Test de Gotham Knights - Justiciers paumés

Gotham Knights suscitait autant d'attentes que d'inquiétudes. Avec un lourd héritage à porter, celui de la série des Batman Arkham de Rocksteady, et en même temps la promesse d'un plaisir de retrouver un univers bien aimé, le titre développé par WB Games Montréal (le studio derrière Batman Arkham Origins) donne quand même envie de s'y essayer. Et maintenant que l'on en a fait le tour, il est temps de répondre à cette épineuse question : Gotham Knights est-il à la hauteur de ses illustres aînés ?

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L'écriture salvatrice ?

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La trilogie des Batman Arkham s'est, à l'époque, tout particulièrement illustrée pour son écriture. Sa vision de l'univers de Batman a fait l'unanimité, avec une belle capacité à réunir de nombreux vilains parmi les plus marquants de Gotham sans ressembler à une grande foire. Au contraire, la cohérence de l'univers de Rocksteady lui a permis de mener une trilogie solide jusqu'à une excellente conclusion. Alors évidemment, ce n'est pas tout à fait évident pour les équipes de WB Games Montréal de passer après, avec des attentes importantes sur le point narratif. Mais le défi est plutôt bien relevé, puisque la principale qualité de Gotham Knights est son récit. L'écriture creuse notamment quelques bonnes idées du côté de la psyché des personnages, quatre proches de Batman qui doivent prendre sa suite tout en gérant leur propre deuil après la mort de celui qui les a accompagnés pendant des années. À cela s'ajoute une histoire assez solide, qui convoque notamment la Ligue des Ombres et la Cour des Hiboux, apportant une dose de mystique et même parfois d'horreur à une narration qui s'inspire beaucoup des comics de Scott Snyder. La Cour des Hiboux est probablement l'une des meilleures idées parues dans l'univers de Batman ces quinze dernières années côté comics, alors c'est un vrai plaisir de les voir débarquer également en jeux vidéo. D'autant plus que le jeu traite la question avec une certaine réussite en l'approchant d'une manière différente de Snyder, mais en tirant partie de tout le mysticisme et des origines historiques de ce clan dont l'existence n'est, pour la plupart des protagonistes de l'univers DC, qu'une rumeur.

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Aux côtés de l'histoire principale, on trouve aussi des missions secondaires autour de quelques malfrats de Gotham, des vilains apparus dans la trilogie d'Arkham qui permettent d'apporter un peu de nostalgie, le jeu faisant explicitement référence aux évènements des trois jeux, mais aussi d'apporter une véritable fin à ces personnages. Il y a notamment d'excellentes choses faites autour des personnages de Mister Freeze et de Gueule d'argile, qui apportent un peu plus de profondeur à ces personnages sans remettre en cause ce qu'il s'est passé dans les précédents jeux. Un bémol cependant, l'intrigue secondaire centrée sur Harley Quinn est un ratage complet, qui renvoie le personnage à ce qu'elle était dans les jeux Batman Arkham de Rocksteady sans s'intéresser aux évolutions dont a bénéficié le personnage ces dernières années côté comics, qui auraient pu apporter une facette intéressante à un personnage qui reste unidimensionnel et pratiquement hors de propos en comparaison des autres vilains qui apparaissent dans Gotham Knights. Un jeu où les thématiques de la rédemption et du renouveau sont très présentes. Des thématiques notamment exprimées au travers des personnages, qui se valent dans l'ensemble, à l'exception peut-être de Jason Todd/Red Hood qui est encore et toujours raconté au travers du traumatisme causé par le Joker, ce qui a le goût du réchauffé pour les amateurs de comics qui en ont déjà marre que le personnage n'évolue pas. C'est d'autant plus dommage que le jeu offre quelques missions qui sont de vraies perles d'ambiance et de progression, de bonnes idées jetées ici et là qui rappellent toute la richesse visuelle de l'univers DC, mais qui constituent, également, de belles opportunités pour faire évoluer ses personnages principaux. Si le psyché de Batgirl, de Nightwing et Robin est exploré avec justesse, Red Hood lui reste très en deçà. 

Trahi(s) par le système

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Plutôt sympathiques au premier abord grâce à des animations de qualité qui rappellent les meilleures heures des Batman Arkham, les combats prennent malheureusement une tournure compliquée, qui ternit les bonnes impressions initiales autour de ce Gotham Knights. En effet, malgré des ennemis qui se renouvellent assez vite et l'obligation de diversifier son approche selon le type d'adversaires (notamment dans le dernier tiers du jeu), le titre souffre d'un choix de game design douteux : la disparition des combos et coups spéciaux. Exit en effet la variété de coups disponibles pour se contenter d'un jeu à deux touches, soit carré (sur PS5) en boucle pour répéter le même combo à l'infini, soit y ajouter triangle à un moment donné pour utiliser l'arme à distance (batarang pour Batgirl ou flingues pour Red Hood par exemple). Répétitifs à l'excès, ce choix cache surtout la volonté d'offrir un jeu immédiatement accessible, mais se perd sur la longueur en mettant de côté tout espoir d'y trouver la moindre profondeur de gameplay. Cela permet toutefois de faciliter la coopération : on entre dans la partie d'une personne assez rapidement et à n'importe quel moment pour lui donner un coup de main, sans considération pour des combos qui auraient déjà été débloqués ou non. D'un bout à l'autre du jeu, et à l'exception de quelques compétences passives à débloquer qui augmentent la puissance ou la cadence des coups, on joue tous de la même manière et ce afin de pouvoir passer d'une partie coopérative à l'autre sans que la progression d'un joueur ne dénote avec celle de son hôte. Si cela peut expliquer leur choix, il s'apparente malgré tout au pansement sur une jambe de bois, tant la coopération semble ajoutée aux forceps à un jeu qui ne s'y prêtait pas initialement. On le remarque notamment par l'absence de synergies entre les personnages avec peu, voire pas de compétences de support par exemple, et pas plus de combos à effectuer à deux. Pire encore, la mise en scène et la narration des missions nous place systématiquement sous le point de vue d'un unique personnage, celui choisi en début de mission, sans jamais faire intervenir le trois autres larrons. Y compris dans le grand final qui s'y prête pourtant bien, en théorie.

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L'autre raté, c'est l'infiltration, au mieux dispensable au pire franchement pénible, la faute à un certain nombre d'options des Arkham qui disparaissent (comme les éliminations suspendues, sauf pour un personnage, en option à débloquer) et surtout un level design qui ne s'y prête pas avec des espaces clos et très linéaires, loin des grandes arènes de ses aînés. Il ne faut pas plus compter sur la progression des personnages par niveau qui est extrêmement artificielle, avec un certain nombre de points de compétences à distribuer dans plusieurs arbres distincts qui offrent essentiellement des bonus passifs ou une poignée d'options utiles à l'infiltration qui auraient dû être présentes d'office. À cela s'ajoute une multitude d'armures, d'armes principales et secondaires à looter, crafter ou améliorer avec des mods, dans la plus pure tradition du jeu-service avec ses raretés exprimées par un code couleur. Pas vraiment pertinent, la faute à l'absence de synergies là aussi entre les différents équipements qui pourraient offrir un bonus d'ensemble. On se contente donc, entre chaque mission, de sélectionner l'arme dropée la plus puissante, l'armure avec la plus grande résistance et de faire le ménage parmi le reste des trucs qui polluent l'inventaire. Et ce quatre fois de suite, puisqu'avec un partage des récompenses entre tous les personnages, il est inutile, en dehors de l'aspect esthétique, de passer de l'un à l'autre pour le faire progresser. Surtout qu'en termes de gameplay, la différence n'est pas une évidence. Si le jeu nous présente initialement des spécialisations pour chacun d'entre eux, comme l'infiltration pour Robin, la force de Nightwing en combat, la polyvalence de Batgirl ou la capacité de Red Hood à encaisser plus que les autres, on s'aperçoit vite que tout le jeu est faisable sans recourir à leurs spécialités. Aucun boss, par exemple, ne pousse à exploiter ces particularités, ce qui est bien dommage dans un jeu qui peut s'avérer plutôt difficile sur certains affrontements et qui aurait bien gagné à pousser le joueur à mieux préparer les missions selon les capacités de chaque personnage.

On avait envie de l'aimer

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Et pourtant, derrière un système paresseux, la Gotham de WB Games Montréal a de jolis arguments. Très agréable visuellement avec une direction artistique solide, on a une terrible envie de s'y balader et d'en voir encore plus que ce que le jeu nous offre (l'histoire se terminant en une quinzaine d'heures tout au plus). Mais malheureusement, la ville est une plaie à traverser : le grappin des personnages n'offre que peu de souplesse, impossible de planer avec certains personnages (en plus d'être une compétence à débloquer) et la moto mise à disposition semble rouler à 30km/h. Ainsi, dès qu'on débloque les points de voyage rapide, on abandonne vite l'idée d'explorer la ville, surtout que le jeu force les allers-retours avec le célèbre Beffroi de Batgirl, sorte de hub où se réunissent les personnages entre deux nuits de patrouilles. Pire encore, la ville est remplie d'activités peu passionnantes qui constituent pourtant l'essentiel de la progression : le jeu consiste en effet souvent à déjouer des crimes générés aléatoirement dans les rues selon trois concepts répétés à l'infini que sont la prise d'otage, le trafic et l'agression. Occasionnellement, on tombe sur un braquage de banque. L'objectif, outre faire le ménage dans les rues de Gotham, est d'interroger des malfrats et de gagner des infos afin de... débloquer les prochaines missions principales ou secondaires qui font soit avancer l'histoire, soit nous poussent à retourner dehors pour interroger plus de monde. Un système de progression absolument pénible et rébarbatif, qui, heureusement, se sauve par le plaisir occasionnel de tomber sur un personnage secondaire bien connu de l'univers de Batman.

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De manière générale, Gotham Knights est un ensemble de bonnes idées mises bout à bout sans le moindre liant. Comme sa Gotham agréable à voir, mais pénible à parcourir, le jeu a plein de bonnes idées narratives, de mise en scène, d'écriture ou même certaines séquences de gameplay, mais tout ce qui se passe entre chacune de ces bonnes idées est à chaque fois un long tunnel de médiocrité. Entre le personnage qui répond parfois mal à l'environnement (capable de se bloquer dans un conduit d'aération comme il y en avait des centaines dans les Arkham sans souci !), le grappin pénible et le framerate branlant, on a souvent l'impression que le jeu joue contre nous. Loin de moi l'idée de m'acharner sur la limitation à 30 fps dans sa version console, une première pour un titre de cette envergure sur cette génération certes, mais encore faudrait-il que les 30fps soient stables... 

Conclusion

Quand on aime DC Comics, on a envie d'aimer Gotham Knights. Il y a un amour indéniable de ses créateurs pour l'univers de la Batfamily, comme en atteste une écriture souvent réussie, quelques bons moments narratifs et l'utilisation à bon escient des idées de Scott Snyder il y a quelques années sur la Cour des Hiboux. Cependant, la narration ne peut entièrement se substituer à tous les manquements d'un jeu qui peine à offrir des choses pertinentes. La faute à des combats très allégés par rapport aux jeux Arkham dont il est l'héritier, à une progression type "jeu service" qui rappelle le douloureux souvenir d'Avengers et à une ville de Gotham qui, malgré une direction visuelle très réussie, manque de vie et d'intérêt en matière d'exploration. Alors on va pas mentir, la quinzaine d'heures passée avec Batgirl, Red Hood, Nightwing et Robin sur tout le contenu narratif n'était pas désagréable, mais il n'y a pas grand chose qui donne envie d'y revenir malgré les ambitions d'en faire un jeu service.

Test réalisé par Hachim0n à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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