Test de Citizen Sleeper 2: Starward Vector – Un peu plus près des étoiles

Sorti en mai 2022, le premier Citizen Sleeper avait été une des excellentes surprises de l'année. Sa suite était donc très attendue, d'autant plus que l'auteur a récemment déclaré que ce serait le dernier épisode de la licence à être décliné en jeu-vidéo.

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Here we go again

Un Sleeper est un androïde créé par la compagnie Essen-Arp. Il s'agit d'une émulation d'un esprit humain destiné à travailler dans les pires conditions pendant que l'original sommeille en cuve. Mais même à l'état de copie, l'humain tend à se rebeller et il n'est pas rare de voir une de ces machines prendre la poudre d'escampette.

Son évasion, notre présent Sleeper l'a faite il y a déjà bien longtemps. Depuis, il vit ses propres aventures, sa survie le menant à passer d'un maître à un autre. Mais tout cela n'a plus d'importance : alors qu'il essayait de se défaire de la cruelle dépendance qui le tenait en laisse, la procédure a été interrompue et a provoqué la suppression de quasiment toute sa mémoire. Il ne doit sa liberté qu'à l'aide providentielle de son compagnon du moment, Serafin. Ensemble, ils parviennent à s'échapper et commencent alors leur périple. À bord du Rig, un vaisseau spatial "emprunté", ils tentent de reprendre leur destin en main tout en naviguant dans les diverses colonies de la Ceinture (the Belt), une zone éloignée abandonnée par la corporation qui en avait la charge. Ce sera l'occasion de croiser différents personnages qui ont tous leurs propres motivations. Et toujours cette étrange manie de vous tripoter l'épaule.

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L'action se déroule dans le même univers que le premier Citizen Sleeper, mais dans un secteur différent. Il n'est pas nécessaire d'avoir joué au premier pour suivre cette nouvelle aventure. Vous aurez toutefois l'occasion de croiser des têtes connues et il peut être agréable de connaitre leur passif dans ces cas-là. Surtout que ces individus ne manqueront pas de souligner que vous n'êtes pas le premier Sleeper à s'incruster dans leur vie.

Alors que le précèdent proposait de se joindre au destin d'une unique station, Starward Vector vous envoie dans une épopée à travers les étoiles. Vous visiterez de nombreux lieux différents et découvrirez comment les différentes colonies survivent plus ou moins bien dans le vide spatial. Si le jeu développe moins ces lieux de vie, c'est par contre sur ses personnages et en particulier l'équipage qu'il porte toute son attention. Chaque membre potentiel vient avec son propre agenda, sa quête personnelle à laquelle vous souscrirez forcément au moment de l'engager.

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En tout cas, Gareth Damian Martin n'a rien perdu de son talent narratif. Tout passe à travers énormément de texte agréable à lire, le tout entrecoupé de choix parfois cruciaux. Faut-il encore bien gérer la langue de Shakespeare : cette fois encore, le jeu sort avec seulement l'anglais de disponible. La version française avait mis plusieurs mois à arriver sur le précédent, on ne peut qu'espérer qu'il en soit de même (voire plus rapidement) sur cet épisode-là.

Comme on ne change pas une équipe qui gagne, musiques et graphismes sont gérés par les mêmes personnes que le premier épisode. Amos Roddy nous offre à nouveau un sans faute sur ses compositions, avec ses notes mélancoliques qui se mêlent aux bruits du quotidien. Les portraits sont dessinés par Guillaume Singelin et il nous offre une belle panoplie de personnages.

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Un équipage hétéroclite en fuite dans leur petit vaisseau et obligé de faire des petits boulots ici et là pour survivre : la formule ne va pas sans rappeler Frontier, l'album de Guillaume Singelin sorti en avril 2023.

Il est bien expliqué à la fin de la bande-dessinée que l'histoire a commencé à hanter son auteur en 2013, donc bien avant sa rencontre avec Gareth Damian Martin. Mais il serait intéressant de savoir quelle en a été l'influence sur la génèse de Starward Vector.

Sur un coup de dé

Le fonctionnement central de Citizen Sleeper repose sur le hasard et le placement de dés.

En début de tour, jusqu'à cinq dés à six faces sont tirés et ces scores devront être utilisés dans différentes situations. Sur les différents lieux présentés sur la carte, on peut entreprendre une action afin de gagner de l'argent ou des ressources, ou faire avancer une jauge plus globale, souvent liée à la narration. Une valeur à six assure un succès, une valeur à un donne une chance sur deux d'échouer ou d'avoir un dénouement neutre. Entre les deux, les chances sont réparties selon l'importance du dé ; par exemple, la valeur quatre propose 25% de chance d'échouer, 50% d'un résultat neutre et 25% de succès. Certains objectifs doivent être remplis en un nombre de tour limité, d'autres peuvent se fermer à jamais si on échoue trop souvent.

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Les différentes actions à mener reposent sur cinq compétences : ingénierie, interface, endurance, intuition, engagement. Selon votre personnage, des malus ou bonus sont appliqués au dé ; mais quoi qu'il arrive, la valeur minimale est toujours un, et six pour la maximale. Au fur et à mesure des missions, des points de compétence sont gagnés et donnent la possibilité d'améliorer tout ça.

Dans le premier épisode, la différence entre les classes était marquée au départ de l'aventure, mais le tout avait tendance à se lisser au fur et à mesure qu'on approchait de la fin de l'histoire. Cette fois, le choix s'avère un peu plus concret : chaque classe a une compétence qui restera irrémédiablement bloquée sur le plus gros malus (-2), mais aussi une capacité qui lui est propre.

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Le cycle infernal

Un point important est de garder le Sleeper dans de bonnes conditions physiques. Avoir cinq dés disponibles est la situation optimale, mais le nombre peut baisser selon comment les choses se déroulent.

Le personnage a une jauge d'énergie. Cette dernière baisse à chaque début de cycle et parfois sur une action loupée. Une fois vide, le Sleeper est "affamé" et c'est la jauge de stress qui prend le relais. Pour la remplir à nouveau, il faut acheter à manger (et donc avoir l'argent pour ça) ou utiliser une ration en stock du vaisseau ; il peut également être possible d'utiliser un dé pour remonter l'énergie et gagner quelques pièces dans certains restaurants.

La jauge de stress augmente sur certains échecs ou quand on utilise la capacité spéciale de la classe. Plus la jauge de stress est haute et plus on a des chances d'endommager les dés en début de cycle. Pour faire baisser le stress, il faut utiliser un dé dans le vaisseau afin de se reposer, mais cela implique de pouvoir y échouer.

Si on peut endommager les dés, c'est parce que chacun possède trois points de vie. Une fois ces points perdus, on ne peut plus utiliser le dé à moins de le réparer. Pour cela, il faut trouver (ou acheter cher, et donc avoir le pognon) certaines ressources et les utiliser dans le vaisseau. Et selon le matériel utilisé, l'action peut remplir la jauge de glitch.

Quand vous avez des points de glitch, vous avez des chances d'avoir un ou plusieurs dés "glitchés" en début de cycle. Quelque soit l'endroit où vous utiliserez ces dés, vous aurez 80% d'échec et 20% de succès. Pas grand à chose à faire pour corriger cela : chaque apparition d'un dé bogué fait baisser la jauge.

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Et normalement, à ce moment là de la description, tout joueur aguerri est déjà en sueur (et encore, on vous laisse découvrir la jauge de "chasse"). Oui, la situation s'est méchamment complexifiée depuis votre petite balade sur l'Œil de Erlin. Oh, la situation n'est pas désespérée non plus, le jeu vous laisse une marge de manœuvre. Mais il faudra bien réfléchir aux actions à mener.

Et surtout garder un œil vigilant sur l'état du Sleeper. Car tout peut dégénérer très rapidement. Trop de stress entrainera la perte de dés, et donc avoir moins de possibilité sur un cycle. Mais pour perdre ce maudit stress, il faut avoir des dés à disposition, et d'un score correct qui plus est. On peut réparer en urgence pour augmenter les chances, sauf que le glitch s'invite alors aussi à la fête. Et avec ses 80% de chance d'échouer, le stress risque de ne pas trop bouger. On sombre alors dans une rude descente aux enfer qui peut faire mal au porte-monnaie, voire pire selon le niveau de difficulté choisi. Et vous imaginez quand vous êtes dans une situation où vous êtes limités en temps ?

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Signé avec le sang

Il est temps de parler des contrats.

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De temps en temps, on vous proposera une excursion dans le secteur. Le but de l'opération peut être de fouiller une épave, d'inspecter un astéroïde ou de réaliser une mission dans une infrastructure quelconque. Il vous sera possible d'amener deux membres d'équipage avec vous et autant de ressource que votre vaisseau peut porter (et vos finances de payer).

Qui amener avec vous ? Chaque membre possède deux compétences (ou une seule pour les plus spécialisés), mais il faudra vous fiez à votre seul jugement sur ce qu'on vous a raconté de l'entreprise afin de savoir lesquels seront les plus efficaces une fois sur place.

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Un contrat ne peut être tenté qu'une seule et unique fois. Une fois sur place, vous êtes coupés du monde : pas de repos salvateur, pas de restaurant, pas de boutique. Quitter les lieux de manière précipitée entraine l'échec définitif de la mission. Pas de jauge d'énergie non plus, d'ailleurs : un échec tape directement dans la jauge de stress. Votre temps sur place est conditionné par le nombre de ravitaillement amené avec vous, à raison d'une caisse utilisée à chaque début de cycle. Ensuite, ce sont les jauges de stress qui prennent le relais.

Différentes jauges doivent être remplies afin d'atteindre les objectifs. Pour cela, vous pouvez utiliser vos dés, mais aussi ceux de vos compagnons : chacun propose deux dés. Ils ont également leur propre jauge de stress : une fois que celle-là est remplie, le membre arrête de travailler.

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La situation n'est pas dramatique non plus : c'est justement lors de ces contrats que vous pouvez utiliser l'action spéciale de votre classe. L'opérateur peut relancer certains de ses dés, l'extracteur peut relancer des dés de ses compagnons et le machiniste peut améliorer son score sur certaines taches. Mais chaque utilisation génère du stress pour notre Sleeper.

Bon, oui, c'est en réalité dramatique. Ou du moins, ça peut très vite le devenir. En étant très prudent, certaines missions peuvent aisément se mener avec succès. Mais les plus périlleuses disposent d'une jauge qui se remplit à chaque échec ; et, à certains paliers, elles peuvent dégrader encore plus la situation. Et si on ajoute à tout ça la spirale infernale déclenchée par un stress trop élevé, tout peut basculer dans le catastrophique.

Il va vous falloir apprendre à vivre avec vos échecs, surtout avec le système de sauvegarde automatique qui s'applique à graver dans le marbre la moindre de vos décisions ou coups de malchance.

Stress à fond, trois dés brisés et un glitché. Tout va bien se passer, touuuut va bien se passer. Ou pas.
Stress à fond, trois dés brisés et un glitché. Tout va bien se passer, touuuut va bien se passer. Ou pas.

Tyché au but

Un des défauts du premier Citizen Sleeper était le fait que la composante survie avait tendance à s'effacer au bout d'un moment, l'aventure devenant plus narrative sur la fin. L'échec était présent, mais les différentes actions proposaient suffisamment de marge pour que l'histoire soit menée à terme avec succès.

Dans Starward Vector, vous vous battrez continuellement contre votre obsolescence programmée. Il est possible de gérer son argent afin de ne pas trop en manquer : par exemple, les membres d'équipage ont des chances de mettre la main sur du ravitaillement, de l'essence ou de gagner quelques pièces. Mais tout peut vite basculer si on enchaine les scores malheureux : jauge d'énergie à remplir ou dés à réparer peut vite couter bonbon.

Et quelques part, c'est là l'injustice de ce nouveau Citizen Sleeper : on y subit beaucoup plus gravement les effets du hasard.

Bien entendu, le jeu est fait pour ne pas bloquer toute l'aventure suite à un contrat échoué. Les personnages en font leur deuil et une porte de sortie est toujours aménagée à un moment ou un autre de l'aventure. Si cela ajoute énormément d'enjeu à la narration, il y a toutefois aussi la frustration de subir les foudres du "pas de chance".

Le hasard s'invite même aux phases de texte. Parfois, une action s'amorce et il faudra choisir quelle compétence mettre en œuvre pour se tirer d'affaire. Finalement, cela ne change pas grand chose à l'issue globale, on ne fait qu'emprunter un chemin détournée du scénario. Mais parfois, même un résultat neutre déçoit, car on a l'impression de passer à côté d'un peu de lore à cause d'une bête histoire de pourcentage.

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Super Sleeper Odyssey

Donc oui, le poids du hasard pèse un peu trop lourd. 

Mais si nous chouinons à ce sujet, c'est parce que l'histoire nous absorbe tellement que tout écart incontrôlé est vécu comme une injustice. Au moment de choisir la difficulté, peut-être aurions-nous du choisir le mode "sûr" (un dé brisé vaut "un", moins de stress) au lieu du mode "risqué". Les plus maso se dirigeront peut-être vers le mode "dangereux" et sa mort permanente.

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L'odyssée du Sleeper au sein de la Ceinture est passionnant. On suit sa lutte désespérée contre son destin, mais aussi les différentes histoires des personnages que l'on croise. Avec les bottes du capitaine viennent les responsabilités : au joueur de choisir où aller, comment se comporter avec ses interlocuteurs, qui engager et qui refuser, comment mener sa barque. On a là un agréable sentiment de liberté qui donne beaucoup l'impression de vivre sa propre aventure (même si se relancer dans une autre partie montre que qu'il y a finalement une grosse part d'illusion).

Le jeu propose 30 succès. Techniquement, le jeu est très proche du premier épisode. Dans sa version Steam, quelques petits soucis ont été notés : parfois, le curseur de sélection du choix de dialogue n'apparait pas de suite. Mais le plus grave a été le moment où le jeu nous a balancé sans raison dans une zone recluse de la Ceinture sans fournir l'outil nécessaire pour en sortir : dans ce cas là, pas d'autre choix que de lancer une toute nouvelle partie (et ainsi avoir l'occasion de faire des choix un peu plus réfléchis que durant la première partie).

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Citizen Sleeper 2: Starward Vector est une suite digne de ce nom. Il garde le même univers mais se lance dans une aventure très différente, avec toute une galerie de personnages marquants. Il améliore la formule initiale pour offrir une tension plus palpable ; malheureusement, cela introduit aussi une certaine injustice dans les résultats liés au hasard. À peine janvier et on a déjà l'un des jeux majeurs de l'année 2025.

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Test réalisé sur PC par NeoGrifteR à partir d’une version fournie par l’éditeur.

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