Test de Fragment of Him : une plongée dans l'ennui
Fragments of Him, dernier jeu en date du développeur néerlandais indépendant SassyBot Studio, est disponible depuis aujourd'hui sur Steam. Que vaut ce jeu narratif ?
Informations pratiques
Fragments of Him est sorti le 03 mai 2015 sur Steam ; il coûte actuellement 18€ sur cette plateforme en raison d'une offre de lancement, mais retrouvera ensuite son prix initial de 20€. Un portage du jeu sur Xbox One puis sur PS4 est prévu. Le jeu n'est disponible qu'en anglais.
Au commencent était le gameplay
Pour présenter Fragments of Him, il est indispensable de commencer par évoquer son gameplay. En effet, si celui-ci exploite les principes du point and click, il le fait d'une manière originale. Le joueur n'interagit jamais directement avec les objets : il doit cliquer sur l'élément coloré, puis attendre que le personnage agisse et/ou exprime quelque chose en lien avec l'objet. Il n'y a donc pas de déplacement direct du personnage, par exemple ; le joueur ne contrôle que son curseur et s'il désire demander à l'un des protagonistes de bouger, il doit cliquer sur lui et attendre qu'il ne s'exécute.
"Désire" est cependant un grand mot, puisque toute l'aventure est entièrement balisée. Il y a un choix de dialogue au tout début du jeu et un autre en son milieu (tous deux sans aucune influence sur l'histoire elle-même), mais c'est là que s'arrête la liberté du joueur. Ce dernier est obligé de cliquer sur chaque élément coloré, sans exception, sous peine que l'histoire n'avance pas. Ainsi, il y a une part d'exploration, mais elle est entièrement obligatoire. Dans ces phases, le joueur doit cliquer sur les éléments du décor et attendre, pour chaque objet, qu'un personnage fasse un commentaire avant de pouvoir cliquer sur autre chose. Le caractère obligatoire de l'exploration la rend pénible, même pour les plus grands amateurs de ce type de gameplay. En effet, tout le plaisir de la découverte, ce sentiment d'être allé en un endroit que tant de d'autres ont ignoré, est ici inexistant. Fragments of Him est une ligne de train, dotée de très nombreux arrêts, mais d'aucun moyen de s'éloigner de l'unique voie.
Néanmoins, ce manque de liberté n'est rien par rapport au problème majeur du gameplay du titre : son inertie. De prime abord, le système de jeu choisi semble excellent ; il est très agréable d'avoir du recul sur la situation et de pouvoir affecter celle-ci de loin, comme dans un god game. C'est peut-être un principe qui pourrait se développer à l'avenir dans les jeux narratifs, car s'il diminue l'immersion du joueur, ce choix de point de vue permet d'avoir une meilleure vision d'ensemble et de prendre davantage de recul.
Malheureusement, ce choix ne serait pertinent si le joueur disposait de multiples possibilités concernant ses actions et si le rythme était plus intense. En l'état, Fragments of Him donne l'impression d'incarner un personnage de la pièce de Beckett En attendant Godot. En effet, la résolution des actions est extrêmement lente et le joueur n'a pas d'autre action possible que d'attendre que le personnage daigne accomplir ce qui lui a été demandé. Cela donne l'impression d'avoir un important imput lag, rendant la progression frustrante et les actions les plus banales extrêmement agaçantes. Ainsi, faire un puzzle pour enfants de cinq ans ou démarrer une voiture demande plusieurs minutes de jeu, car il est nécessaire de cliquer sur les différentes parties et d'attendre à chaque fois que le personnage ne s'exécute.
Faire un puzzle, lire un livre, rentrer des cartons ou démarrer une voiture : autant d'opérations simples en apparence que le jeu rend désagréables.
Ensuite vinrent les graphismes
Le gameplay n'est pas l'unique élément atypique du titre. En effet, ce dernier a aussi un style graphique très spécifique. Plutôt que de les décrire en détail, le mieux est probablement d'utiliser une capture d'écran :
Le terme clef ici est symbolique. Le style est extrêmement minimaliste : les personnages et les objets sont représentés avec très peu de détails et l'ensemble n'est composé que de nuances de noir et de brun, à l'exception des objets sur lesquels il faut cliquer. L'objectif derrière ce choix artistique est de permettre au maximum la projection : les personnages sont avant tout là pour leur fonction dans l'histoire, raison pour laquelle ils sont peu détaillés. C'est au joueur de leur ajouter les images qu'il a lui-même en tête. Ainsi, la grand-mère de Will peut revêtir les traits de celle du joueur ou de n'importe quelle autre personne âgée à laquelle elle le fait penser. À défaut d'offrir une liberté dans le gameplay, Fragments of Him permet donc au joueur d'interpréter comme il le désire l'histoire du jeu, en y projetant son univers. C'est là l'objectif de ces graphismes, mais est-ce réellement une bonne idée dans la pratique ?
Enfin arriva l'histoire
Fragments of Him relate l'histoire de Will et de trois membres de son entourage : sa grand-mère, son ex-petite amie et son petit ami actuel. L'intervention des proches de Will est centrée sur la bisexualité du jeune homme et sur leur réaction par rapport à celle-ci. Néanmoins, le titre ne se limite pas à cela ; le point de vue de Will est ainsi centré sur des problématiques plus générales, tels la routine ou le futur. L'histoire est globalement bien construite ; ses parties s'enchaînent aisément les unes après les autres, selon un ordre très pertinent. Sans être révolutionnaire, Fragments of Him soulève plusieurs questions avec justesse, qui sont loin de se limiter au seul aspect sexuel.
Cependant, ce n'est pas un hasard si nous avons abordé le gameplay et les graphismes avant l'histoire. Si dans plusieurs jeux, tels Bioshock : Infinite ou Until Dawn, l'histoire permet de sauver un gameplay améliorable, le résultat ici est tout autre. Le gameplay se montre tellement frustrant qu'il est impossible d'apprécier pleinement le scénario du titre. Ainsi, les dialogues, qui devraient constituer le coeur du jeu, sont perçus par le joueur comme une interruption non souhaitée de son expérience. Imaginez parcourir un jeu durant lequel chaque clic provoque une pause forcée de plusieurs secondes ; quels que soient les efforts déployés par le joueur, il est impossible de pleinement profiter de cette aventure, tant elle se révèle frustrante du début à la fin. Même les plus patients préféreront mettre une série en fond pour rendre l'expérience moins désagréable, empêchant de se concentrer pleinement sur la narration. Il ne s'agit pas là d'une problématique liée au genre, car beaucoup de titres proposent un gameplay plus marqué ou, à l'inverse, compensent avec des cinématiques. Ici, le résultat est bâtard, puisque le joueur n'est jamais ni totalement passif (il doit toujours cliquer sur les objets pour faire avancer l'intrigue) ni totalement actif (sa liberté d'action est extrêmement limitée, ce que renforce encore l'inertie). Il passe son temps à attendre que le jeu daigne l'obliger à cliquer à nouveau.
Un problème similaire se pose concernant les graphismes. Il est positif d'inciter le joueur à se projeter. Toutefois, en limitant au maximum les caractéristiques des personnages, il est plus compliqué de ressentir de l'empathie pour eux. En définitive, tout se joue sur la projection - ou non - de sa propre réalité dans cet univers. Si SassyBot Studio tente de faciliter celle-ci et y parvient indubitablement, l'opération demeure complexe et incertaine. Il en découle une histoire certes de qualité, mais globalement beaucoup moins marquante sur le plan émotionnel que les références du genre.
Trop court, mais aussi trop long
En terme de durée de vie, l'histoire se termine sans se presser en à peine plus de deux heures, générique de fin inclus ; en se dépêchant un peu, il est donc possible de finir juste en-dessous de ce délai afin de pouvoir demander le remboursement du jeu par Steam. La rejouabilité du titre étant nulle, cela fait un peu cher pour le prix demandé (18€ pour le moment et 20€ une fois la période de lancement terminée). Néanmoins, plus que sa durée de vie, c'est l'impression constante de remplissage que laisse le jeu qui déçoit. Si au moins les deux heures étaient d'une intensité rare, cette durée pourrait se défendre. Malheureusement, c'est tout le contraire, tant le rythme est lent et l'aventure remplie d'attente.
À quand le film ?
En définitive, la problématique majeure est qu'il est difficile de justifier ce choix de support. En dépit de leur appellation de "films interactifs", les jeux produits par Quantic Dream, par exemple, tirent clairement partie de leur nature vidéoludique. Ici, en revanche, c'est tout le contraire : le gameplay nuit tellement à l'histoire développée par les développeurs qu'il aurait probablement été plus pertinent de l'aborder dans un moyen-métrage d'une trentaine de minutes. L'erreur fondamentale de SassyBot Studio pourrait donc être d'avoir décidé d'adapter cette histoire en jeu vidéo. C'est de cette volonté que découlent les éléments problématiques relevés dans ce test, alors que l'histoire aurait peut-être été plus pertinente avec une autre utilisation.
Vous l'aurez compris : difficile pour l'heure de conseiller le titre, surtout au prix proposé. Grâce à la politique de remboursement de Steam, il est certes possible à chacun de se faire sa propre idée, en achetant le jeu et en regardant s'il arrive à suffisamment ignorer les problématiques de gameplay pour profiter de l'histoire. Si le titre vous intrigue, c'est peut-être un essai pertinent. Néanmoins, en l'état, j'aurais plutôt tendance à recommander d'attendre de le trouver à quelques euros durant une solde Steam pour sauter le pas, tant les lacunes de Fragment of Him risquent de dégoûter le joueur.
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Plateformes | Windows |
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Genres | Indépendant, point & click, réaliste |
Sortie |
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