Neo Retro : Shin Megami Tensei III Nocturne HD Remaster
Dix-huit ans après sa sortie initiale sur PlayStation 2, le culte et fondateur Shin Megami Tensei III Nocturne revient d'entre les morts dans une version HD Remaster sur PlayStation 4, Nintendo Switch et Steam. Si le jeu possède sa base de fans acquis à sa cause, saura-t-il séduire les nouveaux joueurs en attendant l'arrivée prochaine du cinquième épisode ? Possible réponse dans ce nouveau Neo Retro !
Il est enfin l'heure
Il y a toujours une petite appréhension lorsque l’on revient sur un jeu auquel on n’a pas touché depuis très longtemps. Est-ce que nos souvenirs nous trompent ? Est-ce que le jeu a mal vieilli ? Est-ce que la magie est toujours là ? Difficile d'y répondre sans se lancer, mais commencer une nouvelle partie quand tout semble dépassé peut rapidement refroidir, tant nos vieux souvenirs peuvent s’avérer fragiles face à la réalité. C’était sans compter sur le nez aiguisé des divers éditeurs de jeux, qui ont rapidement compris que la nostalgie était un véritable moteur de ventes auprès de fans en manque ainsi que d’une nouvelle génération curieuse des succès et autres références de leurs aînés. C’est donc ainsi que l’on a vu fleurir de plus en plus de remaster et remake adaptés aux standards plus actuels, certains pour le meilleur et d’autres pour le pire.
Et le jeu dont je vous parlerai dans ce Neo Retro rentre dans cette catégorie de jeux cultes dont on n’ose pas effriter les souvenirs tant il a pu nous marquer en son temps. Ce jeu, c’est Shin Megami Tensei III Nocturne (SMT3 pour les intimes) et plus précisément, sa version HD Remaster sortie il y a quelques jours.
Les Shin Megami Tensei ne sont pas des jeux comme les autres. Ils nous bousculent dans nos habitudes, nous mettent au défi, nous poussent à réfléchir et ne se gênent pas pour nous remuer les tripes sur des sujets très peu traités dans le jeu vidéo. C’est pour cette raison que malgré leurs qualités, ces œuvres n’ont jamais dépassé le statut de jeux de niche, contrairement à Persona - licence spin-off évoluant en parallèle -, qui a réussi à toucher un public de plus en plus large au fil du temps jusqu’au succès planétaire de Persona 5. Mais alors, pourquoi sortir un remaster d’un jeu datant d’il y a 18 ans et que peu connaissent ne serait-ce que de nom ? La réponse est en réalité assez simple. S’il est vrai que Shin Megami Tensei III Nocturne n’est pas le plus populaire des J-RPG, il n’en reste pas moins une œuvre importante, fondatrice pour la licence et même une référence au point d’être toujours le socle, la base sur laquelle reposent les jeux qui ont suivi, dont Persona 5. Sans SMT3, le système de combat de Persona 5 n’aurait probablement pas le même visage et quand on sait à quel point celui-ci fut encensé par les joueurs et la critique, on peut facilement imaginer l’importance de son illustre aîné. De plus, Shin Megami Tensei V se fait longuement désirer, donc rien de mieux qu’un petit remaster à bas coût pour faire patienter tout en servant d’avant-goût pour les nouveaux joueurs curieux de découvrir la licence.
La question est : est-ce que cela vaut le coup de jouer ou de rejouer à un jeu vieux de 18 ans aussi culte soit-il ?
Un jeu fondateur
Malgré sa numérotation, Shin Megami Tensei III Nocturne est le cinquième épisode de la licence et c’est avec lui que sont arrivées la grande majorité des mécaniques encore utilisées aujourd’hui. Si les précédents épisodes avaient repris le système de vue à la première personne dans les donjons hérité de la série mère Megami Tensei, SMT3 fut le premier épisode à s’en affranchir pour passer à une vue à la troisième personne, plus adaptée aux nouvelles exigences de l’époque PlayStation 2. Ce seul détail codifie toute la construction du jeu, sa narration ainsi que son rythme.
Néanmoins, ce n'est pas les seul changement que cet épisode apporte. Si l’ambiance emprunte toujours autant aux influences lovecraftiennes, SMT3 délaisse les conflits entre divers dieux pour confronter le joueur à un univers original et totalement nouveau sous forme de monde post-apocalyptique embryonnaire où se forment factions et sectes de démons pour en décider les nouvelles règles. De même, le joueur n’a plus à choisir entre seulement l’ordre et le chaos, mais entre plusieurs factions ayant chacune de bons et mauvais côtés, forçant ainsi le joueur à faire des choix moraux moins manichéens. Car oui, les Shin Megami Tensei ne sont pas linéaires et offrent plusieurs routes et donc plusieurs fins selon les choix retenus au cours de la partie.
Enfin, et c’est le changement le plus important et impactant apporté par SMT3, tout le système de combat a été revu et enrichi de mécaniques complexes et passionnantes. Les précédents épisodes se contentaient d’un système de combat au tour par tour classique où chaque groupe (héros / ennemis) attaquait chacun leur tour avec un ordre des combattants déterminé par leurs vitesses. Rien d’original et c’est bien sur ce point que SMT3 chamboule les choses en apportant une toute nouvelle mécanique : le Press Turn Battle System. Quelle est cette diablerie ? Rien de moins que la base de toute la richesse du système de combat.
Un système de combat novateur
Pour expliquer de manière exhaustive sans pour autant vous retourner le cerveau, les combats de SMT3 conservent le système de tour par tour classique, mais le changement de côté est déterminé par cette nouvelle mécanique que l’on pourrait comparer aux points d’action dans les RPG plus traditionnels et qui, ici, se traduit par des icônes (Turn Icon) affichées en haut à droite de l’écran. Il y en a autant que d'unités dans chaque groupe, donc quatre au maximum pour votre groupe, mais elles ne sont pas pour autant liées à ces dernières, ce qui signifie que vous avez une certaine latitude pour les utiliser. Globalement, chaque action en consomme une certaine quantité et une unité ne peut accomplir qu’une action à la fois avant de passer le bâton à la prochaine dans un ordre établi par la statistique d’agilité. Jusque-là tout va bien, mais je vous rassure, ça va se compliquer. Si chaque action basique réussie consomme une icône, une action annulée ou esquivée en consomme deux et si jamais l’ennemi absorbe ou renvoie l’attaque, c’est la totalité des icônes restantes qui est consommée. À contrario, si l’ennemi est faible face à votre attaque ou si le coup porté est critique, vous avez droit à une demi icône supplémentaire ; or, passer au personnage suivant utilise une demi icône. Si après avoir utilisé chacun de vos personnages il vous reste des icônes d’action, l’ordre se répète pour ensuite passer au côté ennemi soumis aux mêmes règles. Tout détailler de ce Press Turn Battle System serait bien trop long tant la richesse stratégique qu’il offre est dense.
Bien entendu, pour corser le tout, les développeurs ont fait en sorte que les combats se focalisent davantage sur les compétences d’amélioration ou d’affliction et les sorts élémentaires que sur le pur rentre dedans habituel - encore que, ce n’est pas tout à fait vrai pour votre personnage -, afin d’augmenter le risk and reward sur l’utilisation des icônes d’action. Les ennemis usent de tous les moyens à leur disposition pour augmenter leurs capacités et diminuer les vôtres et la victoire se joue parfois à peu de choses, surtout face aux boss qui vous remettent très rapidement à votre place, vous rappelant par la même occasion que vous n’êtes pas sur un J-RPG lambda - mes condoléances à ceux qui ne connaissent pas encore Matador.
Comme vous pouvez le constater, c’est déjà relativement complexe, mais ça ne s’arrête pas là. Comme tout Shin Megami Tensei qui se respecte, votre groupe est composé du personnage principal ainsi que de démons qu’il peut invoquer. Pour obtenir des démons, il existe plusieurs méthodes, mais la plus utilisée s'effectue durant les combats. En effet, si vous pouvez lancer une compétence, un item ou même fuir comme dans la grande majorité des J-RPG, une action supplémentaire vous permet de parler aux démons ennemis afin de les recruter, même si ce n'est pas si simple que ça. Chaque démon est classé selon différentes catégories qui impliquent différentes méthodes de recrutement. Pour certaines, il suffit de leur parler, pour d’autres, il faut les séduire ou les menacer via des compétences que seuls certains démons possèdent. D’autres encore vous demandent de l’argent, des items ou même de répondre à certaines questions morales avant d’accepter ou non de vous rejoindre, car rien n’assure le succès d’une tentative de recrutement et un recrutement raté, c’est une icône d’action utilisée pour rien (oui, on y revient toujours). De même, si vous engagez une discussion avec un démon, mais que celui-ci refuse catégoriquement, ce sont deux icônes qui sautent alors que si un autre démon vous interrompt durant les négociations, vous perdez tout et l’ennemi prend le relais.
Vous pensez que c’est terminé ? Que nenni ! Une dernière mécanique influence les combats ainsi que le recrutement des démons : le kagutsuchi ou le cycle de la lune. Huit phases s’étalent alors que vous déplacez votre personnage. De la nouvelle à la pleine lune, ces phases influencent la puissance des ennemis ainsi que la possibilité ou non de recruter certains démons. Ainsi, si un combat se déclenche alors que la lune est pleine, vous pouvez recruter un démon de la catégorie « revenant » et les ennemis font légèrement plus de dégâts, alors qu’ils sont plus dociles lors de la nouvelle lune ; les changements sont progressifs au fil des huit phases.
Je pourrais continuer encore longtemps à vous détailler tous les tenants et aboutissants du système de combat, mais il me faudrait un article entier pour cela et le jeu regorge d’autres richesses à explorer, donc passons à la suite.
Des démons racoleurs
S’il est vrai que le recrutement en combat sera votre première source d’obtention de démons, ce n’est pas la seule et surtout, elle ne permet pas d’optimiser leurs compétences. Pour cela, il existe une méthode bien plus efficace qui vous occupera un bon bout de temps : la Cathédrale des ombres. Disséminé un peu partout sur la carte du jeu, ce lieu vous donne la possibilité de fusionner vos démons pour en créer de nouveaux. Pour cela, vous devez choisir un premier démon de votre liste, ce qui donne accès à toutes les fusions possibles et leurs résultats, puis le second de votre choix et dans la limite du niveau de votre personnage, puisqu’il est impossible de créer un démon de niveau supérieur au sien. Vient ensuite le choix des compétences dont la fusion héritera parmi celles déjà apprises par les deux démons - nouveauté de la version HD Remaster - et roulez jeunesse ! En soi, c’est simple, mais vous commencez à en avoir l’habitude, ça ne s’arrête pas là. Plus tard, vous débloquez le sacrifice, qui offre le droit de sacrifier un troisième démon afin d’améliorer la fusion, voire de débloquer certains démons spécifiques. Quant au démon créé, il dépend des types des deux démons utilisés. Par exemple, fusionner une fée avec un revenant donne un démon de type « jirae ». Certains objets peuvent aussi être nécessaires à l’obtention de certaines fusions.
Tout ceci semble assez facile à gérer, mais c’est sans compter sur le fait que vous ne pouvez pas posséder beaucoup de démons en même temps, ce qui vous oblige à faire des choix et réduit l’éventail de vos opportunités. Pour combler cette frustration, vous avez la possibilité de récupérer tous vos anciens démons préalablement enregistrés à la Cathédrale des ombres, mais pas gratuitement ; il ne faudrait pas rendre le jeu trop simple.
Divinités, fées, fantômes, démons, créatures mythiques et autres immondices sont à nouveau de la partie et comme à chaque fois, les artistes ne se sont pas censurés sur leurs représentations, n'hésitant pas à laisser quelques parties génitales se balader à l'air libre, à habiller les anges en reines sado-maso ou encore à faire cohabiter les créatures bibliques avec les divinités bouddhistes, égyptiennes ou encore shintoïstes sans parler des divers folklores européens. Un véritable pot-pourri délicieusement irrespectueux, qui toutefois ne tombe jamais dans l'insulte ouverte aux religions et aux diverses cultures païennes, bien au contraire.
Des défauts, mais pas vraiment d'erreurs
Si Shin Megami Tensei III Nocturne semble passionnant par ses mécaniques, il n’en reste pas moins un jeu d’un autre temps, avec toutes les limitations et les errances que cela implique. En prenant le parti pris du tout en 3D et de la vue à la troisième personne, les développeurs ont dû apprendre à concevoir un système de déplacement et de caméra adapté et sur ce point, on peut difficilement nier leur manque de réussite. Les déplacements sont rigides, lents et souvent frustrants quand ils ne deviennent pas énervants à cause de la caméra. Par chance, la version HD Remaster améliore quelque peu les choses en permettant de diriger la caméra avec le stick droit - impossible sur la version PlayStation 2 -, mais même ainsi, elle reste capricieuse et s’ajuste d’elle-même sans vous demander votre avis, ce qui peut vite vous donner des envies de débroussaillement capillaire dans certaines situations.
À cela, il faut ajouter un rythme très lent hérité des précédents jeux, qui se traduit par une narration plutôt hachée et même assez chiche entre deux donjons. L’histoire a beau être captivante et mélanger sans tabou les religions, le démonisme ainsi que les rapports humains, le tout au travers de personnages bien écrits aux ambitions différentes au sein d’un univers original et angoissant, la sauce peut avoir du mal à prendre ; la faute à des donjons interminables aux décors ternes et répétitifs. Parler à trois personnages entre deux donjons qui n'en finissent plus, cela peut gêner surtout qu’à côté de ça, le jeu peut s’avérer verbeux et complexe en titillant la morale des joueurs. Ce rythme pas toujours bien maîtrisé est un défaut assez récurrent des J-RPG de l’époque, dont la durée de vie était généralement colossale. De facto, c’est davantage un défaut de son temps qu’un défaut du jeu en lui-même et c’est un détail à prendre en compte lorsque l’on veut se mettre à Shin Megami Tensei III Nocturne.
Ce n'est qu'un remaster
Si la version PlayStation 2 était déjà une référence de son temps et ne déméritait pas son statut de jeu culte, l’annonce de la version HD Remaster pouvait laisser espérer quelques nouveautés et ajustements. Sur ce point, certains seront déçus, puisque les développeurs n’ont pratiquement rien touché au jeu de base.
Au-delà de la légère modernisation de la caméra et de la possibilité de choisir les compétences héritées lors d’une fusion - ajout bien agréable soit dit en passant -, Atlus a fait le choix de ne pas toucher au cœur du jeu ni même à son contenu. Tout est à l’identique et seul un lifting haute définition se fait remarquer. Celui-ci est d’ailleurs assez propre, même si on aurait pu espérer un peu plus qu’une simple augmentation de la résolution des textures. Quoi qu’il en soit, le jeu tourne parfaitement sur PlayStation 4 et si son origine se voit comme le nez au milieu de la figure, il reste visuellement tout à fait acceptable et toujours plus agréable que sa version d’antan, même sous le scalpel d’un émulateur.
On retiendra tout de même la très bonne idée d’intégrer, sous forme de DLC gratuit, un nouveau mode de difficulté nommé « permissif » à destination des joueurs ne souhaitant pas se confronter au défi que représente ne serait-ce que le mode normal. Beaucoup plus simple, peut-être même un peu trop, il s’ajoute aux modes déjà existants et tous plus corsés les uns que les autres.
Au final, on se retrouve face à un remaster respectueux du jeu original, mais aussi un tantinet fainéant en ne proposant rien de vraiment nouveau en dehors de quelques améliorations de confort quand d’autres ajoutent un donjon bonus ou des modes de jeu différents avec des règles spécifiques. Ici, rien de tout ça et c’est un peu décevant. Cependant, le contrat est rempli et les fans les plus acharnés seront probablement ravis de ce choix.
Un jeu du cœur
Quand on se retrouve face au remaster d’un jeu approchant des 20 ans d’âge, il est difficile de placer son curseur sur ce qui est à considérer comme de l’héritage ou comme un défaut de conception. Ce qui était normal à l’époque ne l’est plus forcément aujourd’hui, mais il reste important d’informer les joueurs sur ce qu’ils achètent et encore plus lorsqu’ils s’aventurent sur un tel jeu pour la première fois.
Parce que oui, Shin Megami Tensei III Nocturne, et par extension sa version HD Remaster, n’est pas un jeu accessible pour tous, malgré son nouveau mode de difficulté rendant les combats anecdotiques. Il n’est pas non plus un jeu d’une grande fluidité avec ses déplacements laborieux ou encore sa caméra capricieuse. De même pour les menus austères et les boîtes de dialogue mangeant un tiers de l’écran. Bien heureusement, les choses ont changé en 18 ans. Toutefois, si aujourd’hui on peut difficilement voir ces éléments comme des qualités, il en était autrement en 2003 ; il est bon de le rappeler et de comprendre où l’on met les pieds avant d'acheter un tel jeu, tout comme il faut accepter d’avoir entre les mains une œuvre d’un autre temps avec le bagage de défauts liés aux limitations de l’époque, d'autant plus que SMT3 n'a pas joui d'un budget mirobolant.
Alors est-ce que je conseille ce Shin Megami Tensei III Nocturne HD Remaster ? Oui, mais pas à n’importe qui et pas forcément à son prix actuel de 49,99€. Entre les sujets traités, la difficulté hors mode permissif, la rigidité du gameplay, le rythme très lent de la narration et l’habillage pas toujours flatteur, nous sommes véritablement face à un jeu daté et ce n’est pas le passage en HD qui y change quoi que ce soit. Malgré tout, cela reste un jeu fondateur, une référence dans le monde du J-RPG de niche sortant des habituels carcans de la fantaisie lisse et pas toujours inspirée. Son système de combat reste encore aujourd’hui la base des nouveaux épisodes ainsi que des Persona et son ambiance ne peut laisser indifférent tant elle dénote avec tout ce qu’il se fait ailleurs. Au bout du compte, tout dépendra de votre abnégation face à ce qui fait de Shin Megami Tensei III Nocturne HD Remaster le représentant d’une époque révolue.
Maintenant, il ne nous reste plus qu’à attendre patiemment le cinquième épisode.
Test réalisé par Lianai à partir d'une version PlayStation 4 fournie par l'éditeur.
Sur le même sujet :
Plateformes | Nintendo Switch, PlayStation 4 |
---|---|
Genres | Aventure, contemporain, fantasy |
Sortie |
2021 |
Réactions (18)
Afficher sur le forumPas de compte JeuxOnLine ?
Créer un compte