Microsoft lance un service de jeux par abonnement
Microsoft a annoncé lors de la Game Developers Conference 2017 la mise en place prochaine d'un système donnant accès à une centaine de jeux en échange d'un abonnement mensuel. Si le procédé rappelle beaucoup Netflix, il est pertinent de le remettre dans le contexte de la progression constante du dématérialisé afin de pleinement l'appréhender.
Le dématérialisé est l'avenir du jeu vidéo. C'est le genre de phrases souvent prononcées : les consoles sont vouées à disparaître en même temps que les supports physiques pour aboutir à des jeux disponibles uniquement via streaming. Néanmoins, la réalité est plus nuancée.
La progression des ventes numériques de jeux vidéos contre la résistance du format physique
De plus en plus de jeux sont vendus en dématérialisé. De ce point de vue, Electronic Arts est l'éditeur le plus bavard. Ainsi, la société a indiqué le 31 janvier 2017 que 32% des jeux de son catalogue vendus sur PlayStation 4 ou Xbox One durant l'année 2016 l'avaient été en version digitale, contre 24% en 2015 et 20% en 2014. Une progression notable. Il est logique que l'éditeur s'en félicite puisque les ventes de ce type offrent une marge bien supérieure en raison de l'absence de tous les coûts des formats physiques.
Toutefois, ce chiffre signifie aussi que plus des deux tiers des jeux vendus par Electronic Arts en 2016 l'ont été en version physique. Cette part régresse, mais elle demeure nettement majoritaire. Dans le même temps, plusieurs éditeurs et développeurs ont sorti leurs jeux en magasin. Ainsi, Rocket League, l'exemple type du jeu indépendant, genre généralement habitué aux ventes numériques, était le 25ème jeu le plus vendu au Royaume-Uni en 2016, devançant notamment un certain TitanFall 2. De nombreux indépendants sautent le pas et sortent désormais en magasin. La raison de ce choix, c'est que les enseignes offrent une visibilité importante aux jeux. Steam étant de plus en plus surchargé en termes de jeux, une sortie en boîte permet de se rapprocher des consommateurs. La marge est moins importance, mais la publicité apportée par la distribution physique compense souvent ce désavantage.
Il ne serait pas surprenant que le dématérialisé continue à progresser. Cependant, ceux qui pensent que le format physique disparaîtra entièrement se trompent probablement, en tout cas à moyen terme. Les plateformes digitales ayant un catalogue de plus en plus fourni, il devient difficile de s'y faire une place au soleil tandis que la place limitée des magasins les force à faire des choix, diminuant la concurrence pour les titres retenus.
Tu as pensé à renouveler ton abonnement ?
Néanmoins, il n'était question jusqu'à présent que des ventes de jeux à l'unité. Si le format change, le système de vente demeure similaire dans les deux cas. Or, le succès de Netflix et de Spotify, notamment, incite logiquement les acteurs du jeu vidéo à imaginer une solution similaire pour leur domaine.
Cette tendance est logique et issue d'un autre aspect : la rentabilité des abonnements. Ce n'est pas un hasard si tous ces services en proposent un, de même que d'autres sociétés comme Amazon notamment. Même s'ils peuvent généralement être résiliés sans délai, les abonnements assurent des revenus stables aux compagnies qui les proposent. Cela évite de subir les variations mensuelles et permet de se projeter aisément dans l'avenir afin d'assurer une rentabilité optimale. Ce n'est donc pas un hasard si Sony et Nintendo ont décidé d'imiter Microsoft en proposant un abonnement payant pour leurs plateformes : le gain financier est notable. Prenons un exemple concret.
Plus que la différence en valeur absolu, il est important de noter que les revenus digitaux de Nintendo sont relativement stables alors que ceux de Sony ont nettement progressé depuis le lancement de la PlayStation 4. C'est en partie lié à l'augmentation des ventes dématérialisées sur ce support : la PlayStation 4 disposant de davantage d'espace de stockage que les précédentes consoles Sony ou que les consoles Nintendo, il est plus intéressant d'acheter un jeu sans support physique sur la dernière née de Sony que sur les autres consoles. Néanmoins, ce n'est pas la seule explication : l'abonnement payant joue aussi un rôle déterminant. Étant donné qu'il est désormais indispensable pour pouvoir jouer en ligne, le PlayStation + voit mathématiquement son nombre d'abonnés croître en parallèle de l'augmentation du parc installé de PlayStation 4. Cela offre davantage de revenus à Sony - et des revenus stables.
Cependant, même si certains jeux sont offerts avec l'abonnement, ils ne constituent pas le coeur de l'offre. On est donc encore loin d'un Netflix du jeu vidéo. Pour cela, d'autres tentatives ont été effectuées.
C'est l'histoire d'une bêta : le PlayStation Now
Évoquons tout d'abord le PlayStation Now. Tout a commencé par le rachat de Gaikai, une plateforme permettant d'accéder à des jeux en streaming, par Sony le 02 juillet 2012, pour 380 millions de dollars. L'objectif du constructeur est d'offrir aux consommateurs un accès à une large bibliothèque de jeux sans que celui-ci n'ait besoin de les télécharger, les jeux étant stockés sur des serveurs et fournis par streaming, à la manière de Netflix ou de Spotify. Comme pour ces plateformes, un système d'abonnement donnant accès à l'ensemble du catalogue est rapidement mis en place.
Pourtant, le service peine à s'imposer. Le PlayStation Now multiplie les bêtas sur les différents territoires sans pleinement réussir à convaincre. Aux États-Unis, il passe six mois en bêta fermée et six mois de plus en bêta ouverte avant un lancement complet le 13 juillet 2015. Néanmoins, deux problèmes empêchent le service de pleinement rencontrer le succès.
Premièrement, le jeu vidéo est différent de la musique ou des séries : il est interactif. Cela rend le streaming d'un tel produit nettement plus compliqué. Pour profiter du PlayStation Now, Sony recommande une connexion d'au moins 5MB/s. Si ce débit est accessible à tous les possesseurs de fibre, il exclut un certain nombre de clients potentiels. De plus, il impose un coût important en raison des frais des serveurs, obligeant à proposer le PlayStation Now à un tarif de 17€ par mois ; un tarif supérieur aux tarifs des offres de streaming musicales ou télévisées. Enfin, le PlayStation Now ne propose que des jeux issus du catalogue PlayStation 3 ; ceux-ci commencent à dater et sont moins attirants pour le consommateur que des titres plus récents.
Conséquence de ces difficultés, le PlayStation Now commence déjà à montrer des signes de faiblesse. Actuellement disponible sur un grand nombre de supports (consoles, smart TV, smartphones, tablettes, ordinateurs, etc.), le service se concentrera sur PlayStation 4 et PC Windows à partir du 15 août 2017. Diminuer le nombre de plateformes favorise certainement le développement et il est vrai que la PlayStation 4 et le PC sont les deux principaux supports de jeu. Néanmoins, c'est un signe inquiétant pour ce service qui se rapproche peut-être de son arrêt.
Un premier pas : l'EA access
La première offre convaincante de jeu par abonnement est à chercher chez Electronic Arts. L'éditeur a lancé le 11 août 2014 sa propre offre : l'EA access. Initialement disponible uniquement sur Xbox One, le programme est aujourd'hui disponible également sur PC. Il propose un catalogue de plus d'une trentaine de jeux de l'éditeur, accessibles pour un abonnement de 4€ par mois. Contrairement à l'offre de Sony, pas de streaming ici : les jeux doivent être téléchargés pour pouvoir y jouer. L'offre permet aussi d'essayer des jeux un peu avant leur sortie et de bénéficier de réductions à l'achat de titres.
Il est important de préciser que les nouveaux titres ne sont pas directement présents dans la liste de jeux disponibles. Ainsi, pour jouer à FIFA 17 ou à Battlefield 1, il est nécessaire d'acheter le jeu... ou de patienter. En effet, les jeux rejoignent rapidement le service : Madden NFL 17, dernier produit ajouté à la liste de titres disponibles, est arrivé 6 mois après sa sortie initiale. L'EA access offre donc des jeux plus récents que le PlayStation Now pour un tarif nettement moins important ; en contre-partie, il se limite au seul catalogue d'Electronic Arts alors que le PlayStation Now rassemble de nombreux éditeurs.
Il n'est pas illogique qu'Electronic Arts soit le premier éditeur à s'être lancé de manière indépendante sur ce marché. En effet, les AAA réalisent la majorité de leur chiffre d'affaires au moment de leur lancement. Les ventes sont ensuite moins importantes, ce qui pousse les éditeurs à essayer de les augmenter en proposant des réductions. Néanmoins, ce processus ne suffit pas à compenser la diminution du chiffre d'affaires puisque les titres vendus le sont à un tarif moins important. Une autre méthode existe pour rendre les jeux rentables sur la durée : les DLC et les micro-transactions. Or, pour qu'un joueur se les procure, il est nécessaire qu'il possède le jeu de base.
En somme, même si le jeu est gratuit, l'éditeur espère que le joueur investira dans les DLC ou les micro-transactions du titre ou qu'il achètera le prochain opus lorsque celui-ci sera disponible. Les fans de la licence continueront à acheter le jeu day one, mais cette offre gratuite permet de toucher un public plus large et de garantir que les serveurs auront suffisamment de joueurs. Cela valorise en outre l'offre d'abonnement de l'éditeur, lui assurant des revenus stables.
Electronic Arts dispose en outre d'un autre avantage de poids : la majorité de ses revenus proviennent de franchises sportives annuelles. Que Madden NFL 17 soit disponible gratuitement 6 mois après sa sortie signifie aussi qu'il l'est 6 mois avant que l'opus suivant ne soit disponible. Or, un jeu de sport n'a que peu d'intérêt une fois sa suite publiée. Cela permet donc d'inclure rapidement les jeux au service d'abonnement puisqu'ils seront vite incités à prendre l'opus suivant pour profiter de la mise à jour des effectifs. De plus, le calendrier n'est pas un hasard : Madden NFL est publié chaque année avant le début de la saison de football américain et le titre n'a rejoint l'EA access qu'après le terme de cette saison. En somme, le jeu a profité de la visibilité offerte par le championnat pour se vendre de manière traditionnelle, puis a été inclus au service par abonnement pour toucher un nouveau public.
L'offre ne concerne qu'un seul éditeur et n'inclut les jeux que plusieurs mois après leur sortie. Cependant, l'EA access est un succès indéniable. Les revenus progressent d'une année sur l'autre au point d'inspirer d'autres initiatives.
La diversité par téléchargement : le Xbox Game Pass
Dernier arrivé sur ce secteur, le Xbox Game Pass semble avoir un avenir prometteur. Ce service, qui sera disponible dans quelques mois, offrira un accès à une centaine de titres issus des catalogues Xbox One et Xbox 360 en échange d'un abonnement de 10€ par mois. Comme pour Electronic Arts, il sera nécessaire de télécharger les jeux pour pouvoir y jouer ; pas de streaming, ce qui permet d'alléger la facture pour le consommateur.
Initialement disponible uniquement sur Xbox One, le Xbox Game Pass se différencie de l'offre d'Electronic Arts en proposant des jeux venant de plusieurs éditeurs, ce qui explique la différence tarifaire. Là encore, il ne s'agit pas de jeux venant de sortir : le titre phare du programme est Halo 5, sorti le 27 octobre 2015 et dont le sixième opus devrait arriver cet automne. Cela permet une fois encore de rentabiliser des jeux qui ne se vendent plus, tout en s'assurant un revenu stable.
Ce programme rencontrera-t-il un succès similaire au EA access ou au contraire connaîtra-t-il des difficultés, à l'image du PlayStation Now ? Le tarif retenu et la disponibilité des jeux en téléchargement devrait aider le Xbox Game Pass. Néanmoins, il y a une différence entre payer 4€ par mois ou payer 10€ : pour convaincre, le service de Microsoft aura besoin de titres attractifs donnant de la valeur à ce programme.
Qui vivra verra
Plus globalement, quel avenir pour le jeu vidéo ? Aura-t-on un jour un système d'abonnement global, incluant aussi bien des jeux récents que des titres plus anciens ?
À court terme, il est possible d'affirmer que la solution n'est pas encore le streaming : ce système est encore trop coûteux pour le jeu vidéo. En revanche, il est clairement possible de proposer une offre convaincante avec des jeux en téléchargement, à l'image de ce que propose Electronic Arts pour son catalogue. Les jeux ne seront probablement pas disponibles dès leur sortie : en dépit de la progression des DLC, les ventes de jeu au lancement représentent toujours une part déterminante des revenus des éditeurs. Néanmoins, une fois les premiers mois passés, une formule à abonnement est clairement intéressante pour les éditeurs comme pour les joueurs. Cela permet d'avoir accès à un large catalogue de jeux encore d'actualité, tout en offrant aux éditeurs un plus grand nombre de joueurs (et donc d'acheteurs potentiels des DLC). Reste à trouver la bonne formule et le bon tarif, mais Microsoft a clairement une carte à jouer dans ce domaine.
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