Test de Rise of the Ronin - Un combat au péril des libertés

Team Ninja, qui a acquis une belle image dans le microcosme des jeux réputés techniques et plutôt difficiles depuis Ninja Gaiden, a surtout fait parler de lui ces quelques dernières années pour les deux Nioh, ainsi que plus récemment Wo Long: Fallen Dynasty. Toujours obnubilé par une structure relativement linéaire, le studio a toutefois pris une orientation différente avec Rise of the Ronin, leur nouveau titre, en proposant un monde ouvert qui fleure bon l'inspiration occidentale. Au programme : la fin du shogunat, dans la peau d'un ronin qui navigue en eaux troubles.

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Des libertés avec l'histoire

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Avec Rise of the Ronin, Team Ninja propose une véritable refonte de son modèle. Si l'on y garde des traces du gameplay de Nioh 1 et 2, le titre joue sur un autre ton. Et c'était nécessaire par la volonté du studio de raconter la période du Bakumatsu, à la fin du shogunat Tokugawa au 19è siècle, sous un angle amplement valorisé par le choix du monde ouvert. À cette période où des factions anti-shogunat reprochent au pouvoir ses accointances avec les occidentaux, au risque d'attenter à l'identité japonaise et de subir l'influence d'autres pays, on incarne un ou une ronin, créé selon nos désirs (grâce au créateur de personnages hérité de Nioh 2 et Wo Long), dont les origines sont absolument tragiques. Dans un court chapitre introductif, on y découvre en effet un personnage visiblement orphelin, entraîné à la dure par une vieille femme pour devenir un assassin, aux côtés de sa lame jumelle, c'est-à-dire une autre personne qui partage sa vie et le même entraînement depuis toujours. Rapidement, les choses se gâtent et nous voilà plongés dans un monde ouvert autour de Yokohama, ville centrale du commerce et de la diplomatie grâce à son port, point d'entrée de nombreux occidentaux, notamment des Britanniques, Américains et des Français. Ceux-là jouent de leur influence sur les lois et la vie locale, à tel point que les rues que l'on explore regorgent de bâtiments à l'architecture occidentale, même si la campagne environnante et les quelques villages traversés offrent une ambiance plus locale. Mais le titre ne s'arrête pas là, puisque plus tard dans le jeu l'histoire nous emmène du côté d'Edo, l'ancienne Tokyo, et de Kyoto. Pour raconter son histoire, qui est essentiellement celle d'une lutte de pouvoirs et d'idéaux entre un shogunat caricaturé comme pro-étranger et des factions menées par les étudiants des idées de Yoshid Shoina, présenté comme artisan de la pensée anti-shogunat. On y retrouve aussi les clans de Satsuma et de Choshu, avec leurs alliances et guerres intestines autour de conceptions différentes pour l'avenir du Japon. Les compagnons de routes seront ainsi Katsura Kogoro, Ryoma Sakamoto, le commodore Matthew Perry ou plus tard encore les membres du Shinsengumi (Toshizo Hijikata, Isami Kondo, Soji Okita...) et le shogun Yoshinobu Tokugawa alors que le personnage principal est tiraillé par les deux faces d'une même pièce.

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Et c'est probablement là que Rise of the Ronin brille tout particulièrement. Si sa mise en scène est un peu bateau, faite de champ contre-champ intempestif malgré quelques cinématiques un peu plus affutées dans une poignée de quêtes principales, le jeu offre une plongée terriblement agréable dans cette période du Japon. Car il y a une liberté de choix assez géniale, bien que le jeu nous pousse parfois franchement vers certaines factions. À tel point qu'il est possible à un certain point de se retrouver à trahir une faction suivie pendant de nombreuses heures, déclenchant des combats de boss contre des figures importantes auxquelles nous étions autrefois alliés. Au départ, les conséquences sur les choix ne sont pas évidentes, à tel point que le premier chapitre donne le sentiment de manger à tous les râteliers. Le ronin se met ainsi à prêter sa lame à un Américain, à assassiner un fonctionnaire du shogunat et à piéger les anti-shogunat dans la même journée. Mais ce n'est qu'une introduction, un moyen de montrer les motivations réelles et ce qui se casse derrière chaque faction. Une fois passé ce stade, les choses se mettent sérieusement en place, les choix décisifs pointent le bout de leur nez et l'implication émotionnelle est totale. C'est d'autant plus réussi que le jeu y parvient avec un personnage principal absent, qui n'a pas de voix et qui ne montre pas beaucoup d'émotions. La narration laisse plutôt vivre les personnages rencontrés au fil de l'aventure, à commencer par Ryoma Sakamoto qui nous accompagne tout au long du jeu et dont l'évolution, tant idéologique que pour son caractère, est très réussie. Certes, on aurait aimé avoir un héros ou une héroïne moins vide, mais cela permet au moins d'avoir une belle liberté sur les options de dialogue et sur les choix réalisés par rapport aux factions, notre personnage arrivant au milieu de cette histoire sans idée préconçue en faveur ou contre le shogunat.

L'héritage de Nioh, mais ouvert à tous

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Les comparaisons à d'autres titres sont nombreuses. Puisant son inspiration dans les modèles du monde ouvert de ces dernières années, entre les mécaniques et la structure des Assassin's Creed (ancienne formule, plutôt, ou celle de Mirage) ainsi que les inspirations visuelles de Ghost of Tsushima, Rise of the Ronin doit beaucoup à ceux qui sont passés par là avant lui. On y découvre un monde aux environnements variés, de la côte japonaise aux minuscules villages en périphérie de grandes villes, avec des temples en flan de montagne et des sanctuaires qui semblent abandonnés. Dévoilant les cartes au fur à mesure du déblocage de bannières à faire flamber, le jeu offre en effet plusieurs cartes distinctes qui symbolisent des moments clés de l'avancée de l'histoire, qui se déroule sur plusieurs années et qui nous emmène toujours un peu plus loin dans un shogunat en perdition. Sur la forme, le jeu se décompose en quatre types de mission : la quête principale où se jouent les choix les plus importants ; les missions d'amitié avec les personnages rencontrés afin de gagner leur confiance et de débloquer objets, points de compétences et nouvelles missions spécifiques à leurs factions ; les quêtes secondaires qui se dévoilent avec les cartes ; et enfin les quêtes aléatoires, très courtes, qui surviennent en faisant la rencontre de personnages en vadrouillant dans les plaines ou dans les villes. Dans l'ensemble, le jeu offre une belle diversité d'activités à accomplir, avec quelques missions à l'écriture franchement agréable, des collectibles à récupérer ici et là (des coffres et des chats, notamment) et quelques défis à accomplir. Pour revenir sur le système d'amitié, l'intérêt est double : débloquer des missions spécifiques aux factions afin de renforcer la réputation du ronin auprès du shogunat ou auprès des anti-shogunat, mais aussi acquérir de nouveaux styles de combat.

C'est sur ce point là que la filiation avec Nioh saute aux yeux. On retrouve d'abord la barre de stagger à faire tomber à zéro pour s'offrir une opportunité de coup critique, mais aussi un rythme de combat similaire avec une parade à maîtriser. Mais surtout, c'est la profusion des types d'armes (katana, sabre, double sabre, fusil odachi, lance, pistolet, arc, épée longue...) et de styles de combat qui rappellent furieusement Nioh 2. Les styles de combat, jusqu'à trois par arme à équiper simultanément, permettent non seulement des chorégraphies différentes et des allonges qui diffèrent, mais permettent aussi de jouer sur les forces et faiblesses des ennemis. Avec un repère visuel, on voit immédiatement quel style est plus efficace selon le type d'ennemi, et cela permet d'en changer à la volée afin de décupler les dégâts sur la barre de vie ou la barre de stagger. L'autre intérêt, c'est de gagner en expérience sur chaque style de combat pour en améliorer l'efficacité et la force, tandis qu'arrivé à un certain point, monter en niveau sur un style nécessite d'accomplir des quêtes précises ou de renforcer son amitié avec les personnages qui se battent de la même manière. De manière générale, les combats reposent sur la parade qu'il faut apprendre à maîtriser impérativement et ce peu importe la difficulté choisie. Car à la différence de ses aînés, Rise of the Ronin propose trois modes de difficulté, le plus facile nécessitant tout de même d'apprendre à combattre, sous peine de ne pas aller bien loin. Heureusement, l'équilibrage est plutôt réussi, permettant à tout le monde de pouvoir s'y essayer, pour peu que l'on se laisse accrocher par les combats. Quant à la progression du personnage et de son équipement, il faut se contenter d'arbres de compétences qui consistent essentiellement à débloquer une poignée de coups spéciaux et quelques bonus passifs de l'ordre du pourcentage. Pour l'équipement, c'est dans la veine des derniers jeux de Team Ninja, avec une bardée d'équipements plus ou moins rares que l'on accumule par milliers. 

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Il y a tout de même quelques soucis vite évidents au fil de l'aventure. Si les combats fonctionnent extrêmement bien et peuvent s'avérer terriblement jouissifs lorsque l'on parvient à placer une exécution après une série de parades délicates, le jeu manque cruellement de combats de boss mémorables. À l'exception de deux ou trois combats, difficile de garder un souvenir quelconque de l'essentiel des (nombreux) boss : la plupart souffrent même d'une certaine répétitivité, les combats reposant souvent sur des patterns similaires. Et c'est d'autant plus dommage que Team Ninja, autant pour Nioh que Wo Long plus récemment, s'était toujours illustré pour sa capacité à créer des combats de boss plutôt dantesques. Certes, avec un jeu à l'univers plus réaliste, il est certainement plus difficile d'imaginer des combats de boss aussi excitants que ceux de Nioh 2, mais là c'est quand même le calme plat. D'autant plus que l'IA des ennemis souffre quand même de finesse, répétant inlassablement les mêmes patterns sans jamais vraiment s'interroger sur des coups répétés en boucle qui se terminent toujours par une parade. Une fois les patterns appris, les surprises sont peu nombreuses à cause du manque de variation dans les coups. Et ce n'est pas les phases d'infiltration non plus qui font briller l'IA, celle-ci ayant parfois toutes les peines du monde à remarquer un camarade en train de se faire égorger à quelques mètres d'elle. Enfin, c'est la structure des missions qui souffre de répétitivité, en collant souvent à un même schéma : s'infiltrer dans un camp, une auberge ou un temple ; éliminer tout le monde ; arriver au boss de fin de mission et l'éliminer ; recommencer. 

Les charmes d'un Japon entre deux feux

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Peu impressionnant visuellement, de nombreuses concessions semblent avoir été faites par rapport aux précédents titres du studio, probablement à cause du passage au monde ouvert. On est sur un jeu qui, visuellement, a une génération de retard tant sur la qualité de ses textures, sur sa gestion très basique des ombres, sur les animations (en dehors des combats) qui sont plutôt chiches et avec des PNJ (hors personnages intégrés à la narration) qui se ressemblent presque tous. Néanmoins, Rise of the Ronin compense tout cela avec une direction artistique qui tire pleinement partie du Japon de cette époque, entre l'influence étrangère croissante sur l'une des villes majeures du pays, Yokohama, Edo qui garde une identité plus japonaise et Kyoto qui souffre de guerres intestines avec un incendie qui ravage les lieux, et des villages aux alentours qui doivent lutter entre un pouvoir disloqué et le pillage de bandits toujours plus nombreux. Le tout sublimé par les qualités musicales d'une bande originale qui sert pleinement le ton épique de ses missions. On y trouve aussi un vrai charme sur les personnages principaux, je pense par exemple à Taka Murayama dont le rôle est prépondérant dans le jeu, une geisha qui profite de son auberge où passent bon nombre d'hommes de pouvoirs pour jouer les premiers rôles en utilisant les informations qu'elle arrive à glaner. Il y a aussi Ryoma Sakamoto, présenté comme un vrai héros en devenir, sympathique mais déterminé, parfois un peu gauche mais plein de bonne volonté. Ou encore Katsura Kogoro qui court après un idéal, ou l'aura des membres du Shinsengumi qui apparaissent comme des guerriers implacables. Du côté des personnages étrangers, on est toutefois face à quelque chose d'infiniment plus caricatural.

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C'est dommage néanmoins que les déplacements manquent de fluidité en ville. Le jeu offre un grappin ainsi qu'une sorte de planeur pour se déplacer plus vite d'un point à l'autre grâce à la verticalité des différentes zones, mais les limites se voient vite. La faute à un grappin qui ne peut s'agripper qu'à des prises prédéfinies (et trop rares), à un "parkour" très limite et à un système de grimpe pratiquement absent. L'intérêt de renforcer cet aspect aurait été de rendre la progression et l'exploration plus agréable en ville, afin de ne pas se limiter à courir dans les rues ou chevaucher un cheval. Enfin, le jeu a de vrais problèmes techniques, malgré son aspect visuel daté, il souffre en effet de lourds ralentissements. Les modes qualité et ray tracing sont à oublier (la faute à un framerate réduit et encore plus de ralentissements, et peu d'impact visuel), tandis que le mode performance fonctionne assez bien jusqu'à ce que la pluie pointe le bout de son nez, que l'on se balade en ville ou que les ennemis commencent à être nombreux à l'écran. C'est d'autant plus décevant, surtout que Nioh 2 et Wo Long tournaient mieux que ça, même s'il s'agissait d'aires de jeu plus cloisonnées. Un patch est arrivé pour la sortie du jeu et il améliore sensiblement les performances, mais on est loin de des standards du genre.

Conclusion

On n'attendait qu'un affinement de sa formule en la transposant à un monde ouvert, mais en réalité Team Ninja a radicalement revu la structure qui a fait le succès de ses dernières productions. Au-delà du monde ouvert, qui dans ses mécaniques emprunte beaucoup aux ténors du genre (à commencer par Assassin's Creed), c'est l'intelligence de l'adaptation du gameplay de Nioh à un jeu beaucoup plus accessible, grâce à son équilibrage et ses modes de difficulté, qui fait la différence. Du côté narratif, on a aimé l'illusion de choix et les conséquences immédiates à certains choix, offrant une vraie implication émotionnelle dans le destin des personnages et du Japon. Quitte à passer outre sa technique datée et la répétitivité de ses missions, des points qui peuvent poser un vrai souci compte tenu de la longueur du jeu, puisqu'on a eu besoin d'une quarantaine d'heures en réalisant l'ensemble des missions principales et secondaires. La proposition est toutefois si séduisante et inattendue de la part de Team Ninja qu'il serait bien dommage de l'ignorer.

Test réalisé par Hachim0n sur PlayStation 5 à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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