Test de Humankind - Un beau potentiel pas encore pleinement exploité

Plus de dix ans après sa fondation, Amplitude Studios a enfin sorti le jeu dont ses fondateurs rêvaient depuis le début : un 4X historique. Humankind est-il à la hauteur de ses ambitions ?

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Small World

Humankind rappelle dès les premiers instants le ténor du genre, Civilization : création de villes et de quartiers, exploitation des cases et de leurs ressources, gestion de la foi et de la technologie, tous les ingrédients principaux sont présents et les habitués de Civilization ne seront pas perdus en arrivant sur Humankind. Cependant, le jeu d'Amplitude possède un certain nombre de spécificités, sur lesquelles nous nous concentrerons dans ce test.

Tout d'abord, la gestion des peuples. Si vous avez l'habitude de jouer aux 4X, et en particulier à Civilization, vous connaissez la première étape de la création d'une partie : choisir le peuple que l'on désire incarner. Celui-ci apporte des bonus (passifs et/ou actifs), des quartiers et des unités exclusifs. Dans Humankind, c'est pareil. Chaque faction possède un passif, un quartier et une unité exclusifs. De plus, les différentes civilisations sont réparties entre plusieurs catégories, ayant chacune une action spécifique. Ainsi, les peuples militaires peuvent facilement lever des troupes, ceux qui privilégient la science peuvent convertir leur production en points de recherche, etc. Il y a juste une différence de taille : dans Humankind, le joueur n'incarne pas un seul peuple, mais six différents. Pour être précis, au terme de chaque ère, il doit en choisir un nouveau.

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Ce système permet de s'adapter en fonction de l'évolution de la partie. Il est ainsi possible de commencer par un peuple ayant des bonus de nourriture pour se créer une bonne base en terme de population, puis d'enchaîner avec une faction scientifique et de finalement choisir une civilisation militaire pour se défendre face à un voisin devenu trop pressant. Si les unités et quartiers uniques ne peuvent plus être utilisés une fois le peuple abandonné, les passifs des différentes factions se cumulent, rendant chaque partie potentiellement unique.

Il est aussi possible de conserver un même peuple pendant plusieurs ères. Cela offre un bonus de gloire (nous y reviendrons), mais cela impose de renoncer aux nouvelles unités et, surtout, aux nouveaux bâtiments que pourrait nous apporter une autre faction.

T.I.M.E Stories

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Attardons-nous maintenant plus en détail sur ce système d'ère, évoqué plus tôt. Dans les jeux traditionnels, une nouvelle ère est atteinte en découvrant certaines technologies. Dans Humankind, c'est plus complexe. Pour changer d'ère, il faut débloquer sept étoiles. Celles-ci peuvent être de différentes catégories (militaires, scientifiques, agraires, marchandes, etc.) pour un total de sept possibilités distinctes, chaque catégorie ne pouvant, au maximum, apporter que trois étoiles par ère.

Prenons un exemple concret. Pour obtenir une étoile militaire, il est nécessaire de détruire un certain nombre d'unités adverses. Dans chaque ère, il existe trois paliers, apportant une, deux ou trois étoiles. Une fois la troisième étoile atteinte, cela ne sert à rien de continuer à se battre : il vaut mieux se concentrer sur d'autres aspects, comme la production de science ou d'or.

Ce système force à se diversifier. En effet, il est essentiel d'atteindre au plus vite les sept étoiles, car cela permet de choisir en premier son prochain peuple. De plus, les quartiers sont de plus en plus puissants : atteindre plus tôt une ère avancée permet donc de prendre un avantage substantiel sur ses adversaires.

Citadelle

Troisième spécificité majeure d'Humankind, son système de villes. Pour le comprendre, le plus pertinent est de s'attarder sur leur création. Au début, le joueur demande à n'importe quelle unité militaire de créer un avant-poste, ce qui ne détruit pas l'unité concernée. Il est ensuite possible, contre de l'influence, de transformer cet avant-poste en une ville. Cette ville occupe alors un nombre de cases prédéfini, qui n'évolue pas de lui-même. En effet, le jeu est par défaut prédécoupé en territoire : un avant-poste revendique le territoire sur lequel il est créé, qu'il soit à l'extrémité ou au centre de celui-ci.

Les villes proposent une importante micro-gestion. Premièrement, les classiques constructions de quartiers ou améliorations du centre-ville. Les seconds apportent en général des bonus passifs (comme davantage de nourriture sur les cases de rivière) tandis que les premiers offrent des gains plus importants, mais ont pour conséquence une baisse de la stabilité de la ville. Si celle-ci est trop basse, elle engendre des événements négatifs ou, dans le pire des cas, des rebellions. Deuxièmement, il est nécessaire d'affecter manuellement la population à certaines activités. Ainsi, chaque citoyen peut générer de la nourriture (augmentant la population), de la production, de l'or ou de la science. Cet aspect, qui peut être modifié à tout moment, permet de se concentrer sur un domaine particulier, temporairement ou de manière durable.

Troisièmement, au lieu de transformer un avant-poste en une nouvelle ville, il est aussi possible de le rattacher à une ville existante, développant cette dernière. Il est souvent plus intéressant de renforcer une ville existante que d'en créer une nouvelle, notamment parce qu'ainsi, les constructions du centre-ville affecteront toutes les nouvelles cases, sans devoir repartir de zéro. Bon, il faut dire que de toute façon, il n'y a pas vraiment le choix.

En effet, chaque joueur ne peut gérer qu'un nombre limité de villes. Celui-ci peut augmenter grâce à certaines recherches, mais il demeure bloquant pendant la majorité de la partie. Il n'est pas impossible d'avoir davantage de villes que le maximum autorisé, mais cela génère des malus de plus en plus importants, généralement synonyme de défaite. Il est donc essentiel de faire progresser son nombre de villes au même rythme que l'augmentation de la limite via la recherche.

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Il est intéressant d'exploiter un nombre réduit de villes, comme cela permet de davantage se concentrer sur chacune. En revanche, ce système crée plus de problèmes qu'il n'en résout, pour trois raisons.

Premièrement, des "peuples autonomes" remplissent les vides existants entre les joueurs. Ceux-ci ne peuvent être désactivés et sont en nombre absolument démesurés : durant une de mes parties, j'en ai eu plus d'une dizaine situés à ma frontière immédiate. Or, il n'est pas possible de les conquérir, en raison de la limitation du nombre de villes ; on se retrouve donc avec une horde de rats désagréables qu'il est impossible d'éradiquer.

Il en est de même pour les guerres, que nous évoquerons plus en détail ci-dessous. Après une guerre victorieuse, il est rare de pouvoir annexer une ville ennemie, toujours en raison de cette limite. Cela signifie que les conclusions des guerres sont souvent peu satisfaisantes, limitées à une simple transaction pécuniaire ou tout au plus à quelques avants-postes.

Enfin, et c'est là tout le problème : tout le système de macro-gestion des villes est mal équilibré et déficient. Grâce à une technologie, il est possible de fusionner plusieurs villes, mais cela demande de l'influence. Or, avoir trop de villes impose précisément un malus d'influence, créant un effet boule de neige : plus ce malus est important, plus il est difficile de le supprimer. On aimerait pouvoir raser une ville ou, au moins, la retransformer en un simple avant-poste, mais ces options n'existent pas ; il est juste possible de rendre une ville indépendante, ce qui n'est guère intéressant, car cela revient à créer un nouveau peuple autonome.

Scythe

Autre particularité de Humankind, le fonctionnement de ses affrontements. J'en parlais déjà dans mon premier aperçu : la guerre constitue le principal défaut des Civilization et c'était donc sur ce point que j'attendais principalement Humankind. Il s'en sort très bien au niveau des batailles : celles-ci consistent en des combats tactiques au tour par tour entre les différentes unités impliquées, ce qui est aussi stratégique qu'amusant. Pour avoir mené des combats de grande envergure (plus de 20 unités de chaque côté) comme d'autres beaucoup plus modestes, l'ensemble fonctionne bien, profitant notamment des particularités des différentes unités. Se battre n'est plus simplement trivial, mais devient un véritable jeu dans le jeu, nécessitant de parfaitement exploiter ses unités, les différentes formations et, surtout, le relief.

Le système de combat ne souffre que de deux défauts. Tout d'abord, les développeurs semblent un peu trop fiers de leur exploitation des reliefs, au point qu'ils ont mis des montagnes pratiquement partout, ce qui est assez désagréable sur la carte de campagne, tant cela limite les possibilités de déplacement. Cela crée aussi quelques situations ubuesques, dans lesquelles toutes les unités sont bloquées parce qu'il y a un seul accès sur la carte de bataille, les autres étant hors-champ. Ensuite, la résolution automatique est absolument inutilisable, tant elle est médiocre. Elle se conclut souvent par des unités perdues, même lors de combats très faciles, ce qui est extrêmement punitif en raison de la valeur des unités, qui représentent plusieurs tours de production et une baisse de population.

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Deux versions de la même bataille : à gauche, en manuel, à droite en automatique.

En dépit de ces défauts, les batailles sont très agréables et constituent un des points forts du jeu. Dommage qu'elles ne servent absolument à rien. En effet, tout repose sur un système de "soutien de guerre" : gagner des batailles, vaincre des unités ou capturer des villes fait diminuer le score de l'adversaire ou augmenter le sien. Une fois ce score tombé à zéro, la guerre se termine automatiquement, empêchant les deux camps de poursuivre les hostilités. Le vainqueur obtient quelques récompenses et le conflit s'arrête.

Prenons un exemple concret. Dans ma première partie, j'ai pris un très mauvais départ. Je suis ensuite remonté, tant bien que mal, mais étais encore largement distancé par les premiers. Néanmoins, j'avais développé une armée correcte et ai décidé de tout miser dessus : en entrant dans l'ère industrielle (la cinquième des sept ères du jeu), j'ai pris une faction militariste et ai déclaré la guerre au premier. Après quelques batailles, j'ai conquis deux de ses villes et tué ses unités, le contraignant à la reddition. C'est là que les choses se sont compliquées.

Mon adversaire possédait à ce moment-là neuf villes, plus un gigantesque territoire. Grâce à ma victoire, je pouvais lui réclamer... une ville au maximum. Pis, la population de la ville choisie était pratiquement réduite à néant par la conquête - la rendant peu intéressante - et comme j'avais déjà trop de villes, cela m'aurait apporté plus de malus que de bonus. J'ai donc conclu cette guerre, celle qui aurait dû me ramener vers les sommets, en prenant deux avants-postes à mon ennemi. Une goutte d'eau dans un océan.

La guerre est à la fois l'une des plus grandes qualités et l'un des plus grands défauts d'Humankind. C'est probablement sa partie la plus agréable, celle qui le différencie le plus de Civilization. Cependant, cela ne sert à rien. Oui, il est possible d'obtenir trois étoiles, mais autant le faire contre des peuples autonomes : c'est plus facile et cela rapporte tout autant. Se battre contre un autre joueur est rarement rentable.

Le Dilemme du Roi

Humankind accorde également une grande importance à la narration. Celle-ci est omniprésente, que ce soit au début de la partie, lors de changements d'ère ou en conclusion, au moyen de magnifiques cinématiques. Entre ces étapes, de nombreux dilemmes sont proposés aux joueurs, le tout accompagné d'une bande-son adaptée à la civilisation jouée. Cette insistance sur le récit est fort appréciable ; cela enrichit clairement l'expérience, mais cela souffre, à nouveau, de deux défauts.

Premièrement, le jeu est uniquement doublé en anglais, bien qu'il propose aussi des sous-titres français (et dans d'autres langues). C'était compréhensible pour un jeu indépendant, mais au vu des ambitions de Humankind et de sa dimension narrative, un doublage en français n'aurait pas été un luxe. Civilization VI, des Américains de Firaxis, propose un doublage dans dix langues. Humankind, des Français d'Amplitude, n'est disponible qu'en anglais. C'est vraiment dommage.

Deuxièmement, la dimension narrative fonctionne parfaitement... la première fois. Ensuite, certaines histoires se répètent, renforçant l'impression de déjà vu. Il est compréhensible qu'Amplitude n'ait pas pu développer un nombre illimité de choix, mais dans ce cas, il aurait probablement mieux valu en proposer moins lors d'une partie pour que le joueur continue à en découvrir de nouveaux à chaque nouvelle aventure.

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7 Wonders

J'ai déjà abordé cinq spécificités du jeu et ne me suis pas encore attardé sur son principal défaut : le système diplomatique est complètement raté. Il part pourtant sur de bonnes intentions : s'il est incompréhensible de prime abord, il est rapidement assimilé par le joueur. Ainsi, il est possible d'avoir trois statuts envers une autre faction : en guerre, neutre ou allié. Dans les deux derniers cas, il est possible de nouer différents accords. Par exemple, avec une civilisation neutre, il est possible de ne rien commercer, de se contenter des ressources de luxe ou de tout vendre. En étant allié avec elle, il est par défaut possible de commercer, mais il est également possible de nouer un accord spécifique, réduisant les frais douaniers.

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Ce système est simple et efficace, mais il est aussi terriblement basique. Quand un autre joueur fait une proposition, il y a trois réactions possibles : accepter, refuser ou "faire une contre-proposition", qui consiste à accepter en échange d'une somme en or. Cependant, cette somme ne peut être choisie manuellement : elle est automatiquement fixée par le jeu. Il en est de même en faisant une proposition à l'IA : il arrive que celle-ci exige une somme en or pour accepter un accord, mais il est impossible de négocier ladite somme, quand bien même elle serait extravagante.

Il est également impossible de faire des accords conjoints ("j'accepte ceci si vous acceptez cela") ou de s'échanger des avants-postes voire des villes, ce qui serait pourtant intéressant, notamment après une guerre.

De plus, l'ensemble manque vraiment de clarté. Le joueur est bombardé de notifications, indiquant notamment que telle faction a changé d'attitude envers lui, sans indiquer précisément la raison de ce changement ni ce qu'il signifie. Pis, il ne sait souvent pas de qui il est question : une même IA peut d'abord être "les Babyloniens", puis "les Grecs" puis "les Francs" ; dans une de mes parties, j'ai eu un joueur incarnant les Anglais et un autre, un peu plus tard dans le jeu, les Britanniques. J'ai aussi eu deux joueurs différents dirigeant les Égyptiens, un pendant l'ère antique, l'autre pendant l'ère contemporaine. Il est donc facile de se perdre, alors qu'il aurait été tellement plus simple que le jeu indique simplement le nom des intelligences artificielles présentes à la place du peuple qu'elles incarnent temporairement...

Welcome

Pour finir ce tour d'horizon, il me reste à évoquer la caractéristique principale du jeu : son système de victoire. Il y a plusieurs manières de mettre un terme à la partie : rechercher toutes les technologies, anéantir ou asservir toutes les autres factions (bonne chance), rendre le monde inhabitable, atteindre la limite du nombre de tours... Seulement, il n'y a qu'un seul moyen de gagner : obtenir le plus grand score.

Dans Humankind, tout se réduit à cela. Créer une merveille permet d'augmenter son score. Explorer la carte permet d'augmenter son score. Débloquer des étoiles, quel que soit leur type, permet d'augmenter son score. Découvrir certaines technologies permet d'augmenter son score.

Je pense que vous avez compris le principe. Cela souffre de deux problèmes. Premièrement, c'est terriblement mécanique, particulièrement en multijoueur. Comme je le disais plus tôt, une fois trois étoiles acquises dans un domaine (par exemple la guerre), cela ne sert à rien de continuer avant l'ère suivante : il faut se réorienter vers d'autres priorités. Chaque action est ainsi calculée selon un rapport coût/bénéfice déformé : ce quartier ne m'apporte rien d'utile, mais il est rapide à créer donc il m'offrira une étoile liée au nombre de quartiers construits dans mon empire.

Deuxièmement, cela renforce l'effet boule de neige. Un joueur qui a pris un meilleur départ a déjà de l'avance, car il dispose probablement de meilleurs infrastructures et a découvert davantage de technologies. Néanmoins, il a en plus un score important qui ne peut disparaître, rendant très compliqué le fait de remonter après un départ difficile. Les restrictions au système de guerre renforcent cet état de fait et font qu'il est facile de déterminer qui gagnera la partie - et qui finira dernier - longtemps avant son terme. Les retournements de situation sont extrêmement rares.

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Vivement la 1.0

Le potentiel de Humankind est indéniable. Le jeu possède des forces qui lui sont propres, tout en conservant ce qui fait la force des 4X : la capacité de donner envie de toujours faire un tour de plus. Le jeu est riche et addictif, mais il est aussi terriblement mal équilibré. En dépit de son report, il manque de finition, ce qui l'empêche de réaliser son potentiel. Au fil des mises à jour, Humankind deviendra peut-être un Civilization-killer, ce 8/10 que tant de sites tentent de vous vendre. En l'état, il ne l'est pas encore ; Amplitude a encore du pain sur la planche, mais Civilization ne s'est pas construit en un jour, donc il y a de bonnes raisons de rester optimiste.

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Test réalisé sur PC par Alandring à partir d'une version fournie par le développeur.

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