96 et de choisir de les aider ou pas.

Chaque aventure est générée aléatoirement : point de départ, énergie, argent en poche, mais surtout quelles rencontres et dans quel ordre. Quand tout se passe relativement bien, l’aventure d’un personnage dure environ une heure. Cela se termine toujours avec une énigmatique cinématique qui présage les évènements qui secoueront le jour des élections. 

Mais ce n’est pas pour autant la fin du jeu. Quand un épisode se termine, la suite consiste à choisir un autre adolescent, quelques jours après la fin de la partie précédente. Avant de débuter, un passage de l’émission phare de Sonya revient succinctement sur ce qu’il s’est passé auparavant et donne les résultats des récents sondages de popularité des candidats. Et c’est ainsi qu’on reprend la progression dans l’histoire globale.

À chaque partie, le temps avance donc vers le jour des élections. Et à chaque fois, le joueur en apprend davantage sur les personnages récurrents, sur le passé du pays et ce vers quoi il se dirige. Les choix de dialogue ou même les actions effectuées peuvent influencer ces destins ou même donner un coup de pouce pour l’issue des élections.

Ce système procédural permet d’aborder les aventures un peu différemment à chaque nouvelle partie. Néanmoins, il arrive parfois que, au cours d’un même voyage, on tombe sur un personnage lié à une précédente rencontre ; cependant, notre avatar fait très souvent comme s’il ne comprenait pas cette relation. À force de jouer, il s’installe également une étrange dissonance : face à certaines situations, faut-il réagir en se basant sur les connaissances du personnage joué (limitée) ou sur celles du joueur (qui connaît les liens entre les différents protagonistes) ?

Et finalement, on se rend vite compte que la fuite des adolescents n’est qu’un prétexte. Après tout, on arrive vite à comprendre comment leur faire quitter le pays. Non, ce n’est pas leur histoire que Road 96 veut nous raconter, mais bien celles de ces sept destins qui rodent sur les routes de Petrias. On en arrive même à un point où le dessein global prime sur celui qui se trouve à l’autre bout de la manette ; un personnage parfaitement anonyme est plus facile à sacrifier pour une plus grande cause.

J’étais sur la route toute la sainte journée

Chaque section se joue à la première personne. Avancer dans le niveau, courir, interagir par le biais de quelques menus qui apparaissent selon la situation : nous avons ici une jouabilité classique de jeu d’aventure.

Il faut parfois explorer un niveau à la recherche de ressources, d’un coin où passer la nuit ou de quelqu’un qui pourrait nous aider à aller plus loin. On peut reprocher une présence un peu trop prononcée de murs invisibles : c’est assez perturbant de ne pas pouvoir traverser une route déserte en plein milieu du désert parce que le jeu a décidé qu’il fallait rester sur son côté droit.

De nombreuses discussions ponctuent la progression. Et un trio récurrent de choix apparaît très souvent : neutre, pro-Florres ou pro-Brigades. Pas de réponse pro-Tyrak, forcément ; sinon, votre personnage ne serait pas en train de chercher à quitter le pays. Cependant, il est parfois bizarre d’aborder un personnage pour la première fois et de soudain se voir proposer ces choix résolument politiques alors qu’on ne sait encore rien de notre interlocuteur. Quelque part, c’est comme si nous incarnions une de ces personnes qui aiment tout ramener aux dernières décisions du gouvernement, jusque dans les commentaires d’une vidéo de pandas qui jouent avec une balle.

Certaines séquences proposent également des mini-jeux : lancer des choses pour ralentir un poursuivant, une partie de pong, zigzaguer dans le trafic, épreuve musicale… Toutefois, ces phases ne sont jamais très difficiles et surtout guère passionnantes. Elles sont surtout là pour faire varier le rythme de l’aventure.

Une vie de roots

Le jeu est très joli, avec de très beaux environnements ; son style rappelle assez celui de Firewatch. Les animations sont tout aussi soignées, ainsi que la mise en scène. Il y a bien quelques couacs dans la génération de certains éléments du décor : des éléments qui reviennent régulièrement ou apparaissent à des endroits improbables (assez rares) ou encore ceux qui apparaissent étrangement à l’horizon quand on est en véhicule (plus fréquent, mais guère gênant).

Le doublage anglais est de très bonne qualité et donne beaucoup de caractère aux personnages. Il apparaît néanmoins une certaine inconstance en ce qui concerne le sexe de notre personnage générique : les autres nous parlent souvent comme si nous incarnions une fille, mais certains dialogues peuvent soudain laisser penser que ce serait plutôt un garçon. C’est très accentué dans les sous-titres en français, mais cette différence transparaît parfois aussi dans les dialogues en anglais.

Enfin, la musique propose une bande-son impressionnante avec des compositions originales de the Toxic Avenger, Cocoon, Robert Parker, Daniel Gadd… Le mélange électronique et pop-rock fonctionne à merveille et offre un joli panel musical. Il est d’ailleurs possible de trouver ici et là des cassettes audios à collectionner, ce qui permet de réécouter ces divers morceaux à loisir.

Si le joueur arrive au jour des élections sans avoir pu débloquer la totalité des histoires des personnages récurrents, il est possible de recommencer l’aventure avec le mode “new game +” : l’aventure reprend du tout début, mais en conservant les différents bonus qui ont été précédemment acquis (meilleure endurance, possibilité de crocheter des serrures…). Cela peut souvent faciliter la vie et même permettre d’accéder à de nouvelles salles.

Hasta siempre

Dans l’ensemble, Road 96 est agréable à suivre : les situations sont variées et ses divers personnages sont riches en couleurs. Si le destin des avatars devient vite secondaire, ce sont ceux de ces protagonistes récurrents qui retiennent l’attention et il est plaisant de petit à petit découvrir l’ensemble du tableau.

Néanmoins, le jeu peine toutefois à donner les clés pour correctement entrer dans son univers. Son propos est très politique et il nous demande très vite de choisir notre camp, mais sans jamais nous donner suffisamment de clés pour prendre notre décision. En quoi le gouvernement de Tyrak est-il problématique ? Que propose réellement l’opposition ? Qu’est-ce que sont réellement les Brigades Noires ? Il y a par exemple une section où une policière se retrouve en conflit avec d’autres citoyens : le jeu demande vers qui faire basculer les choses, mais sans expliquer de quoi il en retourne réellement. Le joueur se retrouve donc plongé là-dedans sans aucun recul et se voit contraint de croire sur parole ce que sous-entendent les choix de dialogues. Et en ces temps où il faut rester vigilant face aux diverses désinformations qui pullulent, c’est une posture difficilement acceptable. Il faut alors forcer un peu sur la suspension d’incrédulité pour accepter ces règles et suivre cette histoire.

Test réalisé sur PC par NeoGrifteR à partir d’une version fournie par le développeur.