Test de Jett : The Far Shore + Given Time – Terres impitoyables

Le studio Superbrothers s’est fait connaître en 2012 avec Sword & Sworcery, une aventure intrigante dans un monde fantastique par le biais d’un magnifique pixel art. Il a fallu attendre presque dix ans pour voir venir leur prochain jeu, Jett : The Far Shore. Et le changement est alors total : nous avons cette fois droit à de la science-fiction tout en 3D.

L’aventure commence sur un monde mourant d’où se prépare à partir un immense vaisseau spatial. Sa mission est de coloniser une planète lointaine, source de l’onde cantique, comme le décrivaient les prophéties de Tsosi. Nous incarnons Mei, anachorète et membre de l’équipe d’éclaireurs qui doit préparer le terrain pour les futurs colons.

Après s’être familiarisé avec notre principal outil de travail, un engin nommé le Jett, nous partons dans voyage long d’un millénaire. Et c’est alors à notre équipe de fouler pour la première fois ces nouvelles terres.

Et c’est cette colonisation qui rythme notre progression : explorer ces territoires inconnus, scanner la faune et la flore, remplir des objectifs variés. Se faisant, c’est un petit monde ouvert qui s’ouvre progressivement à nous avec ses différents biomes. Et la narration qui rythme cette progression dévoile peu à peu ses mystères, tout en évoquant en filigrane des sujets comme la religion ou l’écologie.

L'amusement lointain

Le jeu se découpe en deux gameplays distincts.

Il y a d’abord les phases à la première personne où nous dirigeons directement Mei. Ces moments sont l’occasion de se dégourdir les jambes et de discuter avec les autres éclaireurs. Ces passages sont toutefois peu fréquents ; et vu la lourdeur de notre héroïne dans ses déplacements, ce n’est finalement pas plus mal.

La plupart du temps, vous êtes surtout aux commandes du Jett. La machine est censée être un avion, mais qui peine à décoller de plus de quelques mètres du sol. Un boost est disponible et permet de bondir ou de se projeter un peu plus loin.

Durant le premier chapitre, le Jett semble facile à manœuvrer : on bouge avec aise dans ces grandes étendues et on saute par dessus les obstacles comme un cabri mécanique. Il faut bien gérer la température du moteur, mais ça n’a pas l’air si sorcier aux premiers abords.

Cependant, une fois à destination, ce n’est plus le même délire. Les terres sont escarpées, sillonnées de crevasses et parsemées d’arbres et autres structures qui se feront toutes un plaisir de se mettre en travers de votre chemin. Et l’engin a une énervante inertie, un moteur qui peut s’éteindre à la moindre secousse, un boost parfois capricieux et le tout desservi par une caméra à qui il arrive de faire un peu ce qu’elle veut. Et vous vous retrouvez alors à galérer à passer une crête, à pester contre cette végétation qui a stoppé net votre course ou à rager contre cette faune qui adore vous poursuivre inlassablement sur plusieurs kilomètres.

Le véhicule est équipé de quelques options : lampe torche, grappin, scanner. Il est possible de récupérer des ressources pour la réparation et de collecter de la vapeur afin de maintenir le vaisseau à haute vitesse plus longtemps (entre autres). Ce réservoir s’améliore d’ailleurs à chaque fois que vous activez un puits de spore.

D’ailleurs, ces vapeurs sont présentes un peu partout à la surface. Un peu trop, même : leurs dispositions ressemblent à des tracés d’anneaux dans Sonic, une ligne parfaitement définie par les développeurs qui hurlent de prendre ce chemin précis. La suspension d’incrédulité en prend un petit coup au passage.

Au final, c’est la maniabilité désastreuse qui s’avère être la majeure difficulté du titre. Même si les ennemis peuvent s’avérer particulièrement pénibles, il faut vraiment les laisser s’acharner pour venir à bout du bouclier et de l’incroyable solidité du Jett.

Les pipelettes de l’espace

Le style de jeu est particulier, notamment sur le design des personnages, mais il a son charme. Les décors sont plutôt jolis et offrent parfois de beaux panoramas.

Tous les dialogues sont parlés dans une langue fictive inventée par la compositrice Priscilla Snow. Les musiques sont également très belles, notamment certains chants.

Et le jeu est très bavard. Au début, c’est votre copilote Isao qui n’arrête pas. Mei étant l’archétype du personnage silencieux, il faut bien qu’il parle pour eux deux. Et il en a, des choses à dire : exposer le monde qui nous entoure, expliquer comment piloter, indiquer ce qu’il faut faire ensuite… Et quand on pense qu’il se calme un peu, ce sont les autres éclaireurs qui s’y mettent.

Le problème, c’est qu’ils racontent tout ça pendant qu’on est concentré à manœuvrer ce bloc de savon qu’est le Jett. Oh, ce sont des moments familiers aux joueurs de GTA ; sauf que là, le fait que la langue soit inventée n’aide pas à suivre les instructions données. Mais de toute façon, on finit par se rendre compte que tout ce qu’ils racontent n’est pas toujours intéressant et on se surprend parfois à les ignorer pendant qu’on trace à travers un canyon.

Heureusement, il existe le journal des communications pour relire toutes les lignes de dialogues ; mais le consulter via le menu casse le rythme du jeu. À noter que, dans certains moments critiques, le jeu peut se mettre en pause et ainsi vous expliquer tranquillement ce qu’il faut faire.

Grâce au temps et à la nouvelle campagne

Au-delà de sa maniabilité, une raison de bouder Jett : The Far Shore pourrait être la fin de son aventure. Notre petite équipe passe finalement son temps à essayer de survivre à leur nouvel environnement et ils ne prennent pas le temps d’explorer les mystères de l’onde cantique. Au terme des 9 heures de jeu (12 annoncées par le titre, probablement en cherchant à augmenter au maximum les capacités du Jett), on arrive alors à un final soudain et peu satisfaisant, voire plutôt frustrant.

Mais ce point-là est maintenant rattrapé par Given Time. Cette nouvelle campagne gratuite prend place trois ans après la fin de The Far Shore. On se remet dans la peau de Mei et aux commandes d’un Jett pour terminer le travail et enfin accomplir ce qu’on nous avait annoncé.

Il est possible de commencer Given Time à tout moment, mais il est vivement conseillé de terminer The Far Shore avant : non seulement ça rend la narration plus compréhensible, mais ça permet de se familiariser avec certains mécanismes qui sont souvent mis à contribution ici.

Cette fois, on n’a plus de blabla intempestifs (à part le début et quelques visions intermédiaires) et toute la carte est accessible dès le début. Et un objectif simple et clair… Et très jeu-vidéo aussi : aller faire éclore des œufs dispersés un peu partout. Pour chacun, il faut résoudre une épreuve spécifique ; ça peut par exemple être une course de vitesse ou devoir faire preuve d’adresse, et une connaissance de la faune locale ainsi que des symbioses qui équilibrent cet environnement est souvent nécessaire. Au final, ce doit être une dizaine de types de puzzles qui se répètent sur une trentaine d'œufs.

Malheureusement, si le jeu corrige bien sa narration, le comportement du Jett est indubitablement le même calvaire. Et c’est même encore pire : si les phases délicates étaient optionnelles dans The Far Shore (débloquer tous les repères géographiques, activer tous les puits de spore), il est ici obligatoire de s’engager dans ce type de manœuvre afin de progresser. Atteindre le sommet d’un pylône rocheux, activer tous les bulbes lumineux en peu de temps et sous le tir ennemi, récupérer et ramener une perle avec des serpents choqueurs aux fesses… Autant d'occasions pour vous de copieusement insulter les développeurs et d’apprendre à votre manette comment voler.

L’opération vous prendra dans les 8 heures supplémentaires, plus encore si vous voulez activer les nouvelles spores ou si vous partez en chasse des 27 succès exclusifs à Steam.

JETT: The Far Shore + Given Time est un beau gâchis. Superbrothers nous propose ici un univers intriguant et un style original. Avec son dernier ajout, le studio a su joliment corriger la narration et apporter du nouveau contenu intéressant. Malheureusement, tout ça est plombé par la maniabilité de l’engin, parfois à la limite du supplice.

Test réalisé sur PC par NeoGrifteR à partir d’une version fournie par l’éditeur.