Test de Ghostwire: Tokyo - Une mort libératrice

Intriguant depuis son annonce initiale, Ghostwire: Tokyo s'est pratiquement créé tout un imaginaire autour de lui avant même qu'il n'arrive dans nos PC et consoles. Dévoilé en 2019 par Shinji Mikami et Ikumi Nakamura, le jeu d'horreur de Tango Gameworks nous montrait une ville de Tokyo qui succombait à l'horreur, avec des fantômes qui envahissaient des rues désormais désertes. Trois ans après, le jeu est enfin disponible et se révèle finalement assez loin de ce que l'on imaginait. 

GhostwireTokyoHeader.jpg

Balades nocturnes

Ghostwire_Tokyo_20220319123055.png
Akito, héros malgré lui, se retrouve possédé par le fantôme d'un ancien détective, le bien nommé KK. Celui-ci lui confère des pouvoirs surnaturels, à la condition qu'il l'aide dans sa quête contre un mal profond qui semble vouloir s'emparer de Tokyo. Dans le même temps, Akito part à la recherche de sa sœur Mari, hospitalisée, qui a disparue alors que des fantômes et autres yokai prennent possession d'un Tokyo enveloppé d'un inquiétant brouillard. Il faut bien se l'avouer, Ghostwire: Tokyo peine le plus souvent à captiver avec son histoire. La faute à une caractérisation assez limitée de son héros, littéralement un pantin du fantôme KK, tandis que ce dernier a des objectifs assez limités : foncer tout droit et taper sur le fantôme qui lui a ôté la vie. La narration souffre aussi d'une mise en scène faiblarde, ainsi que de personnages secondaires qui sont au mieux oubliables, au pire franchement ratés. Il y a pourtant quelques bonnes idées : la coopération entre Akito et KK est parfois réussie, notamment lorsque leurs objectifs s'alignent, ou les rares fois où l'un s'ouvre à l'autre en racontant son passé et ses espoirs pour l'avenir. Des petits moments où la narration se permet une certaine tendresse, avec des personnages qui s'ouvrent et se dévoilent, au milieu d'une ville de Tokyo aux allures terriblement glauques, notamment lorsque le jeu nous emmène dans ses tréfonds.

Ghostwire_Tokyo_20220319130548.png
Et c'est bien la force du jeu. Si sa narration peine à s'envoler, c'est bien l'ambiance si particulière du Tokyo imaginé par Tango Gameworks qui nous donne envie d'avancer et d'en découvrir toujours plus. On y découvre une ambiance unique et absolument captivante, le jeu nous prend et ne nous relâche qu'une grosse dizaine d'heures plus tard face aux crédits (ou plutôt une vingtaine si vous faites les nombreuses - mais peu passionnantes - quêtes secondaires). On prend un malin plaisir à découvrir la ville et à en révéler tous les aspects, purifiant les nombreux torii disséminés dans Tokyo, permettant d'éloigner le brouillard au sein duquel on ne peut survivre (oui, c'est un peu les tours radio du jeu). Chaque fois que l'on repousse le brouillard, on découvre de nouveaux quartiers aux ambiances bien différentes, des débuts au Shibuya Crossing jusqu'à des quartiers résidentiels à l'allure plus traditionnels, en passant par des salles d'arcade et un parc gigantesque. Plus fascinante qu'horrifique, l'ambiance du jeu utilise les mythes de l'horreur japonaise pour raconter une ville à l'allure fantastique, où les néons se mêlent à des effets plus mystiques autour de l'apparition des fantômes (lumières qui clignotent, nuage qui enveloppe le quartier, vent soudain...) et ça fonctionne terriblement bien. Une ambiance renforcée par l'utilisation de la manette DualSense sur PlayStation 5, en tirant partie à la fois des retours haptiques et du haut parleur intégré pour améliorer l'immersion, donnant le sentiment d'y être et que KK nous susurre réellement à l'oreille. 

Ghostwire_Tokyo_20220321155344.png
La ville est paradoxalement vivante alors que tout le monde a disparu, grâce à la présence des ennemis mais surtout aux nombreux fantômes d'habitants défunts qui nous racontent leur histoire, leurs derniers instants, le moment où tout a basculé. Si ce n'est pas toujours très bien écrit, cela donne une certaine consistance à une ville qui devient un personnage à part entière, véritable force d'un jeu qui peine pourtant sur plein d'autres choses. À cela, on ajoute la verticalité de la ville et la facilité de se mouvoir, de sauter de toits en toits ou d'aller dans les galeries souterraines du métro et cela offre à ce Tokyo quelque chose de captivant, de quasi-mystique, avec une ambiance oppressante qui donne pourtant envie d'avancer toujours plus loin. Ce soin apporté à la ville jure avec la narration relativement peu soignée, mais cela rend le jeu tout à fait appréciable.

Intense mais faiblard

Ghostwire_Tokyo_20220321195043.png
S'il y a bien une chose que Ghostwire: Tokyo réussi dans son gameplay, c'est son intensité. L'utilisation des différents pouvoirs (vent, eau, feu) que l'on jette au visage (ou au corps, quand ils n'ont pas de tête) des fantômes à la manière de boules d'énergie est tout à fait grisante. Le passage d'un élément à l'autre se fait simplement, soit d'un bouton pour passer au suivant soit avec une roue de sélection, tandis que les pouvoirs se rechargent en tuant des ennemis ou en détruisant des éléments de décors particuliers. Ainsi, le jeu incite toujours à aller vers l'attaque en restant très mobile, car les ennemis sont eux aussi plutôt vifs et peuvent faire très mal, à tel point que dans le mode de difficulté normal le jeu peut parfois être assez ardu, obligeant à veiller à ne jamais se laisser déborder. La résistance du héros n'étant pas bien élevée (et l'utilisation de soins limitée en temps), il vaut mieux éviter la confrontation au corps à corps. D'autant plus que certains ennemis peuvent dissocier Akito de KK, dans des séquences où le héros perd ainsi tous ses pouvoirs, ayant alors comme seule arme un arc pas bien terrible, jusqu'à ce qu'on parvienne à récupérer KK à l'aide d'un QTE où l'on est complètement sans défense pendant quelques instants. 

Ghostwire_Tokyo_20220327181200.png
Il faut toutefois bien avouer que ces séquences sont moins bonnes. Si elles permettent de mettre du piment dans certains combats où l'on évite à tout prix de se faire choper et de subir cette dissociation qui nous met pratiquement sans défense face aux fantômes, elles sont aussi parfois imposées par la narration. Et ces séquences imposées poussent le gameplay vers un mélange d'infiltration et de meurtres discrets à l'arc, des moments plutôt ratés et peu intéressants à jouer, la faute à une IA assez basique et à un level design qui s'y adapte assez mal. À l'exception d'un combat de boss qui tourne entièrement autour de cela, dont la mise en scène est plutôt sympathique, mais qui devient assez trivial dès lors que l'on a trouvé l'astuce pour s'en débarrasser sans aucun risque. Quant au système de progression, le jeu tourne autour de passages de niveaux qui permettent de débloquer des compétences. Rien de très original de ce côté, avec des compétences qui consistent soit à renforcer les pouvoirs d'attaque, soit à renforcer le héros, notamment sa capacité à voler le "cœur" des fantômes le plus vite possible, sorte de finisher que l'on peut exécuter sur les fantômes pour les faire disparaître quand on parvient à les affaiblir.

Ghostwire_Tokyo_20220328110336.png
Néanmoins, c'est dans sa manière de gagner des niveaux que le jeu est plutôt bon, puisque s'il est assez faiblement rémunérateur lors des combats, via l'exploration on voit nos compteurs d'expérience exploser. L'exploration permet en effet de tomber nez à nez avec des fantômes d'habitants qui sont coincés entre vie et au-delà, que l'on peut récupérer et stocker via un artefact avant de pouvoir les "délivrer" en les déchargeant au moyen de cabines téléphoniques que l'on trouve à chaque coin de rue. Si la manière de procéder est plutôt cocasse, elle incite cependant fortement à explorer, puisque chaque nouvelle zone que l'on découvre, chaque toit sur lequel on grimpe, chaque ruelle où on se balade est susceptible de nous rémunérer en expérience. Quitte à devenir au bout d'un moment trop puissant pour la quête principale si l'on s'est laissé prendre au jeu et qu'on a fini par explorer toute la carte au lieu d'avancer dans l'histoire. Ce n'est toutefois pas un mal : les combats sont si répétitifs à la longue, la faute à un nombre de pouvoirs restreint qui n'évolue que très peu, que l'on finit par être bien content d'être suffisamment puissant pour les expédier au plus vite dans le dernier tiers du jeu.

La beauté a ses limites

Ghostwire_Tokyo_20220321160949.png
La direction artistique sublime cette ville que l'on a mille raisons d'explorer. Si ce n'est pas pour gagner de l'expérience ou accomplir une quête, c'est simplement pour voir quelle idée visuelle se cachera derrière la prochaine ruelle. On a déjà parlé des néons, mais ce serait réducteur de se limiter à cela. Un gigantesque centre commercial, des temples, des rues où la vie semble s'être arrêtée avec des vêtements jetés au sol alors que les corps ont soudainement disparu, une poussette à l'abandon ou un chien errant à qui l'on donne des croquettes récupérées plus tôt, tant de petites choses qui subliment une ville dont les secrets sont nombreux. C'est visuellement impressionnant, pourtant le jeu n'a rien d'une "claque graphique" comme on le dit souvent, mais il y a une vraie cohérence dans ce qui est montré, même si ce Tokyo ressemble parfois à une sorte de carte postale d'une ville que l'on fantasme. Mon seul regret sur l'aspect artistique est lié à la musique, assez absente et secondaire, alors que le jeu offre de vrais moments de contemplation où l'on aurait aimé une ambiance musicale plus présente. Toutefois, le jeu compense par un sound design réussi, avec certains bruits franchement inquiétants qui renforcent le côté mystique de la ville.

Ghostwire_Tokyo_20220327144255.png
Et heureusement que la direction artistique du jeu fait le boulot, car c'est sur son aspect technique que Ghostwire: Tokyo échoue complètement. Testé sur PlayStation 5, le jeu souffre de chutes de framerate considérables peu importe le mode de performance choisi. Cela rend notamment l'exploration verticale moins intéressante, car c'est dans ces moments, où l'on a la ville sous les yeux, que le jeu souffre le plus. Pourtant, les développeurs de Tango Gameworks ont mis les petits plats dans les grands en proposant rien de moins que six modes graphiques : un mode fidélité (30fps) et un mode performance (60fps) plutôt classiques, et ensuite quatre modes "haute performance" orientés soit vers les graphismes, soit le framerate, avec ou sans synchronisation verticale (vsync) et en offrant à chaque fois des framerate débloqués. Le problème est que ce framerate débloqué provoque dans les modes sans vsync un tearing important, tandis qu'avec vsync, le jeu souffre d'une latence très perceptible entre le moment où l'on appuie sur un bouton et le moment où l'action a lieu à l'écran. Si l'on conseille plutôt le mode performance tant les modes "haute performance" sont difficilement jouables, celui-ci ne maintient pas les 60 fps et souffre de nombreuses chutes. Le jeu pose alors la question de la prise en charge du VRR par la PlayStation 5 qui aurait pu régler les soucis de tearing : cela a enfin été annoncé par Sony fin mars pour une future mise à jour, mais on aimerait que ce soit déjà disponible et pris en charge par Ghostwire afin que ces modes au framerate débloqué deviennent enfin pertinents. 

Conclusion

Ghostwire: Tokyo séduit autant qu'il frustre. Fort d'une ville à l'ambiance soignée, donnant sans cesse l'envie d'explorer et offrant même une balade marquante au sein d'un Tokyo au ton mystique, le jeu souffre aussi d'une narration en deçà des attentes, jamais vraiment intéressant ni pertinent, avec des personnages que l'on oublie bien vite. Pourtant, pendant la dizaine d'heures que dure la quête principale, on veut sans cesse y revenir, pour en voir toujours plus, et c'est peut-être là que le jeu réussit son coup. À une époque où de très nombreux jeux d'action choisissent le monde ouvert par défaut, car il faut absolument une grande map pour ne pas avoir l'air trop fauché face aux concurrents tout en satisfaisant les désirs de liberté des joueurs, Ghostwire: Tokyo réussit le tour de force de ne pas faire de son monde ouvert un simple gimmick, mais bien un élément central qui justifie à lui seul l'envie d'y jouer et d'y retourner encore et encore, tant sa ville regorge de secrets et de belles idées. Imparfait, trop brouillon sur bien des points, le jeu de Tango Gameworks parvient au moins à offrir un monde unique.

Test réalisé par Hachim0n sur PlayStation 5 à partir d'une version fournie par l'éditeur.

Réactions (1)

Afficher sur le forum